Evolution et dynamique des bassins d'emploi en France

Qu'est-ce qu'un bassin d'emploi ?

Une cartographie des bassins d'emploi marquée par l'histoire et les spécialisations économiques des territoires

Les facteurs d'évolution des marchés locaux du travail

Quelles sont les principales configurations de bassins d'emploi en France ?

Quatre grands groupes de bassins d'emploi sont identifiables au travers de l'évolution économique et démographique depuis 1962

L'importance des effets de place et de la tertiairisation

Agir sur les bassins d'emploi : création d'emplois, gestion sociale et attractivité

La problématique d'aménagement du territoire vise à : 

-Agir sur la quantité de travail

-Agir sur les infrastructures et développer l'attractivité

Les évolutions de l'économie française, et plus particulièrement le phénomène de tertiairisation de l'économie, ont fortement modifié la cartographie économique du territoire. L'analyse des données issues des différents recensements montre que la plupart des bassins d'emploi ont été profondément transformés par les évolutions des dernières décennies. Le fort recul de l'agriculture, la désindustrialisation et les nombreuses créations d'emploi tertiaires ont modifié la nature, mais aussi la quantité d'emplois dans chaque bassin.

Qu'est-ce qu'un bassin d'emploi ?

Une cartographie des bassins d'emploi marquée par l'histoire et les spécialisations économiques des territoires

La notion de zone d'emploi est apparue au début des années 19801 . L'objectif était alors de mettre en place un outil d'observation et d'analyse du marché du travail au niveau local. Les déplacements domicile-travail ont constitué la principale variable de définition de ces zones. D'autres variables ont été intégrées afin d'en définir le contour : la nature de l'activité économique dominante, l'accès de la population aux grands équipements et les migrations définitives.

L'INSEE a défini les zones d'emploi, mais la notion de bassin d'emploi (périmètre utilisé par le Ministère du Travail) n'a pas de définition clairement énoncée. Les bassins sont des subdivisions des zones d'emploi et peuvent constituer, pour les pouvoirs publics, des cadres d'action locaux. En effet, certaines institutions locales se réunissent librement pour créer des comités de bassin d'emploi, rassemblant élus, chefs d'entreprises, associations, etc. en vue de mener des actions en faveur de l'emploi.

Les zones et bassins d'emploi sont marqués par des particularités régionales. Inégalement développés, les bassins ont connu des héritages historiques très différents.  Ainsi, il existe des places majeures comme Paris, Lyon et Marseille qui sont des zones d'emploi économiquement denses et situées en aire urbaine. Il y a aussi des bassins en zone rurale, plus touchés par la crise, qui sont handicapés par leur situation démographique et économique (cf. le Morvan ou la Creuse).

Les différences ne se caractérisent pas uniquement par des inégalités de richesse et de taux de chômage. On constate ainsi que les zones et bassins d'emploi sont dans des logiques de spécialisation, influençant la structure des emplois au niveau local. En effet, on observe des phénomènes de regroupement d'activités similaires, les entreprises bénéficiant de la formation de la main-d'œuvre locale, des infrastructures, des apprentissages locaux (du fait de la présence d'Institutions de recherche, d'Universités et écoles privées, etc). La ville de Rennes, par exemple, en est une illustration intéressante en matière de télécommunications, comme l'est Toulouse pour l'aérospatiale (avec des entreprises comme Airbus).

Les facteurs d'évolution des marchés locaux du travail

Pour la demande de travail, les facteurs d'évolution sont surtout liés à la qualité de l'environnement économique. La première motivation des entreprises pour s'installer ou se développer demeure le dynamisme économique local, qui détermine le volume du carnet de commandes. Cette dynamique est généralement favorisée par l'existence d'infrastructures collectives de qualité : autoroutes, télécommunications, universités, etc. De même, la présence d'une main-d'œuvre ayant un bon niveau de formation (et en quantité suffisante) favorise le développement des entreprises. Enfin, d'une façon plus directe, les entreprises peuvent être attirées ou incitées à se développer par le biais d'aides (liées à la recherche de sites d'implantation, la fourniture de données économiques, etc.) apportées par des organismes publics et parapublics locaux.

Certains bassins d'emploi ne peuvent fournir un contexte compétitif aux entreprises locales - ou à celles qui souhaitent s'installer. Ils sont alors confrontés à des phénomènes d'appauvrissement du tissu économique local et de désertification (c'est le cas de certaines zones d'emploi de la région Centre). A l'inverse, on constate que de grandes zones urbaines attractives profitent de leur situation sur les plans démographique et économique comme d'une " rente de situation".

En ce qui concerne l'offre de travail, les motivations des ménages en matière de déménagements (pour quitter une zone ou venir s'y installer) sont d'ordre économique et sociologique.
Quatre déterminants peuvent être pris en compte dans la décision de mobilité géographique des ménages. Le principal déterminant est naturellement l'emploi : on change surtout de lieu de résidence pour des raisons professionnelles. Le chômage a à cet égard un effet positif bien qu'ambigu sur la mobilité : si le retour à l'emploi constitue une raison de déménager, le coût d'une mobilité est élevé pour une personne auparavant fragilisée financièrement par une période de chômage2 . On notera à ce sujet que l'emploi constitue la principale motivation pour les mobilités de longue distance, et que la mobilité géographique acceptée par les salariés a tendance à accélérer les carrières. La distance domicile-emploi constitue une autre motivation : on a en général tendance à essayer de diminuer cette distance pour des raisons directement liées à la qualité de vie. 

Vient ensuite le logement : cet aspect est lui aussi stratégique. Les propriétaires et les bénéficiaires de logements sociaux sont à cet égard plus réticents au déménagement que les locataires du parc privé. Ceci s'explique par les problèmes causés par le relogement pour une famille. Il y a aussi un coût psychologique et humain au déménagement : la scolarité des  enfants peut en être perturbée, le réseau relationnel (amical et professionnel) plus difficile à recréer.

L'héliotropisme est un autre facteur de mobilité. Ce phénomène explique en partie la "saturation" des bassins d'emploi du sud-est de la France. La recherche de l'ensoleillement et d'un climat plus chaud sont fréquemment évoqués comme motifs de déménagement, afin d'avoir une meilleure qualité de vie. Le niveau de formation peut avoir une influence sur les décisions de changement de domicile : les gens mieux formés ont tendance à avoir un taux de mobilité plus élevé. Mais cette mobilité peut être entravée par un manque de débouchés professionnels dans les nouveaux lieux de résidence (certains emplois qualifiés ou très qualifiés n'existent que dans les milieux urbains).

Quelles sont les principales configurations de bassins d'emploi en France ?

Quatre grands groupes de bassins d'emploi sont identifiables au travers de l'évolution économique et démographique depuis 1962

Une étude publiée en juillet 2003 par l'INSEE classifie les zones d'emploi en quatre groupes. Un premier groupe est constitué de zones dans lesquelles les créations d'emplois sont nombreuses, et qui sont en situation de croissance démographique. Cette configuration correspond à la réalité de la couronne parisienne, de la région PACA, de l'Alsace et de certaines zones du littoral atlantique. Ce sont les principales places économiques de France. 

Un deuxième groupe est composé de zones à fort dynamisme démographique, mais touchées par des mutations économiques. Ces mutations ont fortement recomposé le paysage économique. Les zones d'emploi ayant connu les reconversions industrielles de la métallurgie et de la sidérurgie dans l'est de la France (cf. Usinor Sacilor) en sont un bon exemple. Le recul de l'agriculture et des industries devenues insuffisamment compétitives (comme le textile ou la chaussure) a aussi touché les bassins d'emploi de l'intérieur des Pays de la Loire, etc.
 
Le troisième groupe est constitué de la plupart des zones d'emploi allant des Pyrénées au centre de la France. Ces zones connaissent un marché du travail avec une offre et une demande faibles, à l'exception de quelques grandes agglomérations, comme Toulouse ou Clermont-Ferrand. On y retrouve aussi des zones " saturées" comme Paris (intra-muros), dont la place a reculé en terme d'emploi au profit de villes de la grande couronne (notamment du fait de nombreux départs de sièges sociaux pour la banlieue parisienne).

Restent ensuite les zones aux créations d'emploi nombreuses, mais aux entrées sur le marché du travail encore plus nombreuses (générant ainsi du chômage), constituant le quatrième groupe. Apparemment paradoxale, la situation de ce groupe s'explique par un dynamisme démographique ou migratoire supérieur à la croissance de l'emploi (c'est le cas dans la couronne parisienne), par l'augmentation du taux d'activité (notamment pour les femmes). Ce classement en quatre groupes a été opéré à partir de trois critères : la mobilité résidentielle, la variation du nombre d'emplois et la population en âge de travailler (déterminée par la démographie).

L'importance des effets de place et de la tertiairisation

Des phénomènes structurent l'espace économique, et peuvent en partie expliquer la configuration actuelle du territoire. L'un d'entre eux, particulièrement important en France pour des raisons historiques, fait ressortir une domination économique de certains territoires sur d'autres : on a donc assisté à une polarisation régionale des territoires (on peut par exemple penser à l'importance de Nantes dans l'Ouest. L'exemple le plus flagrant demeure la place de Paris dans l'économie française3 . Le phénomène d'urbanisation a concentré les emplois sur des aires spécifiques, et Paris a largement profité de ce phénomène.

Des " effets de place" ont une influence sur la répartition spatiale de l'activité économique. On constate en effet que cette dernière a eu tendance à se développer autour de grands pôles d'activité. Ceci s'explique par le fait que les entreprises ont tendance à s'installer dans les zones où les infrastructures (transport, éducation, etc.) sont d'un bon niveau et où d'autres sociétés sont présentes, ce qui permet de mutualiser le coût fiscal de ces équipements et de profiter des débouchés potentiels. Ces effets de place jouent au-delà des frontières. En effet, on en trouve une variante avec les régions frontalières : l'Alsace et l'Est du bassin rhodanien l'illustrent clairement par leur dynamisme économique.

Il y a en outre des effets de recomposition du tissu économique, structurant la géographie économique. La mutation des secteurs d'activité a fortement recomposé les économies locales. Le recul de l'industrie (ou de l'agriculture) a plus particulièrement affecté certaines régions. On a donc assisté à la disparition de certains métiers, et surtout ceux ayant une dominante main-d'œuvre. Ainsi, sous la pression de la concurrence internationale, les industries du textile ou de la chaussure ont été " sinistrées" (notamment dans le Choletais, dont le dynamisme entrepreneurial a maintenu un bon niveau d'emploi). Pour les mêmes raisons, la sidérurgie et de la métallurgie ont détruit de très nombreux emplois et mis en difficulté les bassins d'emploi de Lorraine. L'apparition de nouvelles activités de services va réinterroger la répartition des emplois, d'autant plus que ces métiers demandent de nouveaux profils.

Agir sur les bassins d'emploi : création d'emplois, gestion sociale et attractivité

La problématique d'aménagement du territoire

L'équilibre du territoire se juge aussi à l'aune des équilibres économiques. Dès l'émergence de la politique d'aménagement du territoire, dans les années 1950, la double dimension de l'emploi et du développement économique avait été prise en compte4 . L'objectif à l'époque était d'éviter que ne se créent de trop importantes inégalités entre les territoires. Mais c'est sous les gouvernements gaullistes que l'aménagement du territoire prend de l'ampleur : la DATAR (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) en fut l'organe de direction. Durant les années 1970, l'intervention de l'Etat est remise en cause par les options libérales des gouvernements en la matière. L'attention se porte progressivement sur un autre objet : il faut désormais gérer la crise et intervenir dans les zones victimes des effets de la restructuration de l'économie. Cette problématique de la gestion de crise dominera encore dans les années 1980. 

Le tournant se situe au début des années 1990, dans un contexte de mondialisation détruisant des pans entiers de l'économie de certaines régions. L'orientation est désormais à la reconversion de sites industriels dans un contexte globalisé : la notion même d'aménagement du territoire est remise en cause. L'arrivée de nouveaux acteurs (notamment l'Union européenne) montre que les actions se portent principalement sur la gestion de zones " sinistrées". Actuellement, les politiques sont donc à la recherche d'un nouvel équilibre : les acteurs de ces politiques ont évolué (l'UE et les collectivités locales ont pris le relais de l'Etat) et les enjeux se déterminent désormais au niveau international.

Les questions posées par les problèmes territoriaux de chômage aux politiques d'aménagement sont d'un nouvel ordre. L'Etat n'a plus le poids qu'il avait auparavant, les Régions demeurent frileuses en la matière, et l'Union Européenne est appelée à attribuer de moins en moins de fonds à la France du fait de son élargissement. Les collectivités locales n'ont quasiment plus le droit d'attribuer des aides économiques directes du fait de la réglementation communautaire. L'attention se porte donc aujourd'hui sur les actions à mener pour améliorer l'attractivité des territoires, en mettant en place des dispositifs indirects d'aide à l'économie locale.

Agir sur la quantité de travail

Deux configurations sont envisageables en matière d'action sur l'emploi. En période de crise, c'est plus une action de traitement social du chômage qui est envisageable. En période de croissance soutenue, des problèmes de pénurie de main-d'œuvre émergent, et nécessitent une action pour répondre aux besoins de l'économie locale. En règle générale, les actions publiques portent plus sur les problèmes de gestion des bassins d'emploi sinistrés.

Quand un bassin d'emploi est touché par la crise, de nombreux dispositifs sont mis en place afin de répondre aux besoins des personnes licenciées et des collectivités qui les gèrent. La gestion des bassins d'emploi sinistrés ne connaît pas de norme universelle. Les outils les plus courants de ces politiques revêtent différentes formes. Il y a, lors des plans sociaux, des contrats passés avec des sociétés de reclassement (comme BPI ou Altedia). Ces dernières accompagnent et conseillent les salariés dans leur recherche d'un nouvel emploi. L'Etat peut aussi intervenir en implantant des administrations dans ces zones (c'est ce qui s'est passé à Nancy après les nombreuses destructions d'emploi), et les acteurs publics peuvent en outre financer des projets créateurs d'emploi. Il y a aussi un traitement social du chômage : il est nécessaire d'injecter des fonds pour financer les dispositifs d'aide sociale.

Des bassins d'emploi peuvent se retrouver confrontés à un manque de main-d'œuvre. Ces pénuries peuvent avoir deux origines : d'une part, une situation d'expansion peut avoir  généré suffisamment d'emplois pour que la main-d'œuvre locale ne suffise plus. D'autre part, des zones peuvent connaître des flux migratoires négatifs, et des mesures spécifiques doivent être prises afin d'attirer les ménages pour réguler à court terme le marché du travail. Le département de la Mayenne en est un exemple intéressant, la Fédération du bâtiment ayant établi un partenariat avec le Conseil Général de la Réunion pour installer une main-d'œuvre de Réunionnais afin de répondre aux besoins de l'économie locale. Une approche qualitative permet d'identifier d'autres types de problèmes : des territoires en zone rurale peuvent avoir des difficultés pour faire venir des personnels d'encadrement, habitués aux zones urbaines.

Agir sur les infrastructures et développer l'attractivité

Les collectivités locales doivent donc mettre en œuvre des politiques pour accompagner le développement ou l'implantation d'entreprises. Ceci s'avère nécessaire pour soutenir l'économie locale. Les structures les plus souvent appelées à mettre en œuvre ces politiques sont les comités d'expansion économique (qui sont rattachés aux conseils généraux) et les agences de développement (dont la zone de compétence est la ville ou une structure intercommunale).

La mise en œuvre de ces politiques pose plusieurs questions. La première renvoie au contenu de ces politiques. En effet, quelles sont les modalités de cette forme de "marketing territorial" ? On constate que le travail des organismes en charge de ces politiques va au-delà de la simple communication, pour offrir des services à l'attention des entreprises. Ceux-ci peuvent relever de la recherche de locaux, du montage de dossiers administratifs et de demandes d'aides, parfois du financement de conseils, etc.

De concert avec les autres institutions publiques locales, les acteurs du développement local doivent valoriser leur territoire, qui selon les zones dispose de plus ou moins de services publics, d'infrastructures et dont le contexte économique peut ne pas être attractif. Cet ensemble peut être amélioré par des investissements en axes de transport, en structures collectives, etc. Le fait pour des territoires de pouvoir acquérir des spécificités est un atout tant en terme de visibilité que de facilité à attirer d'autres sociétés. Un pôle économique, une filière d'excellence amènent des avantages indéniables, même si la région risque d'être soumise aux fluctuations du marché de référence.

On peut alors s'interroger sur les risques de concurrence entre les territoires. Avant que la réglementation n'encadre strictement les aides directes, de telles situations avaient pu se présenter. Aujourd'hui, les formes de la concurrence ont évolué et sont moins néfastes. Il est vrai que les chefs d'entreprise, en étudiant d'éventuelles implantations, ont tendance à "mettre en concurrence" les sites d'implantation. Mais ces comportements n'ont a priori pas de conséquences graves. Le risque est par contre réel de voir des territoires plus pauvres ne pas tenir le rythme de cette compétition, leur offre d'infrastructures étant trop faible. Le rôle de l'Etat dans la régulation de la compétition interrégionale n'est pas encore clair et l'Union Européenne risque de reporter ses interventions financières sur d'autres aires que la France.

Conclusion

Les évolutions des bassins d'emploi participent des tendances de fond de l'évolution du territoire français, et de ses déséquilibres. Les effets de place renforcent les phénomènes d'urbanisation, mais risquent aussi d'aggraver les inégalités. Les mutations économiques liées à la mondialisation, mais aussi aux changements technologiques (disparition des industries sidérurgiques, textile et l'agriculture) forcent les ménages à s'adapter à la nouvelle structure des emplois.

[1] La notion de zone d'emploi a émergé en 1983 suite à une circulaire du Ministère de l'emploi du 23 septembre 1982.

[2] A cet égard, le montant des aides ANPE à la mobilité géographique est faible au regard du coût global d'une mobilité.

[3] L'ouvrage de F. Gravier : Paris et le désert français, publié en 1947, demeure la référence en la matière.

[4] Les politiques menées sous la IVème République avaient déjà intégré cette composante dans leur politique, mais d'une manière moins prononcée et organisée.

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