[Sujet ESH ESSEC-HEC 2024] Pourquoi et comment évaluer les politiques publiques ?

Sujet ESH ESSEC-HEC 2024

Sujet ESH ESSEC/HEC 2024 : Pourquoi et comment évaluer les politiques publiques ?

Découvrez les propositions de corrigé de Pierre Boyer, professeur à l'Institut Polytechnique de Paris, et Clément Henrat, professeur à Sciences Po.

Proposition de corrigé de Pierre Boyer

Retrouvez un corrigé ainsi que des liens vers des ouvrages proposé par Pierre Boyer, Professeur à l’Ecole Polytechnique (CREST) et Directeur du programme “Démocratie et institutions”  à l’Institut des Politiques Publiques.

 

Comment articuler les méthodes qualitatives et quantitatives pour évaluer l’impact des politiques publiques ? - Adam Baïz et Anne Revillard

Faire de l’évaluation des politiques publiques un véritable outil de débat démocratique et de décision - Conseil d'Etat
 

Proposition de corrigé de Clément Henrat, Professeur à Sciences Po

Introduction

Dans leur ouvrage Economie utile pour des temps difficiles, 2020, Duflo et Banerjee écrivaient : « les économistes sont plutôt des plombiers : ils doivent résoudre les problèmes par un mélange d’intuition faite de science, de conjecture fondée sur l’expérience et d’une bonne dose d’essais et d’erreurs ». Quelques mois plus tôt - ainsi qu’à Michael Kremer, le prix Nobel d’économie leur était décerné, et à en croire le Comité Nobel, l’attribution de la plus haute récompense fut non-seulement la conséquence légitime de leur contribution à l’analyse de la pauvreté, mais aussi et surtout de leur participation au renouvellement méthodologique considérable pour l’évaluation des politiques publiques, à savoir l’évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté à travers les randomized controlled trial (RCT). Car aussi évidente que puisse être l’intérêt d’une évaluation rigoureuse des politiques publiques, la tradition macroéconomique est loin d’avoir systématiquement adopté une telle pratique, ce que nous rappelle d’ailleurs Gordon Tullock avec un trait d’humour : «Nombreux sont les cas où les économistes ont argué de l’imperfection de marché et par la suite conseillé à l’Etat le soin de régler les problèmes. L’économiste Pigou comme le Professeur Samuelson ont commis cette erreur. Mais on connait la légende de l’empereur romain qui, ayant à juger un concours opposant deux chanteurs, n’écouta que le premier et attribua le prix au second, supposant qu’il ne pouvait être pire… » (Le marché politique, 1978). Investiguer les justifications et moyens mis en oeuvre pour évaluer les politiques publiques apparait donc nécessaire. A en croire Antoine Boziot et Julien Grenet (Économie des politiques publiques, 2017), les politiques publiques désignent un ensemble particulièrement large d’interventions des administrations publiques (APU), soit l’ensemble des actions correctives ou supplétives mises en oeuvre dans l’ensemble du périmètre d’action de l’Etat, et qui, pour la sphère économique et sociale - en paraphrasant la typologie de Robert Musgrave (The Theory of Public Finance, 1959), inclut l’ensemble des politiques mises en oeuvre afin de garantir la bonne allocation des ressources, la stabilisation de la conjoncture ou encore la redistribution. A cet égard, et même si les politiques publiques ne se limitent pas aux politiques économiques - conjoncturelles comme structurelles, ni aux seules politiques sociales puisqu’elles incluent tout autant l’ensemble des actions entrant dans le cadre des missions régaliennes ou élargies des APU (politiques de sécurité et de défense, d’éducation, de cohésion des territoires, de logement, etc.), la présente réflexion se limitera aux politiques publiques relevant des politiques économiques, sociales et environnementales. Or, depuis les premières conceptions des « devoirs du souverains ou de la République » (Smith, Livre V, 1776) à la domination de la macroéconomie keynésienne re-visitée et portée par la synthèse néoclassique, l’action des pouvoirs publics n’a fait que bien tardivement l’objet d’une évaluation scientifique - du moins comme sous-champ académique constitué, essentiellement au gré des critiques grandissantes de l’intervention de l’Etat comme des progrès des méthodes quantitatives de la discipline. Mais si « évaluer » les politiques publiques suppose d’opérer une étude rigoureuse, critères à l’appui, afin d’estimer l’évolution quantitative ou qualitative d’un paramètre ou d’une action, le terme d’évaluation revêt en réalités plusieurs sens. Ainsi, il peut s’agir d’une évaluation diagnostique (1) - l’objectif étant de connaitre, par un état des lieux précis, l’environnement dans lequel les politiques publiques agissent, ou bien d’une évaluation formative (2) - l’objectif n’étant autre que la maximisation rationnelle de la performance de ladite politique à travers une calibration toujours plus affinée des dispositifs imaginés, ou enfin d’une évaluation sommative (3) dont l’intérêt est de générer une sanction plus ou moins forte tant sur le plan économique que démocratique pour celui ayant initié l’action publique. Or, que celle-ci soit réalisée ex ante ou ex post, interroger le « pourquoi » de l’évaluation des politiques publiques suppose aussi bien de questionner les objectifs légitimement recherchés par une telle procédure que de se demander ce qui a pu, historiquement, accélérer le développement de ce champ d’étude. Par ailleurs, questionner la réalisation (« comment ») de ces évaluations suppose une double interrogation : une réflexion descriptive établissant le répertoire méthodologique propre aux disciplines parties-prenantes (notamment les méthodes et indicateurs utilisés par les économistes), et une analyse plus normative cherchant à décrire le résultats desdites évaluations, souvent critiques à l’égards des politiques conduites. Dans tous les cas, ces évaluations ne sont jamais « hors-sol » : elles sont produites par des acteurs divers et par des instances plus ou moins indépendantes, elles résultent de collectes de données plus ou moins complètes et re-traitées statistiquement. Cela supposera donc nécessairement de réfléchir au cadre d’enquête supposé permettre des évaluations performantes en se demandant si, au-delà de la scientificité et de la neutralité intemporelle recherchée, toute évaluation n’aurait finalement de sens qu’en fonction de son interprétation contextuelle (un même résultat dans deux contextes distincts ne produirait alors pas la même évaluation). Cela revient tout autant à questionner le rôle de l’évaluation dans la Cité et notamment l’intrication entre le chercheur/l’évaluateur, le pouvoir politique et la société civile pour que les objectifs et les méthodes d'évaluation puissent servir le bien commun, en particulier à l’heure où l’exigence de transparence dans la vie publique s’est fortement accentué, et alors que la « fabrique de la défiance » (Algan, Cahuc, Zylberberg) de nos sociétés contemporaines tient, pour partie, au sentiment d’inertie et d’opacité de l’action publique que l’évaluation est supposée limiter.
Il s’agira aussi bien de questionner les ressorts théoriques et empiriques justifiant la conception et la mise en oeuvre de multiples formes d’évaluations des politiques publiques, que de réfléchir au corpus d’indicateurs, de méthodes et d’acteurs mobilisés pour que ces politiques puissent être efficacement évaluées. 
 

PARTIE 1

Evaluer les politiques publiques : une nécessité pour améliorer l’efficacité de l’action de l’Etat et appréhender scientifiquement le contour des actions supplétives des administrations.

Idée : il s’agit d’appréhender aussi bien les justifications théoriques de l’EPP que de percevoir, à travers les différentes catégories d’EPP existantes et leurs évolutions depuis les premières EPP, que les EPP jouent un rôle de plus en plus notable aussi bien chez les économistes qu’auprès des gouvernements ou encore, auprès des autres chercheurs en sciences sociales.

1.1. L’évaluation « diagnostique » des politiques publiques : à l’origine (ex ante) une remise en cause du bien-fondé systématique de l’action de l’Etat, qui n’est plus considéré comme toujours « bienveillant, omniscient et omnipotent » (Samuelson, 1954) et dont il faut sonder les défaillances. 

1.2. L’évaluation « formative » des politiques publiques : améliorer a posteriori la performance macroéconomique des politiques publiques et jauger de l’efficacité parfois relative de l’intervention des APU.

1.3. L’évaluation « sommative » des politiques publiques : renforcer le contrôle de la société civile à l’aune de la « société de défiance » et des exigences démocratiques, l’évaluation garantissant partant une meilleure qualité institutionnelle d’ensemble.
 

PARTIE 2

Evaluer les politiques publiques : des répertoires méthodologiques en constante évolution, faisant passer l’économie de la « théorie pure » à l’économie appliquée.

Idée : il s’agit d’expliquer les principales méthodes et outils dont disposent les sciences
économiques (et accessoirement les autres sciences sociales) pour réaliser les EPP, en
interrogeant la manière dont l’émergence progressive d’instruments et d’indicateurs de plus
en plus perfectionnés transforme la discipline elle-même.

2.1. L’évaluation des politiques publiques comme transformation de la science économique : l’économie laisse progressivement de plus en plus de place à l’économie « appliquée » et se détache du seul primat de la « haute théorie » (Koopmans), pour devenir une science des faits.

2.2. Evaluer l’atteinte des objectifs et leur cohérence : le rôle fondamental de la construction des indicateurs et de la collecte des données pour bien évaluer les politiques publiques.

2.2. Evaluer la pertinence initiale des objectifs et l’efficacité de la politique : des instruments divers, de la modélisation macroéconomique à l’économie expérimentale avec les enquêtes de terrain(s).
 

PARTIE 3

Evaluer les politiques publiques : une mise en œuvre qui continue de poser des écueils épistémologiques majeurs, interrogeant le statut des acteurs à l’origine de l’évaluation et les cadres d’enquête.

Idée : il s’agit de comprendre que l’EPP ne se réalise qu’à travers des acteurs pluriels (économistes, chercheurs, inspections ministérielles, corps d’inspection indépendant, agence
publiques, fondation privée…), dont le statut, la neutralité axiologique ou encore les méthodes précédemment expliquées sont soumises à des écueils, générant a minima une réflexion sur l’éco-système de l’EPP devant être privilégié pour éviter les biais de différentes natures au cours des évaluations réalisées. 

3.1. L’évaluation des politiques publiques face au défi de l’information asymétrique entre les parties-prenantes : les travaux d’évaluation restent donc biaisés aussi bien par l’incomplétude des données collectées que par la multiplicité des objectifs des politiques publiques, rendant beaucoup d’indicateurs peu opérants.

3.2. L’évaluation des politiques publiques fait aussi face aux vicissitudes de la nature humaine : les chercheurs/évaluateurs ont des biais de neutralité axiologique, peuvent souffrir d’aléa moral, de même que l’indépendance des évaluateurs/instances est parfois questionnable.

3.3. Contextualiser et évaluer…l’évaluation : toute évaluation des politiques publiques reste dépendante du contexte économique et social de sa mise en oeuvre et de même, se doit d’être soumise à un contrôle scientifique rigoureux par les pairs, ce qui pose aussi la question de son adéquation avec les attentes de la société civile.

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