De Charles Ponzi à Bernard Madoff

Près de 90 ans après sa faillite, le nom de Charles Ponzi reste synonyme d'escroquerie. Selon la Securities and Exchange Commission, autorité de contrôle des marchés financiers, un schéma Ponzi est basé sur le principe selon lequel "l'argent des nouveaux investisseurs est utilisé pour rembourser les anciens". Un schéma de Ponzi, ou chaîne de Ponzi, ou finance Ponzi, ou dynamique de Ponzi, ou jeu de Ponzi, sont les différentes appellations pour un mécanisme dans lequel la solvabilité d'un montage financier n'est pas assurée par les revenus d'un investissement ou d'un placement mais par un endettement récurrent et/ou par de nouveaux entrants.

En France, l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) propose d'utiliser l'expression de cavalerie financière qui est "un type de fraude qui consiste à rembourser les premiers investisseurs avec l'argent des suivants, en faisant croire aux premiers qu'ils ont réalisé une bonne affaire et en cachant aux seconds que leur argent a disparu en les remboursant avec l'argent des troisièmes." En droit, la cavalerie est donc une technique d'escroquerie basée sur une course permanente entre la collecte de nouveaux fonds et des paiements visant à donner confiance.

Charles Ponzi, innovateur ou escroc ?

Charles (Carlo) Ponzi est né à Lugo en Italie le 3 mars 1882. Il immigre aux Etats-Unis en novembre 1903. Après différents emplois, il devient caissier à la Banco Zarossi, dirigée par Luigi Zarossi. La banque propose des taux plus élevés que les autres banques (6 % contre 3 %), intérêts financés grâce … aux nouveaux dépôts. Après la faillite de l'établissement et la fuite de son créateur avec une partie des dépôts, Charles Ponzi passe trois ans en prison pour avoir falsifié la signature sur un chèque libellé à son nom. Après sa libération, en 1911, il retourne aux Etats-Unis et exerce différents métiers. Le 26 décembre 1919, il crée la Securities Exchange Company (ou SEC, acronyme qui renvoie à celui de gendarme de la bourse !).

Pour ses contemporains, le jeune banquier italien est ce que Joseph Schumpeter nomme un innovateur : il "casse la routine", il s'introduit sur un nouveau marché et semble avoir découvert une nouvelle façon de faire des profits. En effet, l'Union Postale Universelle (UPU), qui regroupe les administrations postales du monde, avait mis sur le marché des Coupons Réponse Internationaux (CRI). En France, par exemple, on pouvait acheter un CRI pour 0,28 francs et l'envoyer dans son courrier à un correspondant, partout dans le monde, pour pré-payer la réponse. Le correspondant pouvait ensuite se présenter dans n'importe quel bureau de poste où, contre la remise de ce coupon, il recevait des timbres-poste de son propre pays. Conçu à une époque de stabilité des changes, le système fonctionnait comme une alternative à un timbre-poste universel. Après la Première Guerre mondiale, les nombreuses dévaluations des monnaies ainsi que l'inflation et les modifications tarifaires des services postaux, le système offre de nouvelles sources de profit. Il est possible d'acheter ces coupons en Italie et de les revendre à l'US Postal Service à un prix plus élevé. En 1920, une personne pouvait acheter 66 CRI à Rome pour 1 dollar et les revendre de 3,3 dollars à Boston. Charles Ponzi expliquait à ses investisseurs que le profit net de ces transactions, après paiement des agents et des commissions de change, dépassait 400 %. Le "schéma" était donc crédible : il exploitait, légalement, une possibilité de gains grâce à une simple technique d'arbitrage.

Le rendement proposé aux acheteurs d'obligations de la Securities Exchange Company (SEC) s'élève à 50 % pour 45 jours ou 100 % si les titres sont détenus pendant 90 jours. Bref, la possibilité de doubler sa mise en trois mois ! Le bruit se répend vite à une époque où l'épargnant moyen ne pouvait espérer, au mieux, que 5 % d'intérêt brut par an, avant impôt, sur son compte épargne.

Le montage pyramidal

Soit une promesse de rendement de 100 % en 90 jours, pour assurer le doublement de la mise aux premiers épargnants, disons les 100 premiers, il faut 200 nouveaux investisseurs. Puis pour verser leurs intérêts à ces 300 personnes (100 + 200), il faut 300 investisseurs les trois mois suivants, puis 600, etc. Le diagramme ainsi construit peut-être présenté sous forme pyramidale.

Paiement 1 : 100
Paiement 2 : 200
Paiement 3 : 600
Paiement 4 : 1 800
Paiement 5 : 5 400
Paiement 6 : 16 200
Paiement 7 : 48 600
Paiement 8 : 145 800
Paiement 9 : 437 400
Paiement 10 : 1 312 200

En décembre 1919, les premiers investisseurs à la SEC furent rémunérés comme promis. Ils réinvestirent leurs gains, augmentèrent le capital engagé, voire apportèrent toute leur épargne, et leur succès attira d'autres investisseurs. Charles Ponzi embaucha des agents pour faire la promotion de son système en Nouvelle-Angleterre et dans le New Jersey. En février 1920, il disposait de 5 290 dollars, en avril plus de 140 000 dollars, en mai plus de 400 000 dollars, en juin plus de 2,5 millions de dollars, en juillet presque 6,5 millions de dollars. En 7 mois, près de 30 000 personnes lui ont confié près de 10 millions de dollars.

Intrigué par ce succès, le Boston Post diligenta une enquête qui mit en exergue deux éléments. Tout d'abord, Charles Ponzi n'investissait pas dans sa propre entreprise alors qu'elle était censée offrir des rendements les plus élevés qu'ailleurs. Ensuite, et surtout, le journal démontra que pour couvrir l'ensemble des investissements faits par la SEC, près de 160 000 000 CRI étaient nécessaires. Or, selon l'Union Postale, il n'y avait que 27 000 CRI en circulation dans le monde. Plus tard, l'investigation policière pointera que Charles Ponzi n'avait acheté que 30 dollars de coupons internationaux !

A qui profite ce montage financier ?

Le délit profite d'abord à Charles Ponzi qui mène une vie dispendieuse… qui renforce la confiance de ses investisseurs. L'aisance et l'entregent l'imposent rapidement comme un "pilier communautaire" chez les Italo-américains de Boston. Il est donc devenu, en quelques mois, membre de l'élite économique et sociale et ambitionne la présidence de la Hanover Trust Bank dont il détient 38 % du capital. Toutefois, Charles Ponzi n'est pas le seul bénéficiaire de son "schéma". En effet, dans ce type de montage financier, on peut distinguer trois catégories de victimes.

Tout d'abord, les personnes qui ont effectué un placement et récupéré leur capital et les rendements élevés avant la faillite. Ces "heureuses victimes" sont nécessaires pour attirer de nouveaux investisseurs, développer la confiance.
Ensuite, ceux qui ont perdu le capital investi mais qui ont bénéficié pendant quelque temps des rendements servis sans les réinvestir. Du 26 juillet 1920, date de dénonciation du scandale, au 13 août, date de son arrestation, Charles Ponzi avait gardé ses habitudes pour rassurer ses créanciers inquiets. Il se présentait chaque matin à son bureau. Il remboursa ainsi près de 5 millions de dollars d'obligations.

Enfin, la grande majorité, ceux qui perdent le capital investi et ne perçoivent aucun rendement de cette épargne, soit parce que le système s'écroule avant l'échéance attendue, soit parce que les intérêts sont réinvestis. Après 7 années de procédures judiciaires, les créditeurs de la SEC récupérèrent en moyenne 37 centimes par dollar investi en capital… sans avoir perçu un cent d'intérêt.

Ponzi finance, capitalisme et confiance

Cette "folie" qui caractérise la Ponzi finance se retrouve dans nombreux pays, notamment dans les pays en transition économique. Lorsque la croissance des inégalités de revenus et de patrimoine est rapide et nouvelle, la tentation est forte d'en bénéficier. Ainsi, les grands procès de la finance Ponzi se retrouvent au Portugal dans les années 1970, en Afrique du Sud dans les années 1980, en Roumanie et en Albanie dans les années 1990, en Colombie dans les années 2000, etc. 

Néanmoins, l'affaire Madoff le rappelle, les économies développées ne sont pas à l'abri de ce type de fraude. De surcroît, pour certains économistes, le système du crédit dit subprime tend à devenir un système de la Ponzi finance dans la mesure une part croissante des emprunteurs ne peut pas, au moment de la signature du contrat, rembourser leur crédit après le reset (période de changement du taux d'intérêt des emprunts). Patrick Artus, par exemple, défend cette idée pour le crédit "2-28". Dans ce mode de financement du logement, les ménages remboursent leur emprunt sur la base d'un taux d'intérêt fixe et faible pendant deux ans puis, pendant vingt-huit ans, le taux d'intérêt devient variable. Les ménages qui signaient ces contrats espéraient souvent bénéficier d'un effet richesse grâce à la hausse du prix du bien immobilier. Néanmoins, dans de nombreux cas, la hausse du prix de maison a servi de garantie pour effectuer un autre crédit… pour payer les intérêts. Ce montage est alors qualifié de finance Ponzi pour pointer que de nombreux emprunteurs doivent se réendetter régulièrement pour faire face au service de leur dette. Bref, leur solvabilité n'est pas assurée par des flux de revenus futurs mais par un endettement récurent. D'une façon plus générale, les acquisitions réalisées lors de la formation de bulle, comme la bulle Internet, sont parfois présentées comme des dynamiques de Ponzi dans la mesure où la solvabilité des opérations ne dépend pas de la somme actualisée des revenus futurs mais de la capacité à revendre les actifs acquis, sans aucun lien avec l'activité des entreprises.

Au-delà de la réflexion sur les modes de financement qui peuvent être présentés comme des dynamiques de Ponzi, l'actualité de ce type de délit renouvelle la réflexion sur le capitalisme et la confiance. Max Weber estimait que le capitalisme s'est bâti sur la morale protestante et notait qu'aux Etats-Unis l'appartenance à une communauté, notamment religieuse, était la preuve de sa solvabilité. Cependant, les schémas de type Ponzi rappellent que la confiance est aussi nécessaire à la fraude. D'où l'importance des liens communautaires et des réseaux sociaux dans ce type de schéma.

Le 11 décembre 2008, Bernard Madoff, dirigeant de hedge-fund et ancien directeur du Nasdaq, est arrêté sous l'accusation de fraude pyramidale portant sur près de 50 milliards de dollars. Si la phase d'instruction le confirme, il serait donc l'instigateur du plus important et du plus long schéma de Ponzi connu. Les rendements constants et élevés, près de 7 % à 11 % en moyenne par an, quelque soit la conjoncture économique, offerts par les fonds Madoff s'expliqueraient par un schéma de Ponzi, un montage pyramidal dans lequel les fonds des nouveaux investisseurs sont utilisés pour rémunérer les investisseurs plus anciens. De plus, la liste des victimes de "l'affaire Madoff" souligne l'importance des liens communautaires, ici au sein de la communauté juive, et des réseaux sociaux basés sur la confiance dans ce type de fraude. Les personnalités, les institutions caritatives ou les professionnels de la finance (sociétés d'investissement, fonds de fonds, banques, etc.) qui ont déposé leurs fonds chez Madoff ont tous un point commun : ils faisaient confiance à "Bernie", à son "savoir-faire", à "son flair", et ce jugement n'était pas fondé sur un contrôle "rationnel" de la comptabilité de Bernard L. Madoff Investment Securities LLC mais sur la foi en l'homme, son charisme ou la conviction de la solidité de son réseau social.

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