Bonus, retraites chapeaux, parachutes dorés… Quel débat ?

Les faits

Au début de l’année 2009 , la publication des montants des bonus versés par les banques à certains de leurs cadres a relancé le débat sur la rémunération.

Le 18 février , lors du sommet social à l’Elysée, Nicolas Sarkozy exigeait des mandataires sociaux qu’ils renoncent à leur part variable, dès lors que leur entreprise usait « massivement » de chômage partiel ou de licenciements économiques « d’ampleur ». Le 17 mars , MEDEF et AFEP 1 étaient enjoints par les ministres du Travail et de l’Economie de faire des propositions de réglementation pour la fin mars. Au même moment, sous la pression de l’opinion publique, l’équipe dirigeante de la Société générale (dont l’ancien PDG Daniel Bouton) renonçait à ses « stock options ». Les primes de départ versées se montaient à près de 33 millions d’euros. Thierry Morin, PDG de Valéo, devait recevoir quant à lui, 3,2 millions d’euros de « parachute doré ». Aux Etats-Unis, la compagnie d’assurance AIG, bénéficiaire de près de 180 milliards de dollars de fonds publics et aujourd’hui à 80 % propriété de l’Etat, versait 165 millions de dollars de bonus à ces cadres.

Enfin, le 13 mai le rapport sur le partage de la valeur ajoutée , demandé le 18 février par Nicolas Sarkozy au directeur général de l’Insee Jean-Philippe Cotis, était remis au président.

Bonus, parachutes dorés, golden hello , retraites chapeau… de quoi parle-t-on ?

Avant de présenter les termes du débat, il est nécessaire de bien distinguer toutes ces formes de revenu . Si elles ont en commun d’être des rémunérations additionnelles et personnelles, destinées (le plus souvent) aux cadres et dirigeants, elles présentent cependant de nombreuses différences.

Pourquoi de telles rémunérations additionnelles ?

Il est tout d’abord utile de préciser que ces différentes rémunérations sont légales , prévues le plus souvent dans les contrats de travail des salariés concernés ou dans le contrat qui lie le mandataire social à son conseil d’administration (ou conseil de surveillance). Il y a donc accord entre l’entreprise et le bénéficiaire sur le versement de cette rémunération.

Les dirigeants des sociétés anonymes ne sont pas des salariés mais des mandataires sociaux missionnés par les conseils d’administration ou conseils de surveillance. A ce titre, ils ne bénéficient pas de la protection sociale classique associée. Ils peuvent être nommés comme révoqués très rapidement. Les primes de départ sont donc la compensation de cette précarité , du risque pris. Certains dirigeants signant également des clauses de non concurrence, il leur est souvent complexe de retrouver une place ailleurs. De même, les pertes de revenus associées aux départs en retraite étant importantes, il leur est versé parfois des retraites additionnelles.

En ce qui concerne les primes d’activité, la séparation entre la propriété et la gestion dans l’entreprise, associée à l'aléamoral du fait de l’asymétrie d’information, nécessitent des mécanismes d’incitation à la loyauté et à la réussite des cadres et dirigeants. Stocks options, actions gratuites, parts variables ou bonus sont destinés à lier le cadre ou dirigeant à la réussite de son entreprise ou à l’atteinte de ses objectifs personnels. La question se pose alors des indicateurs à prendre en compte dans le calcul des primes : valeur boursière ? réussite d’objectifs personnels qualitatifs ou quantitatifs ?

Enfin, dans un marché du travail concurrentiel, le recrutement des hautes qualifications (rares) nécessite des propositions de revenus compétitives, qui peuvent se traduire par ce type de rémunération additionnelle.

Quelles sont les critiques portées ?

Ce débat n’est pas nouveau . Les « stock options » ont été créées aux Etats-Unis dans les années 1970. Les parachutes dorés sont nés (aux Etats-Unis) dans les années 1980. En France, le versement de 20.5 millions d’euros à Jean-Marie Messier de Vivendi Universal en 2002 ou de 12,9 millions d’euros à Antoine Zacharias à son départ de Vinci en 2007 ont régulièrement relancé le débat.

Ce qui choque tout d’abord l’opinion publique, c’est leur montant : la comparaison de ces millions d’euros avec le SMIC est vertigineuse, même si elle doit s’apprécier au regard des responsabilités prises ou de ce qui se passe chez nos voisins, ou encore de la minorité de personnes qu’elle concerne effectivement.

Ce qui peut sembler contestable est  la possibilité de cumul des avantages par un certain nombre de dirigeants de grandes entreprises : cumul d’un contrat de travail et les droits qui lui sont associés, avec le mandat social et ses avantages.

Dans le cas des « parachutes dorés » ou « retraites chapeau », le non conditionnement à des indicateurs de performance ou à la réussite de l’entreprise est souvent critiqué. La loi TEPA 2 l’impose d’ailleurs désormais en France. Plus globalement la question est posée de la gouvernance de l’entreprise, ou encore de la capacité des conseils d’administrations et des propriétaires à exercer un vrai contrôle sur les managers.

Autre critique portée, plus conjoncturelle, la coïncidence entre licenciements et/ou exigence de modération salariale avec ces primes. Certaines des entreprises concernées par des versements importants ont été par ailleurs bénéficiaires de fonds publics importants (sous forme d’aides, de rachat de capital ou de financements bonifiés). La responsabilité des institutions financières dans la crise que nous traversons est enfin souvent avancée, et aurait dû, selon les détracteurs, inciter à plus de modération.

Comment éviter les éventuels « abus » ?

Deux approches différentes apparaissent, que l’on peut schématiquement illustrer par le choix de l’administration Obama et le choix du MEDEF et de l’AFEP.

Le MEDEF souhaite accorder une part importante à la liberté contractuelle . Soucieux cependant d’éviter les abus, il a publié en octobre 2008 un code de bonne conduite pour les entreprises adhérentes. Il recommande par exemple le non cumul des indemnités, ou encore un plafond de 24 mois de rémunération pour les parachutes dorés. Laurence Parisot a, par ailleurs, récemment souligné l’effet déterminant que peut avoir l’opinion publique en la matière, comme le montrent les exemples de la Société Générale ou de Valéo. Ces organisations semblent, pour ces motifs, hostiles à une limitation légale de ces primes.

L’administration Obama a choisi la loi pour encadrer ces rémunérations . Le 5 février 2009, elle a ainsi fixé un plafond de 500 000 dollars annuels pour la rémunération des patrons des entreprises bénéficiant du plan de relance.

En France, depuis le début de ce mois d’avril, un décret interdit le versement de « stock options », actions gratuites, bonus, retraites chapeau et indemnités de départ pour les dirigeants et mandataires sociaux de toutes les entreprises aidées directement par l’Etat jusqu’en 2010. Pour les entreprises aidées par exemple par le fonds structurel d’investissement, les conventions d’aides signées comportent certaines limitations. Enfin, le président de la république a donné un délai de réflexion jusqu’à l’automne pour la rédaction d’une éventuelle loi.

Pour élargir le débat

Ce débat s’inscrit dans deux questionnements plus larges. Au plan microéconomique, qu’est-ce qu’une « juste » rémunération (et son évolution) ? Quel écart peut-on admettre entre rémunération des patrons et rémunération de leurs salariés ? La loi doit-elle encadrer les pratiques ? Aux Pays-Bas par exemple, le ministre des Finances vient de signer un accord avec les dirigeants des banques et des compagnies d’assurance liant évolution des rémunérations des patrons et celles des salariés durant la crise.

Au plan macroéconomique , quel doit-être le « juste partage » de la valeur ajoutée ? Et celui des profits ? Les salariés doivent-ils aussi en bénéficier ? A quelle hauteur ? Le président français s’est dit par exemple favorable à la règle (controversée) des trois tiers pour le partage des profits : un tiers autofinancement, un tiers salariés, un tiers propriétaires. Autre question associée : quelle fiscalité associer à ces types de rémunération ?

Le 13 mai, Jean-Philippe Cotis, le directeur général de l’Insee a remis à Nicolas Sarkozy un rapport sur cette question . Plusieurs conclusions éclairent de façon intéressante ce débat. Le partage de la valeur ajoutée en direction des salaires connaît en France depuis une vingtaine d’années une grande stabilité, autour des deux tiers. Autre conclusion : la faible progression des salaires nets pendant cette même période, en même temps que la forte croissance des dividendes versés (leur montant a quasiment quintuplé depuis une quinzaine d’années). Pourtant, la part des profits accordée aux salariés a tendance, elle, à progresser. Enfin, s’il est difficile de constater une croissance des écarts entre les déciles supérieur et inférieur de revenu, on peut remarquer une croissance nette de l’écart entre le salaire médian et celui des 1% les mieux payés. Bref, le débat est loin d’être clos.

Lexique

Aléa moral  et asymétries d’information
Thorstein Veblen, au tournant du 19ème siècle et du 20ème siècle, soulignait déjà les risques de la « propriété absente », c’est-à-dire le fait que les propriétaires des entreprises (formes sociales) déléguaient la gestion de celle-ci à des dirigeants salariés. Il s’agit alors d’un problème typique d’asymétrie d’information : les dirigeants présents au jour le jour seuls connaissent la qualité et la réussite de leur mission. Il est plus délicat pour les propriétaires, non présents quotidiennement, d’apprécier le travail réalisé. La théorie des jeux nous enseigne alors que le risque d’aléa moral est très grand : peu ou pas contrôlés, les dirigeants ne seront pas incités à la réussite et au respect des objectifs des propriétaires des entreprises. Adolf Berle et Gardiner Means, auteurs de la théorie de l’agence   en 1932 soulignent également la nécessité de développer des incitations pour éviter cet écueil.

Participation, intéressement, bonus, parts variables
Il faut distinguer la participation et l’intéressement des salariés, des bonus et autres parts variables associées à leur rémunération. Intéressement et participation sont fixés selon des critères collectifs en fonction du bénéfice réalisé. La participation est une obligation légale pour les entreprises de plus de 50 salariés. L’intéressement, qui peut s’y ajouter, résulte, lui,  d’un accord d’entreprise ou de branche. Bonus et part variables sont, en revanche, fixées individuellement , en fonction de la réussite de l’entreprise ou de l’atteinte d’objectifs personnalisés.

Notes

  1. AFEP : association française des entreprises privées.
  2. Loi TEPA : loi travail, emploi et pouvoir d’achat de 2007.

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