Thibaud Simphal : Les entreprises ont intérêt à faire évoluer leurs pratiques

Le directeur général d’Uber pour l’Europe de l’ouest et du sud témoigne. 

SOCIÉTAL.- Les entreprises ont-elles un rôle à jouer dans la lutte contre les inégalités ? 

Thibaud SIMPHAL.- Le rôle premier de l’entreprise est de créer de la valeur et ainsi de générer de l’emploi, facteur de développement économique et humain. C’est la raison d’être d’une entreprise telle qu’Uber qui propose une activité accessible à tous et sans sélection à l’entrée liée au diplôme, à l’âge, au lieu de résidence ou au genre. L’arrivée d’Uber en France a constitué de nouvelles opportunités de générer des revenus en toute flexibilité et indépendance pour des personnes éloignées de l’emploi, souvent moins qualifiées.

Avez-vous recruté des personnes sans emploi ? 

Un chauffeur sur cinq était précédemment sans activité professionnelle au moment de débuter l’activité de VTC et environ un tiers des chauffeurs possède un diplôme de niveau BAC tout au plus alors que ce n’est le cas que pour 18% de la population française. De même, le département de la Seine-Saint-Denis est le lieu de résidence le plus fréquent pour les chauffeurs en Ile-de-France. Et, ces opportunités ne sont pas seulement réservées à la capitale et aux grands centres urbains. Avec le développement d’Uber et l’ouverture de nos services dans une vingtaine de villes en France, c’est désormais un quart des chauffeurs qui réside en province.   

L'entreprise doit-elle renforcer ses actions sur ses salariés en les formant mieux et en partageant les fruits de la croissance ? C'est l'engagement des 34 grands groupes emmenés par Emmanuel Faber, PDG de Danone.

Toute entreprise a naturellement intérêt à soigner ses partenaires et ses salariés, que ce soit par une politique salariale attractive et non discriminatoire, par des conditions de travail satisfaisantes et, de plus en plus aujourd’hui, par des offres de formation enrichissantes.  

La formation tout au long de la vie est devenue la pierre angulaire de notre marché du travail. Le temps où l’on faisait toute sa carrière au sein d’une entreprise est largement révolu. C’est une chance : le travail devient pluriel, les parcours professionnels bien plus variés, l’organisation vie professionnelle / vie personnelle plus simple.  

La flexibilité bénéficie-t-elle aux salariés ?  

La flexibilité implique de garantir à chaque individu la possibilité de se former en continu pour rester en phase avec les mutations de l’économie et rester attractif sur le marché de l’emploi.  L’an dernier, dans le cadre de notre programme « Campus VTC », nous avons remis 10 bourses à hauteur de 10 000 euros pour accompagner les chauffeurs souhaitant suivre une formation dans le cadre d'un nouveau projet professionnel ou associatif. C’est une relation de coopération qui se développe entre l’entreprise et ses partenaires.

Les entreprises doivent-elles s'engager vis à vis de leurs fournisseurs ? De leurs clients ?

La société le demande. On le voit aujourd’hui, la demande en produits issus du commerce équitable ou de l’agriculture biologique est en forte hausse. Nous-mêmes ne sommes pas exempts d’interrogations de la part de la société. Alors que nous avons révolutionné le secteur des transports en proposant une véritable alternative à la voiture individuelle, et avons permis à plus de 3 millions de personnes à travers le monde d’accéder à de nouvelles opportunités économiques, nous n’avons pas toujours su comprendre les attentes de nos partenaires, travailleurs indépendants. Nous les avons entendus et travaillons chaque jour à assurer la flexibilité et l’indépendance qu’ils apprécient tant tout en leur offrant plus de transparence, de contrôle et de protection. 

Je suis convaincu que les entreprises ont tout intérêt à faire évoluer leurs pratiques pour satisfaire cette demande et conserver leurs parts de marché dans un environnement de plus en plus compétitif.

Comment adapter le système de protection sociale ?

Chez Uber, nous sommes conscients que l’arrivée des plateformes a transformé le travail en profondeur et rend aujourd’hui nécessaire d’adapter notre système de protection sociale pour éviter un système à deux vitesses avec travailleurs salariés protégés d’un côté, et indépendants sans protection de l’autre. 

Nous avons ainsi décidé d’investir significativement pour mettre en place gratuitement pour les chauffeurs et coursiers Uber et Uber Eats en Europe, une assurance de protection sociale qui couvre des événements survenant pendant une course effectuée via l’application mais également en-dehors. Nous continuons à dialoguer avec les chauffeurs pour développer les protections adaptées à l’exercice de leur activité. 

Les sociétés peuvent-elles soutenir des programmes qui ne sont pas directement liés à leur métier?

Oui si ces actions sont concrètes, qu’elles peuvent être évaluées, mesurées et qu’elles ont un impact.   

Quelles actions menez-vous?

En tant qu’application souvent choisie par les femmes en Ile-de-France, notamment pour rentrer sans prendre de risque la nuit, nous sommes particulièrement attentifs à la sécurité des femmes. Nous avons noué un partenariat avec les associations HandsAway et Stop Harcèlement de Rue pour agir concrètement contre les agressions à caractère sexiste ou sexuel et pour sensibiliser nos passagers et partenaires au sujet. Nous proposons ainsi aux femmes victimes d’agression une course gratuite pour se rendre dans leur lieu de destination ou pour se rendre à l’hôpital ou au commissariat si elles souhaitent porter plainte.

Quel peut-être le rôle d'un dirigeant dans la lutte contre les inégalités ?

Un dirigeant d’entreprise a une double casquette. A titre personnel, il peut avoir un impact dans la lutte contre les inégalités. C’est le cas de Bill Gates dont les activités philanthropiques sont connues. Dans la sphère publique, il peut mettre son image au service d’une cause. Et, dans son rôle de chef d’entreprise, il peut entraîner ses équipes en fixant des priorités, comme c’est le cas chez Uber. 

Avez-vous des engagements personnels ? 

Je suis personnellement impliqué depuis des années au sein de l’association Les Amis d’Arthur qui a pour but d’aider les personnes autistes en améliorant leurs conditions de vie et en favorisant leur intégration dans notre société. Cet engagement s’est tout naturellement poursuivi au sein d’Uber où je suis le sponsor du groupe interne dédié à la lutte contre les inégalités liées au handicap.

Un dirigeant doit-il avoir un engagement public? 

Tous les engagements sont légitimes, du moment qu’ils sont sincères et qu’ils aboutissent à un progrès pour la société en général et en particulier pour les plus vulnérables.

Le mouvement des gilets jaunes qui a épargné les entreprises, est-il le précurseur de nouveaux mouvements sociaux?

Par définition, ce genre de mouvement est imprévisible et son évolution aussi. Malgré la publication de plusieurs études, on peine encore à déterminer quels ont été les vrais moteurs de leur action. En revanche, il est probable que les mutations de la société provoqueront à nouveau des réactions, sous des formes difficiles à prévoir. Il est également intéressant de voir le rôle que les réseaux sociaux ont joué dans la construction des groupes et des communautés.

Quelles sont les initiatives essentielles à prendre pour réduire les inégalités et renouer la confiance?

L’écoute et le débat. Cela prend du temps mais c’est essentiel. De mars à mai cette année, nous avons mené une vaste consultation auprès de tous les chauffeurs et coursiers utilisant notre application. Nous y avons abordé tous les sujets liés aux conditions d’exercice de leur activité, y compris les plus délicats au sujet de leur revenus. Mais écouter n’est pas suffisant. Il faut agir. C’est pour cela que nous avons pris des engagements clairs et mettons en place des actions directement liées aux besoins et attentes dont ils nous ont fait part. 

Coopérez-vous avec les villes et les pouvoirs publics ? 

Les services que nous développons peuvent également contribuer à répondre aux problématiques des pouvoirs publics. À Nice, par exemple, nous avons mené une expérimentation visant à améliorer la continuité du service public la nuit : lorsque les lignes de bus arrêtent leur service à 20h, Uber prend le relais en proposant des trajets au prix fixe de 6 euros, subventionnés par l'entreprise et la métropole, entre 20h et 2h du matin.

Quelles initiatives ou personnalités vous inspirent?

Il y a une entreprise qui est pour moi un modèle et elle est bien française. Michelin. C’est une entreprise qui fête ses 130 ans cette année, et qui a su s’inscrire dans le temps tout en innovant sans cesse. Sa gouvernance et son modèle de dialogue social sont très inspirants. C’est un management pour le long terme.

Interview réalisé par Yann Le Galès

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