Les voies et moyens d'une Europe sociale

Les voies et moyens d'une Europe sociale

La construction communautaire a d'abord été essentiellement axée sur le volet économique. Ainsi, l'objectif du traité de Rome (TCE) de 1957 est la réalisation d'une communauté économique européenne par l'instauration d'un marché commun. Cependant, les politiques sociale et économique sont liées par la force des choses. En effet, si le progrès social ne se conçoit pas sans croissance économique, inversement le progrès économique n'existe pas sans prise en compte de la dimension sociale.

C'est ce qui explique la vision des pères fondateurs de la construction européenne selon laquelle le progrès social doit naturellement découler des progrès économiques engendrés par le développement du marché commun. Si les débuts de l'“Europe sociale” ont été marqués par ce raisonnement, la fin des Trente glorieuses marque une rupture majeure. La crise économique consécutive au premier choc pétrolier va ainsi replacer la question sociale au cœur de la construction européenne.

Cependant, la mise en place de l'Europe sociale va rapidement se heurter à la diversité des cultures et des institutions nationales, particulièrement forte dans ce domaine. Si le bilan de l'Europe sociale est aujourd'hui mitigé, les défis auxquels l'Union européenne va se trouver confrontée dans les années à venir rendent nécessaires des orientations politiques plus claires pour la politique sociale.

L'Europe sociale: un bilan en demi-teinte malgré un approfondissement récent

L'élaboration progressive d'une Europe sociale

En dépit d'une réalité sociale contrastée au sein des Etats membres, la construction communautaire a progressivement intégré la dimension sociale.

Une réalité sociale contrastée

Plus que dans tout autre domaine, les politiques sociales des Etats membres ont été façonnées par le développement de l'histoire économique, sociale et politique ainsi que par les valeurs propres à chaque pays. Les différences entre pays membres sont particulièrement nettes dans certains domaines essentiels de la politique sociale : relations professionnelles, protection sociale, droit du travail. Ainsi, la participation des représentants des salariés à la vie de l'entreprise diffère profondément d'un pays à l'autre. En Allemagne, le mode de concertation sociale est centralisé et la cogestion est la règle dans les entreprises de plus de 2000 salariés.

En France, le faible degré de consensus social et la gestion souvent conflictuelle des relations de travail ont rendu l'intervention de l'Etat fréquente dans la négociation sociale. Par ailleurs, et si l'emploi est dans la plupart des pays européens une préoccupation de premier plan, les situations nationales restent fortement contrastées. L'Autriche, le Danemark et la Suède ont en effet des taux d'emploi de l'ordre de 70% contre seulement 50% en Italie et en Espagne. Le taux de chômage varie également fortement d'un pays à l'autre (3,4% au Luxembourg contre 11,5% en Espagne en 2004). En matière de conditions de travail, la disparité est également importante tant dans les modes d'intervention que dans le contenu des dispositions : le droit du travail français est extrêmement codifié alors que la jurisprudence joue en rôle bien plus important dans les pays de common law (Royaume-Uni). Enfin, l'hétérogénéité des systèmes de protection sociale au sein de la Communauté est également fréquemment soulignée.

Au-delà de la distinction historique entre système bismarkien reposant sur une logique de solidarité professionnelle et système beveridgien fondé sur la solidarité nationale, les systèmes de protection sociale se distinguent dans leur façon de couvrir les risques et dans la structure des prestations. Toutefois, cette diversité ne constitue pas une spécificité européenne. En effet, dans un Etat fédéral tel que les Etats-Unis, la politique sociale reste largement décentralisée. A titre d'exemple, la réforme de l'aide sociale votée en 1996 ( Temporary assistance for needy families ) réduit le rôle du Gouvernement fédéral dans l'assistance sociale et établit un cadre dans lequel les Etats reçoivent une part de la subvention fédérale globale annuelle mais décident librement de la modulation et de l'utilisation de l'aide. De même, si l'Etat fédéral a mis en place une aide au revenu des travailleurs pauvres depuis 1975 ( Earned income tax credit ), 17 Etats fédérés ont organisé un système supplémentaire d'aide au revenu. La diversité des politiques sociales des Etats membres de l'Union européenne explique, en partie, le caractère progressif et fragmenté de la mise en place de l'Europe sociale.

Les grandes étapes de l'Europe sociale

• Le traité de Rome: le progrès social comme résultante naturelle du progrès économique Les dispositions sociales du traité ont vocation à accompagner la réalisation du marché intérieur en privilégiant la mise en valeur du facteur travail et donc la mobilité des salariés. Ainsi, les articles 48 et suivants du traité (aujourd'hui articles 39 et suivants) prévoient la libre circulation des travailleurs et la sécurité sociale des travailleurs migrants. Le principe de l'égalité de rémunération entre hommes et femmes est le deuxième pilier historique de la politique sociale européenne (article 141 TCE, ex-119).  Enfin, la création d'un Fonds social européen (FSE) est également  prévue par le traité. Pour tous les autres domaines de la politique sociale – emploi, droit du travail, formation professionnelle, droit syndical – aucun transfert de compétences au niveau communautaire n'est prévu et seule "une collaboration étroite" entre les Etats membres est évoquée.

Dans une première phase de la politique sociale communautaire qui s'étend jusqu'au début des années 1970, le bilan de la mise en œuvre du traité se solde par des réalisations du principe de la libre circulation des travailleurs (exemple : règlement 1408/71 sur la coordination des régimes obligatoires de sécurité sociale) et la mise en place du FSE (1960). Cependant, à partir de la fin des années 1960, les signes avant-coureur d'une crise économique due au premier choc pétrolier et à l'instabilité monétaire (fin du système de Bretton-Woods en 1971) mettent à mal l'intégration économique comme facteur du progrès social. • Du spontanéisme au volontarisme (1973-1984) Dès le début des années 1970, la Communauté doit lutter contre le problème du chômage devenu très préoccupant.

Un début de concertation s'engage au sein d'un Comité permanent pour l'emploi, avant de tomber en désuétude. Le Fonds européen de développement régional (FEDER) est mis en place en 1975 pour corriger les déséquilibres régionaux au sein de la Communauté et marque le début de la construction d'une politique structurelle envers les régions défavorisées. De 1974 à 1980, sont également adoptées de nombreuses directives en matière d'harmonisation des législations nationales relatives à la protection de l'emploi (licenciements collectifs, transferts d'entreprises, insolvabilité de l'employeur) ainsi qu'à la santé et la sécurité sur le lieu de travail. Malgré ces avancées réelles, l'Europe sociale stagne dès le début des années 1980. Les conséquences du deuxième choc pétrolier, la montée du chômage et la difficulté à parvenir à l'unanimité exigée en matière de législation sociale rendent impossible toute avancée significative. L'acte unique européen : une tentative de relance de l'espace social européen L'Acte unique européen est signé en 1986. Il confirme l'objectif de réaliser le marché unique européen et, par ce biais, donne une impulsion à la politique sociale :

  • il étend les compétences de la Communauté en permettant l'adoption à la majorité qualifiée de textes relatifs à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs,
  • il promeut le dialogue des partenaires sociaux,
  • il met l'accent sur la nécessité de la cohésion sociale et économique.

Cette période est également caractérisée par la relance du dialogue social , notamment sous l'impulsion du Président de la Commission européenne, Jacques Delors, qui initie un processus de rencontres entre les partenaires sociaux au niveau européen (dialogue dit de "Val Duchesse", du nom du lieu de la première réunion). Enfin, en décembre 1989, au Conseil européen de Strasbourg, les chefs d'Etat et de gouvernement de onze Etats membres (le Royaume-Uni s'étant abstenu), adoptent sous la forme d'une déclaration solennelle la Charte des droits sociaux fondamentaux des travailleurs . Si la Charte n'a pas de portée juridique contraignante, son impact politique est important et le texte renforce l'idée qu'un grand marché doit être régulé par un ensemble de droits sociaux fondamentaux. De plus, elle donne lieu à l'adoption simultanée d'un programme d'action de la Commission européenne destinée à la mise en œuvre des droits fondamentaux reconnus.

  • Le traité de Maastricht et l'accord sur la politique sociale Le traité sur l'Union européenne signé en février 1992 va largement prendre en considération les principes issus de la Charte. Son article 2, qui définit les missions de l'Union, est renforcé dans ses objectifs sociaux : " la Communauté a pour mission, par l'établissement d'un marché commun, d'une Union économique et monétaire et par la mise en œuvre des politiques ou des actions communes… de promouvoir… un niveau d'emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les Etats membres . " Par ailleurs, le Traité comprend un Protocole sur la politique sociale autorisant onze Etats membres (en raison de l'opposition du Royaume-Uni à un accroissement des compétences de la Communauté en matière sociale) à procéder à des avancées en matière de politique sociale en utilisant le vote à la majorité qualifiée.
  • Les nouvelles perspectives du Traité d'Amsterdam


La nouvelle conférence intergouvernementale qui s'ouvre en 1996 vise à préparer l'Union aux futurs élargissements mais, avec 18 millions de chômeurs, l'Europe doit également relever un sérieux défi et la dimension sociale va s'imposer d'elle-même. De ce fait, le traité d'Amsterdam introduit un nouveau titre VIII consacré à l'emploi et inclut le protocole social de Maastricht dans le traité (ce qui l'étend de fait au Royaume-Uni). Il est également prévu " une stratégie coordonnée pour l'emploi " qui inclut l'élaboration de lignes directrices, de rapports annuels des Etats membres et d'éventuelles recommandations du Conseil (article 128). Cette procédure de coordination en matière d'emploi porte aujourd'hui le nom de " Processus de Luxembourg " (du nom du pays qui accueille le Conseil européen consacré au thème de l'emploi). • Le traité de Nice et l'agenda social européen

Le Conseil européen de Nice (décembre 2000) a complété le volet social du traité en adoptant un agenda social européen qui définit les grandes actions de la politique sociale européenne pour 5 ans. Les domaines couverts sont :

  • l'emploi,
  • l'équilibre entre flexibilité et sécurité,
  • la lutte contre l'exclusion,
  • la protection sociale,
  • l'égalité entre les hommes et les femmes,
  • le volet social de l'élargissement.

Chaque année, au Conseil européen de printemps, un tableau de bord de la mise en œuvre de cet agenda doit être effectué. Enfin, les chefs d'Etat et de gouvernement réunis à Nice ont également adopté la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne , qui regroupe dans un même texte – dépourvu de force juridique – les droits civils, politiques, économiques et sociaux.

Un bilan mitigé malgré un approfondissement récent

Le bilan de l'Europe sociale

C'est un ensemble de dispositions législatives important (près de 200 textes à caractère contraignant) qui constitue l'acquis social communautaire dans quatre domaines principaux : libre circulation des travailleurs, égalité entre hommes et femmes, droit du travail, lutte contre les discriminations . Deux principes importants régissent cet acquis:

  • celui de la prescription minimale , qui signifie que les directives communautaires visent à établir un niveau minimal de  protection mais qu'elles peuvent être améliorées au niveau national,
  • celui de la non régression , qui implique que dans l'hypothèse où un Etat membre a des dispositions plus favorables que celles établies par une norme européenne, cette dernière ne peut servir de prétexte à la régression des dispositions nationales.

De nombreuses avancées ont été réalisées dans le domaine de la libre circulation des travailleurs. Ainsi, le bénéfice des dispositions du traité a été étendue aux étudiants, stagiaires, conjoints de travailleurs… Ces dispositions ont été confortées par l'interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité posée par le Traité de Maastricht. Cependant, cette inscription de la libre circulation dans les textes n'empêche pas que, dans, les faits, de nombreux obstacles à la mobilité professionnelle et géographique subsistent. Ainsi, il n'existe pas à proprement parler de marché du travail européen, même s'il existe des marchés du travail transfrontaliers. A cet égard, la coordination insuffisante des régimes de sécurité sociale entre les Etats membres pourrait constituer un élément d'explication à cette faible mobilité.

En effet, les deux règlements de base en la matière (1408/71 et 574/72) adoptés au début des années 1970 ont été modifiés à plusieurs reprises et interprétés par la Cour de justice de la Communauté européenne (CJCE) de sorte qu'ils apparaissent aujourd'hui peu clairs et difficiles à appliquer. La proposition de modification faite par la Commission en 1999 n'a, à ce jour, pas encore abouti à la refonte de ces textes. En matière de droit du travail, le mouvement de restructuration qui caractérise les économies européennes depuis vingt ans est à l'origine de directives visant à protéger les salariés exposés à des risques dans leur emploi (protection en cas de licenciement collectif et d'insolvabilité de l'employeur, information des salariés). Dans le cadre des droits individuels, de nombreux textes ont été adoptés afin de protéger les droits des travailleurs (directive de 1993 relative à l'aménagement du temps de travail, directive de 1994 relative à la protection des jeunes au travail).

Une abondante législation concerne également la santé et la sécurité sur le lieu de travail. En ce qui concerne la lutte contre les discriminations, le Traité d'Amsterdam confère à l'Union une capacité d'agir à l'unanimité " pour combattre toute discrimination fondée sur les sexes, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle ", et deux directives mettant en œuvre ces principes ont rapidement été adoptées (2000/43 et 2000/78). Enfin, la jurisprudence européenne relative à l'égalité entre hommes et femmes a eu un impact très important sur les législations nationales des Etats membres. Ainsi, la CJCE a jugé disproportionnée l'interdiction générale faite aux femmes de servir dans un emploi de la Bundeswehr qui comporte l'utilisation des armes (CJCE Kreil, 2000) et censuré la disposition du Code des pensions civiles français réservant aux hommes le bénéfice d'une majoration de pension pour enfant à charge (Conseil d'Etat Griesmar 29 juillet 2002). Dans le cadre de l'élaboration de ces textes, les partenaires sociaux ont pu jouer un rôle consultatif. Trois organisations interprofessionnelles existent en effet au niveau européen : la confédération européenne des syndicats, l'union des confédérations de l'industrie et des employeurs de l'Europe et le centre européen des entreprises à participation publique.

Un approfondissement récent de l'Europe sociale

Depuis 1997, une nouvelle méthode de travail s'est développée en matière sociale : la méthode ouverte de coordination . C'est le Conseil européen de Lisbonne (mars 2000) qui a formalisé cette méthode. Elle vise à " organiser un processus consistant à tirer les enseignements de l'expérience acquise afin de faire face de manière coordonnée, mais en respectant les diversités nationales, aux défis que pose l'économie globale. " (note de la présidence portugaise, juin 2000). Dans le domaine social, se développe depuis le Conseil de Luxembourg (novembre 1997) une stratégie coordonnée pour l'emploi dont un premier bilan largement positif a été tiré en 2002. Plus récemment, l'accord trouvé par les chefs d'Etat et de Gouvernement réunis à Bruxelles en juin 2004 sur le projet de Constitution européenne a marqué une étape importante pour l'Europe sociale. En donnant pleine valeur juridique à la Charte des droits fondamentaux (adoptée à Nice), les chefs d'Etat ont en effet consacré pour l'avenir la dimension sociale de la construction européenne (texte du projet disponible sur http://ue.eu.int/igcpdf/fr/04/cg00/cg00087.fr04.pdf ). Au total, le bilan de l'Europe sociale apparaît mitigé. D'une part, les modifications successives introduites par les traités ont permis des avancées importantes et ont enrichi le instruments de la politique sociale mais, d'autre part, les textes adoptés souffrent de leur complexité, de leur caractère sectoriel et s'interprètent souvent comme une harmonisation a minima . De plus, certaines politiques européennes semblent contredire les objectifs que poursuit la construction de l'Europe sociale. Ainsi, la libéralisation des services publics de réseau (électricité, télécom, transports…) peut être interprétée comme sacrifiant l'intérêt général (principes de gratuité et d'égalité) au profit de l'intérêt économique que représente l'ouverture à la concurrence. De même, l'absence d'harmonisation des politiques fiscales nationales pourrait à terme déboucher sur une course au moins-disant fiscal qui serait susceptible de nuire à la qualité des infrastructures publiques au sein de l'Union. Les débats relatifs au bilan de l'Europe sociale se sont d'ailleurs récemment cristallisés à propos du projet de Constitution européenne. En France, l'engagement de certains hommes politiques (notamment l'ancien Premier Ministre Laurent Fabius) contre le projet de Constitution sur le fondement de l'insuffisance des dispositions sociales a d'ailleurs entraîné une réaction citoyenne (création d'une Union pour l'Europe sociale : www.europesociale.net ).

Face à de nouveaux défis, des orientations stratégiques plus claires semblent nécessaires

Les nouveaux défis de l'Europe sociale

L'élargissement

L'élargissement de l'Union européenne à dix nouveaux membres (Pologne, Hongrie, République Tchèque, Slovaquie, Estonie, Lettonie, Lituanie, Chypre, Malte) au 1er mai 2004 constitue un défi majeur en termes de politique sociale. Du côté des quinze Etats membre de l'Union, les principaux sujets de préoccupation concernent l'immigration , le risque de dumping social et de restructurations économiques . Selon les estimations du DIW Berlin (Institut allemand de recherche économique), l'immigration en provenance des dix nouveaux membres concernerait au départ 300 000 personnes par an environ durant les premières années avant de décliner progressivement pour atteindre moins de 50 000 personnes par an dans dix ans.

Dans l'ensemble, ce phénomène pourrait concerner 3% de la population des pays d'Europe centrale et orientale (PECOS), soit 3 millions de personnes (cf. Rapport du groupe de haut niveau sur l'avenir de la politique sociale dans une Union européenne élargie, Commission européenne). Les conséquences de ces flux sont une source d'inquiétudes pour les anciens Etats membres, notamment en termes d'emploi et ce, d'autant plus que les principes de libre circulation et de non discrimination interdisent de refuser l'accès à l'emploi aux nouveaux citoyens européens.

A titre dérogatoire, certains Etats membres (au nombre desquels se trouve la France) ont toutefois obtenu le droit de maintenir des restrictions d'accès à l'emploi pour une période de deux ans renouvelable. La peur du dumping social repose, quant à elle, sur le fait que les nouveaux Etats membres rejoignent l'Europe de quinze avec un revenu moyen correspondant à environ 46% de la moyenne des Quinze et des salaires généralement inférieurs à ceux de l'Europe méridionale lors de l'élargissement vers le Sud. Le salaire brut mensuel moyen de ces dix Etats s'élevait en effet en 2000 à 40,6% de la moyenne des Quinze. De ce fait, ceux-ci peuvent craindre des mouvements de délocalisations et de restructurations économiques vers les nouveaux membres dont l'attractivité en terme de coûts salariaux est supérieure à la leur.

Du côté des nouveaux Etats membres, la mise en œuvre de l'acquis communautaire en matière sociale constitue un des grands défis de l'élargissement. En effet, le rôle des partenaires sociaux reste assez faible dans la plupart des nouveaux Etats membres, particulièrement du côté des employeurs et au niveau sectoriel. De même, la mise en œuvre des normes européennes en matière de santé et de sécurité sur le lieu de travail ainsi que d'égalité de traitement est encore largement incomplète. Le retard à combler est donc important dans le domaine social.

Le vieillissement de la population

Le vieillissement de la population auquel va être confrontée l'Union européenne résulte de la conjonction de deux facteurs : l'augmentation de l'espérance de vie (augmentation de 8 ans entre 1960 et 2000) et la faiblesse de la natalité (le taux de fécondité de l'union à quinze est passé de 2,3 enfants par femme  dans les années 1950-1955 à 1,47 en 2001). Dans ce contexte, la structure par âges de la population devrait se modifier. Ainsi, le groupe des jeunes de 15-29 ans diminuera de 12% entre 2000 et 2015, puis de 11% de 2015 à 2030. A l'inverse, le groupe des plus de 65 ans augmentera de 22%, puis de 27% sur les mêmes périodes.

Par conséquent, la proportion de la population âgée de plus de 65 ans par rapport à la population en âge de travailler passera de 27% en 2010 à 48% en 2040 avant de se stabiliser à ce niveau. Ces tendances lourdes auront des conséquences sur l'offre de main d'œuvre au sein de l'Union européenne : ainsi, même si l'UE atteint le taux d'emploi de 70% d'ici 2010, l'offre potentielle de travail diminuera en même temps que la population en âge de travailler (cf. Rapport du groupe de haut niveau sur l'avenir de la politique sociale dans une Union européenne élargie, Commission européenne).

Passé 2010, l'emploi ne pourra croître que si l'immigration augmente, si le taux d'emploi continue d'augmenter ou si ces deux facteurs se produisent simultanément. Or, la question du volume de l'emploi est cruciale pour la prospérité économique et sociale de l'Europe à 25. Un déclin du volume de main d'œuvre freinerait en effet le potentiel de croissance, à moins qu'il ne soit compensé par une amélioration de la productivité à long terme. Enfin, l'évolution démographique est également porteuse de conséquences en ce qui concerne le niveau et le financement des dépenses sociales en direction des personnes âgées. De ce fait, les perspectives démographiques au sein de l'Union européenne imposent de rechercher les voies d'un nouvel équilibre intergénérationnel en matière économique et sociale.

La mondialisation

L'augmentation du commerce international et celle des flux migratoires sont deux caractéristiques fortes de la mondialisation. Dans ce cadre, deux questions se posent à l'Europe sociale : celle de la création d'emplois dans une économie mondialisée et celle de l'adaptation du modèle social européen à la mondialisation. La mondialisation bouleverse rapidement les schémas de spécialisation des investissements et de créations d'emplois dans chaque pays, redessinant la carte de la division internationale du travail. L'Union européenne à 25 doit, dès lors, se repositionner sur de nombreux secteurs de cette carte en vue de créer des emplois en plus grand nombre et de meilleure qualité. La stratégie de Lisbonne a pour but d'apporter une réponse positive à la mondialisation en redéployant les investissements et la création d'emplois dans de nouveaux secteurs. Cependant, l'investissement en capital humain et le renouvellement des compétences conditionnent la réussite de cette stratégie.

Dès lors, de nombreux efforts devraient être faits tant en matière de formation initiale que de formation continue. La mondialisation pose également la question de l'adaptation du modèle social européen. Malgré la diversité des systèmes nationaux, il existe un modèle social européen caractérisé par le fait que tous les systèmes nationaux de l'Union européenne (UE à 15) sont marqués par un lien, plus ou moins fort, entre performance économique et progrès social. Deux compromis essentiels peuvent être décelés au sein de ce modèle social : un compromis entre l'Etat et le marché et un compromis entre l'Etat providence et la responsabilité individuelle. Dans les années 1960, les conditions économiques favorables ont permis de faire la force de ce modèle. Cependant, les conditions de cette réussite ne sont plus remplies depuis les années 1970. Dans ce contexte, la mondialisation constitue un élément supplémentaire de remise en cause de ce modèle. Plusieurs domaines se trouvent particulièrement concernés:

  • le financement de la protection sociale (répartition de la charge fiscale…)
  • le dialogue social (champ et niveau de la négociation…)
  • la cohésion sociale (traitement de l'exclusion…)
  • les nouvelles sécurités (sécurité de l'emploi, formation….).

Face à ces nouveaux défis, des orientations stratégiques claires sont nécessaires.

Les choix stratégiques nécessaires face à ces nouveaux défis

Des orientations stratégiques plus claires sont désormais nécessaires à la progression de l'Europe sociale. Cependant, les avancées à venir dépendent également du choix des instruments utilisés par l'Union européenne pour traduire ces orientations en actions concrètes.

Les orientations stratégiques

Trois domaines clefs de la politique sociale devraient, à l'avenir, faire l'objet d'orientations stratégiques : l'emploi, la protection sociale, et l'immigration. • L'emploi La stratégie européenne pour l'emploi lancée à Luxembourg en 1997 était fondé sur quatre piliers : la capacité d'insertion professionnelle, l'esprit d'entreprise, la capacité d'adaptation des travailleurs, l'égalité des chances.


Si la stratégie pour l'emploi doit rester fidèle à cette concentration qui évite la dilution des actions menées entre trop de domaines, il semble cependant qu'une évolution des priorités serait souhaitable. Ainsi, et dans le contexte actuel de vieillissement de la population et d'élargissement à dix nouveaux pays, trois objectifs sont identifiables : l'allongement de la vie active, la mise en œuvre de la formation tout au long de la vie, l'accompagnement des restructurations économiques. Ceci passe notamment par une réduction des incitations financières à quitter prématurément la vie active, un développement de la possibilité de cumul emploi-retraite, une diversification des modalité de l'offre de formation et une reconnaissance du rôle des fonds structurels en matière d'accompagnement des restructurations économiques.

La protection sociale Au sein des Etats membres de l'Union européenne, les pays qui réalisent les meilleures performances économiques (parmi lesquels se trouvent notamment la Suède, le Danemark, les Pays-Bas) ont en commun d'avoir entrepris des réformes de leur système de protection sociale en vue de concilier leurs objectifs en matière de politique économique, sociale et d'emploi. L'observation de ces exemples conduit à identifier un enjeu principal de la réforme des systèmes sociaux : la modernisation de la protection sociale en vue de la création d'emplois. Le conflit entre emploi et protection sociale apparaît notamment dans les Etats au sein desquels le montant des cotisations sociales rend le coût du travail trop élevé à la fois pour les employeurs et pour les salariés (cela est, dans une certaine mesure et en ce qui concerne les salariés peu qualifiés, le cas de la France).

Dans ce type de situations, il est nécessaire d'élargir la base de financement de la sécurité sociale, de sorte que les charges sociales ne pénalisent pas de manière excessive une catégorie de travailleurs. • L'immigration Sur la base de sa situation démographique, l'Union européenne devrait prévoir une politique d'immigration qui aide à répondre aux demandes d'emploi à venir. Afin de soulager à la fois les pressions économiques et sociales, il importe de centrer cette politique sur une évaluation des besoins prévisibles actuels et futurs du marché du travail, et une politique d'intégration des immigrés. La capacité d'intégration reste en effet un élément fondamental en matière d'immigration et dépend largement de la qualité des programmes d'intégration existant au sein des Etats (enseignement des langues, formation au marché du travail adaptée aux besoins de chacun…).

Les instruments : le choix de la coordination ouverte

En matière de politique sociale, " deux doctrines s'affrontent ", comme le note Michel Aglietta, professeur d'économie à l'Université de Nanterre, " celle de la mise en concurrence des systèmes sociaux, Bruxelles s'en tenant à la définition de grandes normes, et celle, fédéraliste, qui veut mettre de grands objectifs en commun " (Le Monde, édition du 12 septembre 2004). Cette opposition est notamment due à la diversité des modèles sociaux nationaux et des institutions qui les accompagnent.

Dans ce contexte, la méthode de coordination ouverte initiée à Luxembourg et réutilisée à Lisbonne présente de nombreux avantages. Elle consiste notamment à :

  • définir des lignes directrices pour l'Union, assorties de calendriers spécifiques pour réaliser les objectifs à court, moyen et long terme,
  • établir des indicateurs quantitatifs et qualitatifs et des critères dévaluation par rapport aux meilleures performances mondiales,
  • traduire ces lignes directrices européennes en politiques régionales et nationales en fixant les objectifs spécifiques et en adoptant les mesures qui tiennent compte des diversités régionales et nationales,
  • procéder périodiquement à un suivi, à une évaluation par les pairs.

L'approche retenue est donc totalement décentralisée et les Etats membres, les collectivités locales ainsi que les partenaires sociaux et la société civile sont activement associés à la mise en œuvre des lignes directrices. Jusqu'à présent, cette méthode ouverte de coordination s'est avérée très efficace en matière sociale (plans nationaux pour l'emploi adoptés par les Etats membres dans le cadre du processus de Luxembourg). Elle est  en effet particulièrement adaptée à la matière sociale dans la mesure où, loin de viser une harmonisation des systèmes sociaux qui serait impossible, elle permet de faire des choix politiques tout en autorisant les Etats à conserver une marge d'action dans les modalités de mise en œuvre des lignes directrices et dans le choix des institutions qui en sont chargées.

De plus, cette méthode est d'autant plus appropriée au contexte de l'élargissement qu'elle repose sur un processus de rattrapage et d'évaluation comparative. Sans préjudice d'une coordination avec les autres instruments disponibles (législation, fonds social européen…), la méthode de coordination ouverte apparaît dès lors nécessaire au progrès d'une Europe sociale à 25. En ce sens, le projet de Constitution européenne permet un optimisme raisonnable puisqu'il introduit cette méthode dans le traité et l'applique au domaine social (article III,213 du projet).

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