Les jeunes, mal aimés du marché du travail ?

Qui sont et où sont les jeunes actifs ?

Tandis qu’on évoque généralement « l’allongement des études » comme facteur de réduction du taux d’activité des moins de 25 ans aujourd’hui situé à 38 % en France, il convient de rappeler que la sortie du système éducatif se situe en moyenne à 18,5 ans1. La jeunesse est donc majoritairement active (55 % des jeunes), et sort assez précocement des bancs de l’école (au-delà, 92% des 25-29 ans a déjà rejoint les cohortes d’actifs).
C’est à ce niveau que l’on rencontrera l’idée d’une « génération précaire ».

Peu diplômés, les jeunes se concentrent dans des familles de métiers peu qualifiés qui offrent de maigres perspectives et espoirs d’embauche définitive : le BTP, la vente, l’hôtellerie-restauration, les services aux particuliers, l’animation socio-culturelle pour le secteur non marchand. Ce sont généralement des emplois d’attente, aux conditions de travail difficiles et caractérisés par un taux de rotation élevé.

Dès lors les contrats sont précaires : un jeune salarié sur deux occupe une « forme particulière d’emploi » : contrat à durée déterminée, mission d’intérim, apprentissage ou stage. Dans le même temps, le nombre de stagiaires a très fortement augmenté ces dernières années : avec 1.5 million en 2011, il a doublé depuis 200. L’Insee2 note néanmoins une autre raison à cette croissance : une professionnalisation accrue des études avec le développement des filières courtes (STS, IUT) qui comportent une phase de stage intégrée.

En emploi de courte durée, ces jeunes sont nécessairement confrontés rapidement au chômage. On le sait, quasiment un jeune actif sur quatre (22,5 %) est au chômage en France contre un actif sur dix en moyenne. Les jeunes sont particulièrement victimes des ralentissements conjoncturels du PIB : comme l’énonce le rapport remis au Président de la République au début de cette année, « le chômage des jeunes est de plus en plus sensible aux évolutions de la conjoncture économique, à la hausse comme à la baisse, singularisant ainsi cette tranche d’âge par rapport au reste de la population active ».

Quelle politique de l’emploi … ?

Malgré le sentiment d’une multiplication des dispositifs étatiques, plus ou moins efficaces, il est possible de retracer des axes clairs d’interventions à destination des jeunes. La prise de conscience de la singularité de cette population face au chômage date de la fin des années 1970 : devant un chômage en hausse rapide, celui qui atteint les jeunes actifs reste significativement plus élevé que les autres classes d’âge et l’écart ira croissant. En 1975, le taux de chômage (au sens du BIT) des 15-64 ans est de 3,5 % de la population active, mais il atteint 7,1 % parmi les 15-24 ans (soit 325 000 jeunes). En 1980, il dépasse les 20 % (plus de 850 000 jeunes) et la proportion de jeunes (15-24 ans) parmi l’ensemble des chômeurs se maintient entre 41 % et 42 % du total entre 1975 et 1984 4. A l’heure actuelle, en 2011, ce n’est pas tant leur part dans le chômage total qui inquiète (on compte 627 000 jeunes au chômage soit 24 % des chômeurs quand les 25-49 ans représentent 58 %) mais bien leur taux de chômage qui atteint 22 % des actifs de cette tranche d’âge contre 8 % pour les 25-49 ans.

Le premier « pacte pour l'emploi des jeunes » est lancé, en plein été, par Raymond Barre en 1977. Il sera suivi de deux autres qui fixeront durablement les trois axes d’intervention des pouvoirs publics, classés dans le volet « dépenses actives » de la politique de l’emploi dont l’ambition est d’augmenter l’emploi des bénéficiaires ou encore leur niveau de formation, plutôt que de garantir un revenu.

D’une part, il convient de réduire le coût relatif du travail au moyen d’exonérations de charges sociales ciblées proposées aux entreprises dans le secteur marchand, de manière à compenser le déficit d’expérience que pointent les employeurs envers cette population. Le mécanisme micro-économique qui sous-tend ce volet - devenu majeur dans la politique de l’emploi depuis 1993 - est simple : puisque le producteur détermine ses effectifs en égalisant coût et productivité marginaux, l’abaissement de ce coût permettra de réduire le coût de production total de l’entreprise donc de gagner en compétitivité en baissant les prix de vente et, par conséquent de créer un effet-volume sur l’emploi (des jeunes en particulier), via une hausse de la production.

D’autre part, faciliter l’appariement entre offre et demande de travail constitue le deuxième axe et passe par l’amélioration de la formation des jeunes, couplée à l’occupation d’un emploi (contrats d’apprentissage et contrats emploi-formation, par exemple).

Un troisième axe apparaît dans les années 1980 : la création d’emplois entièrement ou majoritairement subventionnés par l’Etat dans le secteur marchand et non marchand (ce sont les « TUC » ou Travaux d’Utilité Collective, les Contrats emploi-solidarité plus tard, …). Il s’agit de maintenir le taux d’activité des jeunes, lequel contribue de manière significative au PIB potentiel. On peut craindre en effet une contraction de l’offre de travail si les jeunes travailleurs passent rapidement dans la catégorie des chômeurs découragés.

… pour quelle efficacité ?

Différentes limites permettent de comprendre l’apparente inefficacité de ces dispositifs.

En premier lieu, l’abaissement du coin fiscal dans le secteur marchand, défini par J.GAUTIE5 comme la différence entre le coût du travail pour l’employeur et le salaire net de prélèvements obligatoires pour le travailleur au moyen d’une exonération des cotisations patronales portant sur des publics ciblés, se heurte aux effets d’aubaine - les personnes auraient été embauchées même en l’absence de subvention - et de substitution entre actifs, - des personnes de profils différents auraient été embauchées sinon. A ce sujet, l’impact d’une modification du coût du travail sur les effectifs n’est pas clairement établi : en fonction des modèles économétriques choisis, les conclusions divergent6. Difficilement chiffrables, on sait que les allègements de cotisations sociales ont soutenu la création d’emplois, notamment en faveur des moins qualifiés. Mais l’absence de lien univoque entre coût du travail et création d’emplois a sans doute contribué à l’échec de la tentative d’abaissement du salaire minimum en fonction de l’âge, le fameux Contrat Première Embauche en 2006, vécu comme une forme de précarisation supplémentaire.

En second lieu, qu’il s’agisse d’améliorer leur employabilité (capacité à être employé) ou d’accélérer leur insertion sur le marché du travail, l’accompagnement des jeunes au moyen de divers contrats aidés a connu une nette montée en charge à partir des années 1980 pour décliner ensuite. Fin 2010, 24 % des emplois occupés par les jeunes de moins de 26 ans bénéficient d’une aide de l’État, soit 665 000 emplois, contre 4 % pour l’ensemble des actifs occupés. Cette part s’élevait à 11 % en 1980, 20 % en 1990, 30 % en 2000. Pourquoi ce ralentissement ? Aux contraintes budgétaires actuelles s’ajoute un relatif constat d’échec : comme l’indique un rapport de la Cour des Comptes datant d’octobre 2011 consacré aux contrats aidés7 en général, l’impact positif en termes d’insertion dans l’emploi apparaît essentiellement dans le secteur marchand. Tout âge confondu, les ¾ des sortants d’un contrat initiative-emploi (CIE, secteur marchand) ont un emploi durable 6 mois après leur sortie du dispositif contre 15 à 30 % pour les personnes sortants de contrats aidés du secteur non-marchand.

Une autre enquête, plus précise, menée par le Céreq apporte cependant quelques nuances aux constats précédents. En comparant méthodiquement une cohorte d’individus de la « Génération 98 » passés par les « nouveaux-services emplois-jeunes » - mesure phare de la politique de l’emploi du gouvernement Jospin - et sa « cohorte jumelle » de jeunes aux caractéristiques comparables, elle montre que fin 2008, la grande majorité des jeunes passés par le dispositif est insérée professionnellement : trois quarts d’entre eux occupent un emploi à durée indéterminée. Certains ont été intégrés par l’employeur qui les avait recrutés dans le cadre du dispositif ; d’autres ont transité vers un nouvel employeur tout en restant pour la majorité dans le secteur non marchand. Au total, fin 2008, alors que les premiers effets de la crise apparaissent en France, seuls 12 % sont hors de l’emploi, un taux inférieur à celui des jeunes de la même cohorte qui ne sont pas passés par un emploi jeune8. Toutefois, un net écart salarial, au demeurant durable, se manifeste avec une perte moyenne de 230 € nets par mois. Les jeunes restent marqués par leurs faiblesses initiales.

Au total, l’étude de l’Insee4,précédemment citée, permet d’apporter une conclusion consensuelle sur les effets des contrats aidés à destination de cette population. D’une part, ils gagnent nettement en efficacité dans l’accès à l’emploi et à un salaire plus élevé s’ils contiennent un pan important de formation associée à l’emploi, plus présent dans les entreprises que dans les administrations. D’autre part, un effet très positif des contrats aidés du secteur non marchand joue en faveur des plus jeunes très éloignés de l’emploi. Enfin, ces dispositifs ont un rôle social non négligeable au-delà de l’emploi, en termes d’indépendance, d’utilité et de confiance en soi. On peut y voir là l’une des raisons de la ré-activation actuelle de ces mécanismes au moyen des « emplois d’avenir » surtout destinés au secteur non marchand et des « contrats de génération » qui doivent être mis en place dans les entreprises fin 20129.

Génération « sacrifiée » ?

Devant la montée du chômage des jeunes, les sociologues se sont emparés du débat et ont mis en exergue des fractures générationnelles rampantes dans notre société, alimentant une montée des craintes face à l’avenir. Deux thèses s’affrontent à ce sujet. Selon Louis CHAUVEL, les inégalités par classes d’âge redoublent celles qui existent entre milieux sociaux. Dans Le destin des générations, réédité en 2010, il affirme que le contexte économique de l’année de naissance joue un rôle durable (« scaring effect ») sur la destinée de l’individu, défavorisant bien évidemment, la plupart des cohortes nées après les Trente Glorieuses. A l’instar de François DUBET, il estime que la jeunesse est devenue une succession « d’épreuves » démarrant au sortir du système éducatif dans une société devenue « rentière », plus préoccupée de l’avenir des retraites que de l’intégration des jeunes, au demeurant sous-représentés dans la sphère décisionnelle publique. Ils subissent un triple déclassement : scolaire puisque la croissance des diplômes ne s’est pas accompagnée d’un niveau de revenus équivalent ; inter-générationnel, en termes de mobilité sociale descendante vis-à-vis de leurs parents ; systémique enfin, étant donné l’incertitude pesant sur leur capacité à faire valoir leurs droits sociaux futurs (retraites notamment). La deuxième thèse est soutenue par Eric MAURIN qui répond qu’il y a confusion entre peur du déclassement et déclassement réel dans une « sociologie des récessions » : face à un marché du travail devenu globalement plus précaire, les jeunes parviennent à rattraper a posteriori leur retard initial provoqué par un manque d’expérience et une position par essence inégalitaire dans le cycle de vie.

Quel que soit le diagnostic posé sur le malaise des jeunes, un consensus s’est installé parmi les scientifiques qui se sont penchés sur la question : la question de la formation est primordiale et peut générer un sursaut salutaire. Ainsi, Olivier GALLAND11 pointe la crise du modèle de formation français: l’université, garante de niveaux de diplômes supérieurs, est à la peine face aux cursus d’élite (CPGE) ou aux filières plus courtes. Caractérisée par des taux d’échec importants des bacheliers, elle favorise un piétinement manifeste : les non-diplômés de l’enseignement supérieur représentent 20 % des sortants chaque année. En outre, trop de jeunes sortent encore du système scolaire en général sans formation en raison d’une mauvaise orientation dans un modèle républicain peut-être trop égalitaire et rigide. Le constat dépasse cependant le cas français : la Commission européenne a adopté en 2010 un nouvel indicateur, qui devrait permettre de mieux cerner les « Neet» (neither in employment nor in education and training). Ce groupe représenterait 12,6% des 15-24 ans dans les trente pays de l’OCDE pour lesquels l’organisation dispose de données. Au total, cela correspond à 22,3 millions de jeunes, dont 14,6 millions d’inactifs non scolarisés. Par temps de crise, ces jeunes sont les plus vulnérables: ils sont les premiers exposés au risque d’exclusion et marginalisation dans un ensemble social qui ne forme pas un groupe cohérent, mais parcouru d’inégalités fortes.

Note

  1. H.LERETE, « Où sont les jeunes ? », Sciences humaines, n° 237, mai 2012.
  2. E.COUDIN, C.TAVAN, « Deux étudiants du supérieur sur dix ont un emploi », Insee Première, n°1204, juillet 2008.
  3. DARES, Emploi des jeunes. Synthèse des principales données relatives à l’emploi des jeunes et à leur insertion, novembre 2011.
  4. Romain Aeberhardt, Laure Crusson, Patrick Pommier, « Les politiques d’accès à l’emploi en faveur des jeunes : qualifier et accompagner » in Insee, France – Portrait social, 2011.
  5. Jérôme GAUTIE, Le chômage, La découverte, coll. « Repères », 2009.
  6. Jérôme GAUTIE, David MARGOLIS, « L’impact de la politique publique sur le marché du travail à bas salaire : offre, demande et qualité de l’emploi », Economie et statistiques, n°429-430, 2009.
  7. Rapport de la Cour des Comptes, Les contrats aidés dans la politique de l’emploi, octobre 2011.
  8. Bernard GOMEL, Alberto LOPEZ, « Effets des emplois jeunes sur les trajectoires professionnelles », Connaissance de l’emploi, n° 94, juillet 2012.
  9. Les emplois d'avenir seront réservés aux jeunes de 16 à 25 ans peu ou pas qualifiés, avec priorité pour ceux qui résident en zone urbaine sensible. 100 000 de ces emplois seront créés dès 2013, sous forme de contrat à durée déterminée (CDD) ou de contrat à durée indéterminée (CDI), et 50 000 supplémentaires en 2014. Ils sont surtout destinés aux administrations, collectivités et structures de l'économie sociale (associations, coopératives…), sur des activités en développement ou à forte utilité sociale, et seront subventionnés à hauteur de 75 % du Smic pendant un à trois ans. Les entreprises pourront aussi y recourir dans certaines conditions, mais avec un taux de subvention moindre. Quant au contrat de génération, il devrait permettre à une entreprise de moins de 300 salariés embauchant en CDI un jeune de moins de 25 ans, placé sous le tutorat d'un senior de plus de 55 ans, de bénéficier, pendant cinq ans au plus, d'exonérations de cotisations sociales sur les deux salaires, et d'une aide publique forfaitaire. Les partenaires sociaux doivent cependant encore préciser le contour de ce dispositif, leur négociation devant être traduite dans un projet de loi au plus tard fin 2012. Le gouvernement envisage la signature de 500 000 contrats de génération sur le quinquennat. (10) Louis CHAUVEL, « Les jeunes sont mal partis », Le Monde, 3 janvier 2011.
  10. Olivier GALLAND, Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ?, A. Colin, 2009.

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