Les inégalités scolaires à l’épreuve du confinement

Depuis les années 1980, les évaluations disponibles à l’école primaire révèlent des constats récurrents. Il subsiste une frange de la population qui obtient des scores insuffisants en français et en mathématiques, et on constate toujours que les 10% des élèves les plus forts obtiennent des scores plus de deux fois supérieurs à ceux des élèves les plus faibles.

Ces résultats sont confirmés par ceux du programme PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves). Si les résultats de la France en 2019 sont assez moyens (En 2019, le classement de la France n’évolue pas par rapport à 2015 : 23ème sur 79, ce qui en soi ne constitue pas une performance), ils confirment surtout la dichotomie du système français d’éducation. La proportion de bons élèves est supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE, mais la proportion d’élèves en difficulté est également au-dessus de cette même moyenne. Le système éducatif français est plus inégalitaire que celui de la plupart des pays riches, et ce n’est pas parce-que les moyens attribués à l’éducation seraient plus faibles en France que dans les autres pays de niveau de développement analogue.

éducation inégalités

Source : OCDE. Equité et qualité de l’éducation 2018

Pour corriger ces inégalités scolaires, La France a mis en œuvre à partir de 1981 une politique de l’éducation prioritaire, maintenue depuis cette date, et assez ambitieuse sur un plan quantitatif, puisqu’elle regroupe maintenant 1097 collèges publics, 6703 écoles publiques, pour un total de 899 400 élèves dans les collèges (21% des collégiens accueillis dans le public) et 826 200 élèves dans les écoles (20,2% des écoliers accueillis dans le public). Cette politique est fondée sur le principe de la discrimination positive, qui consiste à donner plus à ceux qui ont moins au départ. Malheureusement, jusqu’à présent, le bilan de cette éducation prioritaire est pour le moins mitigé. L’état des lieux établi à la rentrée 2017 montrait que les écarts entre les performances des élèves de l’éducation prioritaire et ceux qui n’en relèvent pas ne diminuent pas. L’éducation prioritaire ne réduit pas les inégalités d’origine sociale, et elle n’évite même pas que celles-ci s’accroissent. Un tel constat jette le doute sur le fonctionnement de l’école, et notamment sur son caractère méritocratique. L’institution scolaire n’aurait-elle pour fonction que de masquer les inégalités sociales qui demeurent bien présentes ?

Voir le chapitre de Terminale « Comment rendre compte de la mobilité sociale ? »

Cette question est très vive aujourd’hui parce-que la nature des inégalités a changé. Comme le fait observer fort justement François Dubet, le régime des inégalités s’est défait depuis une trentaine d’années. Alors que jusque-là nous vivions dans une société de classes dans laquelle les inégalités opposaient des collectifs (les « ouvriers » contre les « bourgeois » par exemple), de nos jours, ce sont les individus qui se vivent comme inégaux dans le cadre de « petites inégalités » (qui bien sûr ne sont pas si petites que cela) qui concernent la vie quotidienne au travail, dans la ville, ou encore à l’école. Pour rester sur l’école, alors que dans les années 1970 les « grandes inégalités » opposaient ceux qui poursuivaient des études et ceux qui étaient dès l’âge légal sur le marché du travail, les inégalités scolaires sont maintenant à l’intérieur du système scolaire en fonction de la qualité du cursus de chacun. Tout le monde fréquente l’école, mais le tri est fait à l’intérieur du système scolaire entre les « filières nobles » et celles qui le sont moins, sans parler des « filières de relégation ».

Ces « petites inégalités », qui sont beaucoup moins bien acceptées que les « grandes » conformément au paradoxe de la frustration relative de Tocqueville, sont encore plus visibles et renforcées dans le cadre du confinement entre ceux qui ont ou qui n’ont pas un espace de travail suffisant, qui peuvent ou ne peuvent pas être aidés à la maison, qui ont une connexion internet efficace ou qui sont isolés. Puisqu’il semble bien que spontanément les Français adhèrent à une « théorie rawlsienne de la justice » d’après laquelle seules sont acceptables les inégalités qui s’accompagnent de l’amélioration du sort des plus défavorisés, on peut penser qu’une des solutions à la crise actuelle de l’école passe par une action encore plus forte à l’égard des 10% des élèves qui demeurent à l’écart du système éducatif.

Voir le chapitre de Terminale « Comment les pouvoirs publics peuvent-ils contribuer à la justice sociale ? »

La période actuelle de ce point de vue peut être l’occasion de repenser la ventilation des moyens attribués à l’éducation. On a pu constater en effet que les élèves issus de milieux favorisés se débrouillent assez bien dans le cadre d’une « autonomie relative » alors que les élèves les plus éloignés des valeurs de l’école décrochent un peu plus (phénomène bien connu d’ailleurs des chercheurs en sciences de l’éducation sous le nom de « revers de l’été » : pendant les grandes vacances, les compétences scolaires des enfants de statut socioéconomique élevé continuent de s’accroître, alors que la courbe du progrès s’aplatit, ou même s’inverse, pour les plus défavorisés). Ne faut-il pas conclure de tout cela qu’il est désormais urgent d’augmenter fortement les moyens et les dispositifs pédagogiques à l’égard des élèves les plus faibles, et symétriquement de faire évoluer ces dispositifs pour les « bons élèves » dans le sens d’une diminution de l’enseignement « présentiel » au profit d’une mobilisation beaucoup plus forte des technologies nouvelles ? (enseignement à distance, classes inversées, etc…).

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