Le recul de la grande pauvreté dans le monde

Introduction

On entend souvent dire que la pauvreté est en constante augmentation dans le monde, à partir d'un niveau initial non précisé mais déjà très élevé. Or la croissance économique asiatique touche près de la moitié de la population mondiale depuis maintenant un quart de siècle. Il faudrait des arguments forts pour montrer que la croissance ne permet pas de réduire la pauvreté dans ces pays, voire qu'elle produit désormais de la pauvreté. Il est vrai que le jugement est souvent rendu fragile par la confusion persistance entre pauvreté et inégalité(s) et que les méthodes d'analyse statistique sont complexes et souvent critiquables.

Nous nous proposons ici de clarifier brièvement les concepts de pauvreté et de mesure de la pauvreté dans le monde, de synthétiser les résultats d'études économiques récentes qui (en dépit de divergences techniques) mettent toutes l'accent sur un mouvement général de recul de la pauvreté globale (nonobstant de profondes disparités régionales) et enfin d'analyser les pistes les plus souvent avancées pour entretenir et accélérer ce mouvement à partir du constat suivant : la croissance économique est décisive.

Mieux cerner le concept de pauvreté : enjeux, mesures, limites des mesures internationales

Où l'on découvre le hiatus existant entre l'importance des enjeux liés à la pauvreté et l'indétermination qui règne quant aux mesures de ce phénomène, en particulier lorsqu'il s'agit d'évaluer son évolution dans le monde entier.

Pourquoi la pauvreté est importante

Trop souvent, le thème de la pauvreté est "embedded", encastré, englué dans des considérations de nature extra-économiques sur les questions d'inégalités ; il revêt pourtant un caractère bien plus urgent que ces dernières, en particulier dans les pays les moins développés.

Un scandale économique qui doit être distingué de la question des inégalités

A long terme, les progrès économiques ont tendance à bénéficier à tout le monde. Joseph Schumpeter a écrit (dans "Capitalisme, socialisme et démocratie") que "l'exploit des capitalistes ne consiste pas à fournir des bas de soie aux reines, mais de les mettre à portée de l'ouvrière…". L'inégalité due au fait que les riches s'enrichissent plus vite que les pauvres n'est probablement pas un problème aussi grave que la pauvreté, c'est-à-dire le fait d'être dépourvu de tout, y compris parfois du strict nécessaire à la survie. Tout le monde n'est pas de cet avis : comme le note Martin Feldstein, "certains considèrent l'inégalité si indésirable qu'ils jugent l'augmentation du revenu des plus aisés néfaste, même si elle ne se fait au détriment de personne". Pourtant, le fait que certains s'enrichissent plus vite que d'autres n'est pas contraire à l'optimum économique tel que le définit Pareto.

La pauvreté fait scandale : en tant qu'atteinte à la dignité de la personne humaine, et en tant que non-sens économique majeur, puisque les pauvres ne peuvent contribuer aux échanges et à la production alors que leur coût n'est pas nul pour la collectivité. L'inégalité, contrairement à la pauvreté, a cette propriété de n'être vraiment un problème par elle-même que si suffisamment de gens pensent qu'ils en est ainsi. Ce n'est pas une situation objectivement pénible pour tous : les inégalités impliquent des comparaisons entre les situations des uns et des autres, alors qu'il n'est pas nécessaire de savoir que d'autres sont pauvres ou malades pour l'être soi-même. Par conséquent, les inégalités ne peuvent être scandaleuses que si elles sont injustes ; mais il ne peut y avoir aucune présomption d'injustice dans la constatation d'une inégalité. On connaît la célèbre formule de John Rawls : "l'injustice, ce sont les inégalités qui ne profitent pas à tous".

La conception de l'inégalité la plus souvent retenue de nos jours conduit à penser qu'il y a quelque chose d'anormal dans toute différence de revenu, un peu comme s'il s'agissait d'une discrimination. La dispersion des revenus est un fait ; l'analyse de cette dispersion en termes d'inégalités repose toujours, à un moment ou à un autre, sur une analyse de la justice de la distribution et/ou sur des présupposés de nature idéologique. Autrement dit, ce ne sont pas tant les inégalités en tant que telles qui posent un problème mais le fait que, pour certains agents économiques, elles correspondent éventuellement (mais pas forcément) à une grave insuffisance de moyens pour subsister décemment ou que leur accroissement s'accompagne (éventuellement là aussi) d'une détérioration de la situation de ces personnes.

Ajoutons que, dans les PVD, la priorité accordée à la diminution de la pauvreté est encore plus évidente puisqu'elle facilite non seulement la mobilité sociale, la baisse de la fécondité et le développement économique, mais aussi la valorisation du statut de la femme et l'éducation, deux autres facteurs de la transition démo-économique. La hausse des inégalités peut être perçu comme un tribut temporaire à payer en phase de décollage, conformément à la logique de la courbe de Kuznets.

Une préoccupation ancienne des économistes  

Les économistes ont bien compris la portée de ce phénomène, contrairement à ce qu'on entend dire souvent sur leur "science lugubre". En voici, pour mémoire, deux illustrations :

a/ La "dotation de survie" pour tous les acteurs économiques : c'est, par exemple, l'une des hypothèses de la théorie de l'équilibre général posées par les néo-classiques. Dans ce cadre d'analyse, les agents économiques doivent pouvoir survivre un certain temps sans faire d'échanges, en consommant simplement leurs dotations initiales (hypothèse de "survie du consommateur"), par exemple si les salaires qu'on leur propose ne leur conviennent pas. Mais, pour cela, il faut qu'ils "puissent attendre", ce qui permet de justifier théoriquement, en creux, une politique de lutte contre la pauvreté.

b/ L'impôt négatif, proposition libérale bien connue, reprise de nos jours par des auteurs de sensibilités très diverses (idée de l'allocation universelle, par exemple, il est vrai assez éloignée de l'idée d'origine de Milton Friedman). Dans son principe, l'impôt négatif a pour but d'unifier le système fiscal et le système social, puisqu'il consiste à remplacer les différentes aides de  l'État aux familles les plus défavorisées, celles qui ont atteint le seuil de pauvreté, par le versement annuel d'une subvention calculée, comme en matière fiscale, d'après le revenu. En pratique, les personnes entrant dans le champ d'application de cet impôt négatif, c'est-à-dire celles dont les revenus n'atteignent pas un minimum garanti, produisent une déclaration qui fait apparaître l'intégralité des ressources dont elles disposent ; à partir de cette déclaration, l'État fixe le montant de l'allocation destinée à compléter les revenus pour que soit atteint le minimum légal. Cette prestation est dénommée impôt "négatif ", car celui-ci n'est pas versé à l'État, mais par l'État au contribuable. Ce mécanisme est censé encourager au travail rémunéré les bénéficiaires de la prestation mais pose cependant un problème délicat : celui de maintenir l'incitation au travail pour les travailleurs dont le revenu n'est que très légèrement supérieur au minimum garanti ; pour éviter l'écueil, on considère que l'allocation ne doit pas diminuer en fonction directe de l'accroissement des ressources, mais que le montant de l'allocation doit diminuer plus lentement que n'augmentent les gains.

Autant de façon de comptabiliser les pauvres que de pauvres ?

Il est déjà délicat de s'accorder sur une mesure de la pauvreté dans les pays de l'OCDE, cela devient plus délicat encore quand on se penche sur les pays en voie de développement ; les approches monétaires ne suffisent plus. Néanmoins, les approches complémentaires n'emportent pas toujours l'adhésion.

Mesures absolues et mesures relatives

Les questions de méthode abondent. Quelle unité étudier : l'individu, le ménage, la famille ? Quel concept de revenu privilégier : revenu courant, dépenses courantes, richesse, prise en compte des revenus implicites tirés de détentions patrimoniales ? Comment tenir compte du logement ? Faut-il mesurer le bien être en termes de biens de consommation ou de services ? Doit-on prendre en compte la production domestique et le loisir dans le mesure du bien être ? Faut-il inclure les revenus en nature (loyers fictifs, services publics...), les aides et transferts entre ménages ? Sur quelle période de temps faut-il observer le revenu. pour lisser les aléas des trajectoires individuelles ? Une fois tranchées ces questions, et conformément aux discussions engagées plus haut, il faut encore s'interroger sur le fait de savoir si la pauvreté est un manque objectif de biens et de services ou un manque relatif au niveau atteint par la société où le pauvre vit.

Aux Etats-Unis, la pauvreté est définie de manière absolue, en référence à certains besoins fondamentaux, évalués en termes de biens de consommation. On pourrait croire que les pauvres sont partiellement exclus des objets de consommation les plus récents. Les choses sont en réalité plus complexes. C'est ainsi que plus des deux tiers des ménages en dessous du seuil de la pauvreté aux Etats-Unis en 1995 avaient une voiture, un téléviseur, un magnétoscope, et le pourcentage de ceux ayant un ordinateur était même proche de celui de l'ensemble des ménages français disposant de cet équipement à l'époque. Le "pauvre" américain type (environ 8 000 dollars par an pour un individu isolé) est un homme riche dans la plupart des pays du tiers-monde, et il jouit d'un revenu supérieur au revenu moyen en Pologne.

En Europe, le seuil de pauvreté est fixé à 60% du revenu médian de chaque pays, il s'agit donc d'une mesure relative. Avant l'accueil de nouveaux membres, cela donnait déjà le résultat surprenant que le seuil de pauvreté absolue au Luxembourg était, en standard de pouvoir d'achat, trois fois plus élevé qu'au Portugal. Si l'on accepte ces écarts au niveau international, il faudrait sans doute être capable de les accepter au niveau interrégional au sein de chaque Etat européen. Cela permettrait effectivement de s'intéresser aux conditions de vie concrètes des pauvres. En réalité, les mesures de la pauvreté relative se rapprochent davantage d'une mesure des inégalités.

Cette difficulté à trouver le centre d'une comparaison internationale de la pauvreté et de l'inégalité se retrouve dans le fait que le Programme des Nations Unies pour le Développement a développé un indice de la pauvreté humaine pour les pays en développement (IPH-1) qui se base sur des variables très différentes de l'indice de la pauvreté humaine pour les pays de l'OCDE à revenu élevé (IPH-2). (Pour les méthodes de calcul précises de ces deux méthodes, voir le premier chapitre de ce site).

Il n'y a pas que l'argent qui compte

Le revenu n'est qu'une mesure du bien-être parmi d'autres. L'indice du développement humain des Nations Unies comprend trois composantes essentielles : le revenu par habitant, la durée de vie et le niveau d'alphabétisme. Ce genre d'indice propose une vision plus composite de la pauvreté, car il va au-delà des simples mesures de pauvreté en matière de revenu. Mesurer le dénuement selon les aspects santé et éducation est une tradition qui remonte aux économistes classiques tels que Malthus, Ricardo et Marx.

Mais les données concernant ces indicateurs autres que le revenu ne sont pas sans soulever de sérieux problèmes. Par exemple, les taux de mortalité infantile tirés des recensements et des enquêtes ne sont pas fournis régulièrement ; la meilleure source de données sur la mortalité est un système d'état civil rigoureux, chose rare dans les PVD. Dans la plupart de ces pays, on ne dispose de taux de mortalité infantile que pour une année depuis 1990, et l'année de référence n'est pas la même pour tous ; la situation est encore plus difficile pour l'espérance de vie, car il est fréquent qu'elle ne soit pas mesurée directement.

Dans le cas de l'éducation également, les données sont loin d'être satisfaisantes. L'indicateur le plus courant, le taux brut de scolarisation primaire, présente de graves lacunes. La principale est qu'il ne représente qu'une approximation du taux de fréquentation et qu'il peut augmenter parallèlement au taux de redoublement. Le taux net de scolarisation primaire (qui indique le rapport des enfants d'âge primaire inscrits au nombre total d'enfants d'âge primaire), préférable, n'est disponible que pour une minorité de PVD. Par ailleurs, comme on le verra plus loin, on n'a commencé que tardivement à s'intéresser à la qualité des savoirs transmis, qui a évidemment des conséquences sur les possibilités de sortie ultérieures de la pauvreté…

Finalement, dans une vision élargit des facteurs non monétaires, on devrait tenir compte, à l'instar d'Amartya Sen, des droits, des capacités et des libertés ; la privation des droits fondamentaux de la personne est une forme spéciale de pauvreté et l'expérience nous montre qu'elle contribue à enfermer les pauvres dans leur condition. Toute mesure en la matière s'avère toutefois extrêmement délicate, même si quelques instituts de recherche publient chaque année des classements internationaux (le "Freedom index" de la Heritage foundation, par exemple).

Enfin, si l'on définit la pauvreté comme un phénomène pluridimensionnel, on est amené à se demander comment la mesurer dans son ensemble et comment comparer les avancées sur les différents fronts, chacun pouvant évoluer dans un sens différent. On est donc amené à s'interroger sur la valeur relative des différentes dimensions : à quelle fraction de revenu les gens acceptent-ils de renoncer pour, disons, une unité d'amélioration de la santé ou de possibilité de s'exprimer ? En d'autres termes, quel poids attribuer aux différentes dimensions pour que les comparaisons entre pays, entre ménages ou individus et dans le temps soient possibles ? La réponse n'est pas évidente, et là encore l'arbitraire statistique n'est pas loin.

Dans le dédale des mesures internationales

Il existe au moins trois grandes sources de problèmes avec les mesures à l'échelle du monde :

a/ PPA : il faut prendre en compte les pouvoirs d'achat, c'est-à-dire ce que les gens peuvent réellement acheter avec leur argent (un même dollar n'achète pas la même chose en Suisse et en Sierra Leone) et assurer leur parité, c'est-à-dire égaliser au niveau mondial les prix des produits identiques ; on utilise pour cela des taux de change ad hoc calculés par la Banque mondiale et par l'OCDE, qui ne sont pas pleinement satisfaisants. C'est ainsi que les dates de référence diffèrent et sont régulièrement modifiées.

b/ Sous déclaration : les données d'enquête sont imparfaites car elles tendent à sous-estimer, dans des proportions croissantes avec le temps et différentes selon les pays, le revenu et la consommation par rapport aux données de la comptabilité nationale ; une correction, basée sur une sous-déclaration croissante avec le revenu, doit être opérée… Comme nous le verrons plus loin, c'est le point qui différencie la Banque mondiale des travaux de Bhalla et Sala-i-Martin.

Au total, selon que deux familles de corrections brièvement présentées ci-dessus sont effectuées ou non, on obtient pour un pays des résultats qui varient du tout au tout. Si l'on ajoute à cela que les données sont souvent délicates à collecter dans des pays où de nombreuses personnes échappent aux recensements (Chine, Inde…) et où l'économie informelle peut atteindre de 30 à 50% du PIB  (pays de l'ex-URSS et de l'Asie centrale, pays Andins) ...

c/ enfin, notons qu'il existe de vives disparités au sein des pays : les chiffres nationaux sont souvent peu révélateurs. Dans certains pays, la pauvreté dans les zones urbaines et rurales évolue dans des directions opposées ; au Mexique, la pauvreté augmente dans la région du Chiapas, alors que le taux de pauvreté national est en baisse du fait du décollage industriel le long de la frontière avec les Etats-Unis. Dans un pays comme l'Inde, les trajectoires d'Etats comme le Kerala et l'Orissa sont radicalement divergentes ; en Chine, l'essentiel des progrès est réalisé dans trois provinces côtières…

Net recul de la pauvreté, mais évolution très différenciée selon les régions du monde

Où l'on découvre 1/ que la pauvreté globale tend à diminuer depuis la fin des années 1970, 2/ que les trajectoires nationales et régionales sont extrêmement disparates. En conséquence, il ne semble pas qu'il y ait de "loi générale" en vue…

Les études récentes concluent à une baisse drastique de la pauvreté depuis plus de vingt ans

Sur le plan monétaire : Bhalla et Sala-i-Martin versus PNUD et Banque mondiale

Les sources les plus autorisées en conviennent : la part de la population mondiale en situation de pauvreté absolue (moins de un dollar par personne et par jour), environ 15% du total mondial aujourd'hui, est plus basse qu'elle ne l'a jamais été au cours de l'histoire. En 1890, 80% de la population mondiale vivait avec un dollar par jour, et en 1950 environ 50% de la population mondiale – ces calculs sont effectués en dollars de 1990 par Angus Maddison et les économistes de l'OCDE.

Mais le sujet ne fait pas totalement consensus entre les auteurs et à l'intérieur des institutions.

C'est ainsi que la Banque mondiale semble tiraillée par deux exigences contradictoires. D'un coté, ses experts (en tête : Chen et Ravallion) reconnaissent que l'incidence de l'extrême pauvreté (une consommation inférieure à un dollar par jour et par personne) est passé de 40% à 21% de la population mondiale entre 1981 et 2001, tandis que pour le seuil des deux dollars on passait de 66% à 53% sur la même période. Mais, d'un autre coté, la Banque mondiale reste très prudente sur le sujet du fait de son statut d'institution leader dans la promotion des ODM (objectifs du Millénaire) pour 2015. En effet, si les études de Sala-i-Martin et Bhalla sont correctes, les objectifs fixés pour 2015 étaient déjà atteints en 2000, c'est-à-dire au moment où ils furent fixés par les responsable politiques conseillés par la Banque mondiale. L'institution ne semble pas très à l'aise sur ce sujet, comme en témoignent ses évaluations globales, à géométrie variable. On peut lire dans le Rapport sur le développement mondial(2000-2001) : " Le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour a augmenté de 1,18 milliard en 1987 à 1,20 en 1998, une augmentation de 20 millions". Le Rapport "Globalisation, Croissance et Pauvreté" (2001) paraît moins alarmiste : " Le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour n'a pas changé entre 1987 et 1998". En comparaison, le Rapport sur le rôle et l'efficacité de l'aide au développement (mars 2002) deviendrait presque optimiste : "Au cours des vingt dernières années, le nombre de personnes vivant avec moins de 1 dollar par jour a chuté de 200 millions, bien que la population mondiale ait cru de 1,6 milliard". Ces conclusions sont tirées alors même que des modifications statistiques ont été introduites qui perturbent les comparaisons dans le temps.

Les études de Bhalla (2002) et Sala-i-Martin (2003) représentent l'état le plus avancé de la science économique sur la question. Alors que les estimations de la Banque mondiale sont fondées sur les enquêtes de budget des ménages non corrigées (les dépenses déclarées sont considérées comme effectives, alors qu'elles sont nettement inférieures à celles indiquées par les comptes nationaux), ces auteurs redressent les dépenses de consommation des ménages pauvres ; les résultats globaux sont dès lors bien plus optimistes quant au recul de la pauvreté. Au total, le seuil de un dollar par jour ne serait pas atteint par 400 à 600 millions d'individus, contre le double environ pour la Banque mondiale. La quasi-stabilité du nombre de pauvres invoquée par certains économistes est de toute façon incompatible avec deux faits stylisés concomitants reconnus par l'unanimité les observateurs : 1/ l'augmentation du revenu moyen mondial depuis 1980, et 2/ la hausse de la part des 40% les plus pauvres dans le revenu mondial.

Sur le plan extra-monétaire, des améliorations très sensibles et continues

L'espérance vie progresse partout, sauf dans des cas très particuliers : Rwanda-Burundi-Congo (du fait de la guerre), Botswana-Uganda-Zambia (du fait du VIH), certains pays de l'ex-URSS. Selon le PNUD, l'espérance de vie moyenne dans les PVD a continuellement augmentée : 30 ans en 1900, 41 ans en 1950, 55 ans en 1970, 65 ans en 1998. Une Chilienne née en 1910 avait une longévité de 33 ans ; aujourd'hui, son espérance de vie dépasse 78 ans. En 1910, elle avait une chance sur trois de mourir avant l'âge de 5 ans ; aujourd'hui, moins d'une sur cinquante. La proportion de personnes sous alimentées dans les PVD est passée de 37% en 1970 à 29% en 1980, 20% en 1991 et 15% en 2003. Grâce aux progrès de la médecine, on peut maintenant obtenir une année supplémentaire de vie à moindre coût.

Prenons l'Égypte. Il s'agit d'un pays où la croissance économique a été très décevante au cours des dernières décennies, surtout lorsqu'elle est mesurée par tête. Et pourtant, sur le plan de la durée de vie, ce pays a fait des avancées considérables, à la fois en termes absolus et relativement aux Etats-Unis : de 48 ans seulement en 1965, contre 69 aux États-Unis, l'espérance de vie à la naissance avait sauté en 1995 à 66 ans, à peine 9 ans de moins que le chiffre américain pour cette année-là. Ce qui vaut pour l'Égypte ou le Chili vaut aussi pour les PVD dans leur ensemble : la durée de la vie a plus augmenté dans les pays pauvres que dans les pays riches, grâce en particulier aux progrès enregistrées sur les catégories sociales les plus démunies. Les calculs basés uniquement sur les revenus pourraient ainsi sous-estimer largement le phénomène de recul de la pauvreté.

Les destins divergents

Un tiers seulement des PVD ont enregistré une réduction de la pauvreté en nombre absolu (le nombre de personnes pauvres, et non le taux de pauvreté), mais les pays concernés rassemblent 80% de la population des pays en développement.

Des transformations spectaculaires en Asie

Plus de la moitié des pauvres de la planète vivent encore aujourd'hui en Chine et en Inde. Dans ces deux pays, le niveau de vie des ménages appartenant au quintile inférieur de la distribution des revenus a augmenté deux à trois fois plus vite que celui des ménages appartenant au quintile supérieur de la distribution des revenus aux Etats-Unis. Et, depuis le début des années 1990, le Bangladesh et le Vietnam, par exemple, enregistrent des performances plus impressionnantes encore. Il en résulte l'émergence d'une grande classe moyenne asiatique d'un demi milliard d'individus environ.

Ailleurs, les taux de pauvreté reculent, hormis dans certains pays d'Afrique sub-saharienne

Depuis 50 ans, dans les PVD, une triple augmentation a eu lieu : celle du revenu moyen, celle de la population et celle de l'espérance de vie. Cette dernière a plus que doublé dans l'ensemble des pays les moins avancés au cours de cette période ; même l'Amérique Latine, bien connue pour son instabilité chronique, a progressé dans son ensemble (par exemple, la pauvreté absolue régresse assez sensiblement au Mexique, au Brésil, au Chili…). L'Afrique sub-saharienne est la seule région où ait lieu une effective paupérisation absolue, et non pas seulement une aggravation de l'écart avec les pays riches. Même certaines variables non monétaires de la pauvreté ne reculent pas. Et pourtant, l'Afrique vit sous perfusion : elle a reçu, par habitant, de 1960 à 2000, quatre fois plus de crédits publics (non remboursés) et d'aides que l'Amérique Latine et l'Asie réunies… on estime qu'en 2015 la majorité des personnes vivant avec moins de un dollar par jour habitera en Afrique.

Pourquoi la pauvreté recule-t-elle ? que faire pour que cela dure ?

On reproche souvent aux économistes de consacrer 90% de leur agenda de recherche à la croissance. En fait, cela tombe bien : les pays où la pauvreté ne recule pas sont aussi ceux où la croissance est la plus faible. Peut-on dégager une théorie en la matière ? Et quelles pistes pour dynamiser cette croissance favorable aux plus démunis des pays en développement ?

Le rôle central de la croissance

La règle du "one to one" de David Dollar et Art Kraay

En 2000, deux économistes de la Banque mondiale, David Dollar et Art Kraay, dans une étude rétrospective sur quarante ans portant sur 125 pays, concluent que la croissance du revenu dans les pays les plus pauvres (ceux qui se trouvent dans le cinquième inférieur de l'échelle mondiale des revenus) est en pourcentage la même (à long terme) que celle de l'ensemble des pays du reste du monde ; durant les années 1990, années de mondialisation accrue, cette tendance est restée inchangée : lorsque le revenu moyen par habitant sur la planète augmente de 1%, celui des pays les plus pauvres augmente dans la même proportion (loi du "one to one"). Les pauvres ne restent donc pas à l'écart de la croissance. Et cette croissance va systématiquement de pair avec la réduction des taux de pauvreté.

Un cas pratique

Prenons l'exemple du Vietnam, où Dollar et Kraay disposent d'un rapport basé sur le même échantillon représentatif de ménages au début de la libéralisation (1993) et cinq ans plus tard. La majorité des ménages sont paysans. Le prix de leur output principal, le riz, a beaucoup augmenté, tandis que le prix du principal input (les fertilisants) baissait. Les familles pauvres ont grandement bénéficié de cet “effet ciseau inversé” sans lien avec les évolutions salariales. Mais de nombreux ménages de l'échantillon ont aussi envoyé un membre de leur famille vers une ville proche pour travailler dans le secteur manufacturier naissant. Or, le travail en usine était payé, en 1989, environ 9 dollars par mois (en monnaie locale), contre 50 dollars par mois au moins quelques années plus tard dans une usine fabriquant des chaussures pour le marché américain. Par conséquent, le salaire de la main d'œuvre peu qualifiée a considérablement augmenté, ce qui a beaucoup aidé les familles restées à la campagne. Mais comme, dans le même temps, les salaires ont littéralement explosé pour les travailleurs relativement plus qualifiés (programmeurs informatiques, interprètes en anglais…), alors on peut dire que les inégalités salariales progressent vivement dans un Vietnam où le taux de pauvreté absolue diminue substantiellement…

Exploration de quelques pistes destinées à pérenniser le trend de recul de la pauvreté

Les pistes douteuses

a/ Le protectionnisme au Sud n'est pas une piste, c'est Kofi Annan qui le dit : "Les principaux perdants dans le monde inégalitaire d'aujourd'hui ne sont pas ceux qui sont exposés à la mondialisation. Ce sont ceux qui en sont exclus" (2000). Les pays d'Amérique Latine et du Maghreb en ont fait l'expérience : aussi séduisantes soient-elles sur le papier, les théories du développement autocentré, de la substitution aux importations et de la protection des industries dans l'enfance ont montré leurs limites et engendré des pertes de bien-être importantes.

N'oublions pas que le grand recul de la pauvreté absolue a eu lieu au cours de la phase dite de globalisation (années 1980 et 1990), caractérisée par un recul global des différentes formes de protectionnisme.

Le protectionnisme au Nord est quant à lui un puissant frein au décollage des PVD : lorsqu'ils veulent pénétrer nos marchés, les pays pauvres font face à des taux effectifs de protection en moyenne quatre à cinq fois plus élevés que ceux appliqués aux pays riches. Par exemple, les Etats-Unis perçoivent plus de droits de douane sur les importations en provenance du Bangladesh que sur celles en provenance de France, alors qu'ils commercent beaucoup plus avec ce second pays. Les droits de douane plus élevés dans les pays OCDE pour les biens bon marché que pour les biens de luxe peuvent être analysés comme autant de taxes régressives pour les pauvres.

b/ L'annulation de la dette : au sommet du G7 de Cologne, en juin 1999, on décidait d'annuler près de 70 milliards de dollars de dette de 41 pays pauvres très endettés (les "PPTE"). Mais les programmes de réduction de la dette ont fait l'objet d'une évaluation d'où il ressort que leur efficacité est limitée.

c/ Le développement de l'éducation primaire n'est pas une panacée. Les PVD ont investimassivement dans l'éducation depuis 1960 ; hélas, le retour sur investissement a été souvent décevant, sauf en Asie de l'Est. Les pays aux plus forts taux de croissance dans les dépenses d'éducation ont eu des taux de croissance très mauvais, et donc de piètres performances sur le front de la pauvreté : Ghana, Madagascar, Sénégal…
Cela est peut-être dû à la faible qualité des enseignements dans les PVD : place prépondérante de l'idéologie au lieu de l'acquisition des savoirs, faible qualification des enseignants du fait du népotisme politique (selon Easterly, 75% des maîtres au Pakistan ne seraient pas reçus aux examens qu'ils font passer à leurs élèves). C'est ainsi qu'un pays comme Cuba peut enregistrer de très bon taux de scolarisation depuis des décennies sans que cela ne se traduise par un quelconque frémissement de la croissance économique. Selon Easterly (2001), la croissance du PIB par tête sur la période 1960-1985 à été de 4,2% par an en Asie de l'Est (où la croissance annuelle des dépenses d'éducation par tête n'a été que de 2,8%) tandis qu'elle n'a atteint que 0,5% par an sur la même période en Afrique sub-saharienne (où la croissance annuelle des dépenses d'éducation par tête était de 4,3%).

De plus, dans les États avec peu d'opportunités économiques, l'utilité de l'éducation est assez faible, du moins à court ou moyen terme. Si la croissance est faible, l'incitation à continuer les études le sera aussi. Par exemple, au Vietnam, il y a eu une hausse considérable du taux de scolarisation dans le système secondaire au cours des années 1990 (on est passé d'un peu plus de 30% à près de 60%). Cette évolution est due moins aux investissements gouvernementaux qu'aux décisions des ménages : dans un contexte de forte croissance suite à la libéralisation partielle de l'économie vietnamienne, le rendement perçu par les ménages pauvres de quelques années d'éducation supplémentaires a beaucoup augmenté puisque désormais des emplois plus qualifiés se profilent à la fin du parcours scolaire. Autrement dit, au-delà de la formation primaire, la croissance semble être première, et l'éducation seconde.

Les pistes sérieuses

Deux pistes incontournables, solidement documentées, font l'unanimité des experts.

a/ La qualité des institutions. Au sens large, cela peut concerner aussi bien la garantie des droits de propriété (quand le droit de propriété existe et est protégé, les groupes défavorisés ont plus de chances de prendre leur place dans la société que dans un système dominé par la puissance publique où seuls les personnes proches du pouvoir ont accès aux ressources) que des codes sociaux moins défavorables au travail ou des structures étatiques moins capturées par des intérêts ethniques. La corruption reste l'un des principaux obstacles au recul de la pauvreté dans de nombreux pays.

b/ Investir dans la santé. Selon l'OMS, un effort supplémentaire de santé de l'ordre de 0,1% des pays de l'OCDE et de 1% de PIB des pays concernés, avec pour objectif de tripler la dépense de santé par tête en Afrique sub-saharienne, permettrait de sauver 8 millions de vie chaque année et aurait un profond impact sur le taux de pauvreté. La plupart des études disponibles estiment qu'une année d'espérance de vie supplémentaire accroît de quelque 4% environ le PIB par habitant d'un pays. C'est probablement dans le domaine de la santé que le dollar investi dans la lutte contre la pauvreté obtient le plus haut rendement, en particulier du fait que les problèmes de santé affectent la formation du capital (physique et humain) ; trois fléaux sont considérés comme prioritaires : tuberculose, malaria et VIH. Mais, aujourd'hui, seulement 10% de l'aide publique au développement sont alloués directement aux questions de santé.

Les pistes complémentaires

Des pistes innovantes, qui sont testées avec succès "sur le terrain" et qui ne nécessitent pas d'investissements lourds, existent : le micro-crédit (Bangladesh) et le recul de la protection douanière des pays riches (sur les produits agricoles et textiles en particulier) sont des solutions souvent avancées. Nous allons présenter ici brièvement deux pistes de ce genre, moins connues que les précédentes mais très prometteuses.

a/ Rendre vie au "capital dormant". Ce n'est pas toujours l'épargne qui fait défaut aux PVD. Il existe dans les mégalopoles du tiers-monde un parc immobilier dont la qualité est ce qu'elle est, mais qui, évaluée aux prix des transactions qui s'y déroulent dans la pénombre de l'économie parallèle, représente un capital global d'une grande valeur. Selon Hernando de Soto, l'ensemble de l'actif immobilier accumulé par les PVD représenterait plus de 9 000 milliards de dollars, soit vingt fois le montant total des IDE dans ces pays au cours des années 1990. De Soto a concentré son attention sur le plus tangible des actifs, l'immobilier car, d'une part, les constructions ne peuvent se cacher et les techniques d'estimation sont fiables, d'autre part l'immobilier représente près des trois quarts de la richesse totale dans les PVD, contre à peine la moitié dans les pays de l'OCDE, et constitue donc une composante essentielle dans le processus de formation du capital.

Comment se fait-il qu'en dépit de cette réserve de capital ces économies continuent de stagner ? C'est parce que ce capital reste du "capital dormant", une épargne bloquée dans la pierre et qu'il est quasiment impossible de le transformer en capital financier producteur de valeur ajoutée. C'est un capital qu'on ne peut pas faire travailler pour obtenir des prêts pour développer de nouvelles activités parce que rares sont, dans ces pays, ceux qui peuvent légalement démontrer qu'ils en sont les vrais propriétaires. Il en résulte que c'est un capital qui ne circule pas, parce qu'on ne peut pas le vendre ni l'acheter avec toutes les garanties que l'on trouve dans les systèmes juridiques modernes. Depuis des siècles les sociétés occidentales ont développé un ensemble complexe de procédures, d'instruments et d'outils qui permettent de définir, de mesurer, d'enregistrer, de garantir, de transmettre, avec une précision croissante, les droits de propriété acquis et échangés. Ce cadre juridique fonctionne comme une sorte d'échafaudage d'hypothèques et d'escomptes d'hypothèques à caractère de plus en plus dématérialisé, qui permet en définitive à la propriété d'atteindre, sur des marchés en toute sécurité, sa valeur maximale d'utilisation. C'est ce processus pyramidal de "titrisation" des actifs fonciers et immobiliers qui est à la source du phénomène d'accumulation créative du capital qui donne son nom au "capitalisme". Dans les PVD, la situation est radicalement différente. La plupart des biens et actifs immobiliers construits l'ont été sur des terrains pour lesquels les occupants ne disposent d'aucun titre de propriété officiel ; les titres représentatifs qui circulent n'ont, aux yeux des juristes, aucune valeur légale car relevant de procédures de voisinage coutumières, instables et peu fiables. Le cadastre manque souvent, c'est le témoignage des voisins qui permet d'établir que c'est bien untel qui est propriétaire. Pas de notaire, pas d'huissiers. Il existe en principe des procédures pour transformer une occupation ou une activité de nature informelle en un droit de propriété moderne, sûr, fongible, liquide ; mais les obstacles qui se dressent sont tels (maquis des procédures administratives, dessous de table) qu'il faut des années pour y arriver, et la plupart des gens préfèrent rationnellement y renoncer. C'est ainsi que ceux qui vivent de l'économie parallèle en restent prisonniers, malgré les coûts élevés qu'implique de fonctionner de manière souterraine. Les pays pauvres se privent ainsi du concours de ressources humaines et financières qui ne demanderaient qu'à fonctionner de manière productive. C'est ici que se jouera probablement le développement : les gouvernants africains intégreront-ils ces ressources dans un ordre juridique cohérent où elles pourront prospérer ou continueront-ils à protéger les anciennes élites, ces gens qui craignent l'arrivée massive des pauvres dans les villes et qui leur barrent l'accès aux activité légales et aux logements par des législations discriminatoires ?

b/ La migration internationale du facteur travail. Les millions de travailleurs immigrés qui envoient une partie de leur salaire à leur famille contribuent puissamment à aider les pauvres. En 2001, ces travailleurs ont envoyé à leur famille la somme de 43 milliards de dollars, soit plus que le double par rapport à une décennie auparavant. C'est plus que l'aide publique au développement (APD) totale accordée cette année-là aux PVD. Pour les nombreuses petites économies généralement très dépendantes à l'égard de quelques produits et donc très vulnérables à des crises externes ou climatiques, les versements effectués par les immigrés constituent la meilleure assurance dont ils disposent. En Jamaïque, ces versements représentent plus de 10% du PIB annuel en moyenne, plus que le double des IDE. Après l'ouragan Gilbert (1988), ils ont augmenté de 25 cents pour chaque dollar de dommages causés par l'ouragan. Mêmes remarques pour le Honduras, le Bangladesh, l'Arménie, etc. Des régions comme le Mexique, le Maghreb ou les Philippines connaîtraient de sérieuses difficultés si ces flux liés à l'ouverture des frontières venaient à se tarir. De plus, étant donné que les membres de la famille sont les meilleurs juges de leurs besoins, les versements issus de la migration constituent une structure d'aide étrangère mieux ciblée et plus efficace qu'aucun programme officiel. Pour améliorer encore ce canal de stabilité, on pourrait chercher à réduire les frais souvent exorbitants que ces travailleurs payent aux institutions financières spécialisées dans les transferts de fonds et dans les échanges de devises ; la réduction de ces frais équivaudrait de facto à une baisse d'impôts pour les plus pauvres du monde. Une réflexion en ce sens a été amorcée par l'OMC (voir son rapport annuel 2004) et par le gouvernement des Etats-Unis (voir le dernier rapport du Council of Economic Advisors).

Conclusion

On peut faire le résumé des études économiques récentes en huit points :

1/ Pas de fatalité géographique (même si certains économistes pointent le rôle de la proximité à l'équateur) ou historique ou autre. Dans les années 1950, le taux de pauvreté absolue en Corée du Sud équivalait à celui des pays de l'Afrique des Grands Lacs...

2/ Seules certitudes : pas de recul de la pauvreté sans croissance – ce qui rend fort insolite le débat européen sur la "croissance zéro" ou la "décroissance" ; pas de croissance sans stabilité politique et sans des droits de propriété bien précisés et bien défendus ; l'ouverture maîtrisée au commerce international est partout un facteur d'accélération de la croissance.

3/ Plus de 80% des pauvres sont des ruraux, et les premières victimes de la pauvreté sont les femmes. Un défi démographique, la population des 48 pays les moins développés : elle devrait passer, selon l'ONU (2001), de 600 millions en 2000 à 1,15 milliard en 2025 et 1,8 milliards en 2050. Autre constat, perturbant mais bien dans la lignée de la stagnation d'une Espagne chargée d'or après les grandes découvertes : le nombre de pauvres augmente beaucoup depuis 30 ans dans de nombreux pays parmi les principaux exportateurs mondiaux de pétrole : Venezuela, Nigeria, Angola, Irak… Le problème de la pauvreté n'est pas tant un problème de ressources que de judicieuse utilisation des ressources.

4/ Jamais de famines en démocratie (voir les travaux d'Amartya Sen) ; on sait aussi, depuis Alexis de Tocqueville, que les peuples démocratiques manifestent un amour ardent et durable pour l'égalité. Gigantesque défi, en tout premier lieu en Chine…

5/ Les travaux d'Esther Duflo, par exemple, et plus généralement les expériences en situation réelle, mettent l'accent sur une approche micro (de quelles informations dispose réellement la personne démunie ? Quelles sont les contraintes auxquelles elle est confrontée ?) et sur des évaluations dites randomisées pour les aides internationales (la randomisation désigne une technique de distribution aléatoire pour constituer des groupes de sujets aussi comparables que possible en dehors de la variable que l'on étudie). A suivre.

6/ Ne pas oublier pour autant le rôle des politiques macroéconomiques (promotion d'une monnaie stable, politique budgétaire soutenable), et de la stabilité financière. L'élasticité de la pauvreté aux retournements de conjoncture est d'autant moins élevée que l'inflation est faible, l'économie ouverte et les comptes publics proches de l'équilibre. On sait aussi que la perception que "les pauvres deviennent plus pauvres et les riches deviennent plus riches" est fortement corrélée à l'inflation.

 

7/ Aider les pauvres suppose plus que de l'argent ou des médicaments ou des baisses de tarifs douaniers : de la fraternité, de l'écoute. C'est pourquoi les associations ou les églises sont probablement plus efficaces que les gouvernements sur le terrain. C'est une piste à creuser dans de nombreux pays de l'OCDE où l'environnement juridique n'est pas aussi favorable qu'aux Etats-Unis pour la création de puissantes fondations caritatives privées, en particulier dans le domaine de la santé.

 

Bibliographie

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