Grégoire de Warren : Les stratégies internationales des entreprises françaises

Grégoire de Warren est adjoint du chef du Pôle d’analyse économique du secteur financier à la Direction générale du Trésor. Il est notamment l'auteur de la note du Trésor : « Les stratégies internationales des entreprises françaises »

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1) Comment explique-t-on la dégradation du nombre d’exportateurs français entre 2000 et 2011 ?

La baisse du nombre d’entreprises exportatrices dans les années 2000 (-9 000 environ) est essentiellement le fait de PME indépendantes, plutôt petites et souvent primo-exportatrices (qui exportent pour la première fois).

Les PME françaises sont freinées dans leur développement à l'international par leur taille et leur capacité d'innovation. Quand elles exportent, elles n'exportent en général que vers un ou deux pays, généralement situés dans le voisinage de la France, et environ 30 % d'entre elles ne parviennent pas à se maintenir plus d'un an sur leur marché à l’export. De manière plus générale, la diminution de nos performances à l’export dans les années 2000 peut également s’expliquer par différents facteurs plus structurels tels qu’un recul de la compétitivité prix en France, des carences en termes d'innovation et de compétitivité « hors prix » (effets qualité, implication commerciale des dirigeants, service après-vente, etc.) ainsi que des freins culturels à l’ouverture au commerce international de la part de certaines de nos entreprises. La réduction progressive du poids de l’industrie manufacturière dans l’économie française, au profit des activités de services, au cours de cette période a pu également contribuer à la baisse du nombre d’exportateurs (PME sous-traitantes de groupes industriels).

A titre de comparaison, les PME allemandes sont dans l’ensemble plus grandes, plus innovantes et culturellement plus orientées vers l’export. L’appareil industriel français est ainsi confronté à un certain handicap, en comparaison de l'Allemagne, pour se tourner vers l'exportation, notamment vers les zones lointaines.

Pour autant, d’un point de vue macro-économique, ce recul du nombre d’exportateurs n’a eu qu'un impact très limité en termes d'exportations, le chiffre d’affaires à l’export des entreprises ayant arrêté d’exporter dans les années 2000 ne dépassant pas 1 % du chiffre d’affaires total à l'export. Les performances décevantes de la France en matière d'exportations dans les années 2000 sont essentiellement imputables aux performances des grandes entreprises exportatrices[1].

2) La France devrait-elle suivre le modèle allemand en termes des stratégies d’internationalisation ?

Les stratégies d’internationalisation des entreprises témoignent de la structuration globale de l’appareil productif et de choix de politiques publiques, et répondent à des préférences culturelles et stratégiques propres à chaque économie ou pays. Il n’existe ainsi pas nécessairement de modèle préférentiel.

Les choix d’internationalisation des entreprises françaises ont contribué à la dégradation de notre balance commerciale, compensée partiellement par nos revenus d’IDE, ce qui traduit en partie les décisions des grands groupes français, qui ont opté pour la délocalisation de certaines de leurs activités à l’étranger à partir du milieu des années 2000. Ces revenus d’IDE ont par ailleurs contribué à soutenir la valorisation de nos grandes entreprises : 19 entreprises françaises sont enregistrées au sein de l'Euro Stoxx 50 contre seulement 14 allemandes et 5 italiennes. Au final, malgré un déficit commercial significatif, le solde courant de la France se situe à un niveau proche de l'équilibre (-0,6% du PIB en 2019).

Dans le même temps, le solde courant allemand, qui était proche de l’équilibre au début des années 2000, a très fortement progressé, notamment porté par l’amélioration du solde commercial des biens et des services, ainsi que dans une moindre mesure, par le solde des revenus d’IDE. Les stratégies d’internationalisation des entreprises allemandes ont contribué à cet excédent, avec un volume élevé d’exportations depuis le site Allemagne couplé à des investissements à l’étranger importants permettant principalement de développer des unités de production fournissant l’appareil productif allemand en biens intermédiaires.

Au-delà des effets sur les équilibres macroéconomiques externes induits par les modèles d’internationalisation des entreprises, les stratégies des entreprises modifient la structure productive des pays d’origine. Ces stratégies vont ainsi affecter l’emploi, en favorisant le remplacement des emplois faiblement qualifié par des emplois à plus forte valeur ajoutée, ainsi que le tissu productif, par le biais des délocalisations et des mouvements de concentration de l’appareil de production, avec de possibles conséquences sur l’aménagement du territoire.

3) Comment l’Italie arrive-t-elle à rester compétitive à l’international si ces entreprises sont plus petites que celles avec lesquelles elles sont en compétition ?

L’Italie connaît un dynamisme de ses exportations comparable à celui de la France depuis le début des années 1990, et le volume des exportations italiennes dans le PIB est similaire à celui observé en France (aux alentours de 30 %). 

Les performances à l’export de l’Italie reposent principalement sur le dynamisme commercial du tissu entrepreneurial italien, assez largement composé d’entreprises familiales de type PME et ETI, souvent organisées en réseaux sectoriels spécialisés soutenus par les pouvoirs publics (les districts industriels). Elles peuvent également s’expliquer par le positionnement en gamme de l’offre italienne, avec des secteurs de pointe très compétitifs et intégrés aux chaînes de valeur d’Europe centrale (sous-traitants de l’industrie allemande notamment), ainsi que des spécialisations sectorielles dans des secteurs particulièrement porteurs à l’export tels que les véhicules automobiles ou encore les produits pharmaceutiques. L’Italie présente ainsi un excédent commercial (hors énergie) depuis plus de vingt ans, qui s’explique aussi par de moindres importations qu’en France, le pays disposant d’un secteur manufacturier plus important en proportion du PIB (force du Made in Italy chez le consommateur italien).

Pour autant, le volume total d’exportations reste inférieur à celui de la France et en moyenne, les PME italiennes accèdent moins au marché de l’export que les entreprises françaises (3,7 % seulement des entreprises de moins de 250 salariés sont exportatrices contre près de 7 % en France). La prépondérance des PME ainsi que l’émiettement du tissu industriel italien, qui peut s’expliquer par différents facteurs historiques, juridiques (régimes de succession favorisant le capitalisme familial) ainsi que par le niveau de décentralisation et de régionalisation important du pays, peut-être un handicap pour exporter, malgré un fort soutien de l’export par l’Etat et les régions.

Enfin, le nombre élevé d’exportateurs en Italie (220 000) par rapport au nombre d’exportateurs français (130 000), qui s’explique principalement par l’émiettement du tissu d’entreprises italien, peut également s’expliquer par différents biais méthodologiques (divergences dans le profilage, différences dans le seuil de déclaration du chiffre d’affaire à l’export par les entreprises – plus de deux fois plus élevé en France qu’en Italie, etc.).

4) Qu’est-ce que la « rotation au sein des exportateurs » ?

Il s’agit de la mesure de la capacité des entreprises à rester dans la durée au sein de notre appareil exportateur : il peut être mesuré par les taux d’entrants et de sortants (soit la part des entreprises qui exportent pour la première fois ou qui viennent juste d’arrêter d’exporter), le nombre d’opérateurs continus (entreprises qui exportaient déjà l’année précédente) ainsi que par le nombre d’opérateurs réguliers (entreprises qui exportent sur les cinq dernières années).

La baisse de la rotation des entreprises au sein de notre appareil exportateur témoigne d’une capacité croissante des entreprises à se maintenir sur le marché de l'export pendant plusieurs années et participe à l'amélioration de nos performances à l'export. Au-delà du contexte économique, cela peut s’expliquer par de meilleures pratiques des entreprises à l'exportation, ainsi que par différentes mesures de soutien et d'accompagnement mises en place (renforcement de l'assurance-crédit export, assurance-prospection, évolution du dispositif d'accompagnement des entreprises à l'export, etc.).

 

[1] Lionel Fontagné et Guillaume Gaulier : « Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne », CAE, 2008

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