Consommation (analyse sociologique)

Définition :

La consommation, c’est l’acte d’achat de biens et services par les ménages. En avoir une analyse sociologique, c’est étudier les déterminants sociaux des choix de consommation et voir comment les achats de biens et services s’inscrivent dans des relations sociales.

L'essentiel :

L’un des premiers à se pencher sur les déterminants sociaux de la consommation est l’économiste et sociologue Thorstein Veblen, dans son ouvrage La théorie de la classe de loisir, publié en 1899. Pour lui, la classe de loisir est celle qui a des revenus suffisants pour pouvoir se passer de travailler. La consommation de cette classe sociale s’explique mal par les théories économiques, elle n’est pas marquée par la volonté de maximiser son utilité sous contrainte budgétaire car elle ne repose pas sur une contrainte économique. Cependant, Veblen insiste sur le fait que cette consommation n’est pas, pour autant, libre de toute influence : elle est déterminée par des contraintes sociales. D’abord, cette consommation est éphémère, elle suit des phénomènes de mode et le consommateur doit se fier à ces modes plutôt qu’à des goûts qui lui seraient personnels. Cette question de la mode, que l’on retrouve aussi analysée par Georg Simmel a ensuite donné lieu à des approches en termes de sociologie des tendances. Cette consommation tend à amener vers des produits sources d’inconfort et de déplaisir, signe que les individus appartenant à la classe de loisir ne sont pas gouvernés par la rationalité économique dans leurs choix. Veblen donne comme illustrations les réceptions interminables, qui font gaspiller le temps ou encore les talons hauts, qui rendent la marche très difficile. Enfin, cette consommation est ostentatoire : elle permet de montrer son appartenance de classe et de mettre en évidence sa richesse. Cette consommation ostentatoire peut, de nos jours, expliquer les prix élevés de certaines œuvres d’art :

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Si Veblen met ainsi en évidence le lien entre l’appartenance à une catégorie sociale et les choix de consommation, c’est à Maurice Halbwachs qu’on doit la première analyse générale de ce lien. Dans la lignée des travaux de Durkheim, il analyse la consommation comme un fait social. Il interroge, de façon statistique, le lien entre revenu et consommation et montre que si ce lien existe, le revenu n’est pas la seule variable explicative des choix de consommation. En cela, il est l’un des précurseurs de la sociologie quantitative de la consommation. Il montre, en particulier, que les employés et les ouvriers, qui ont des revenus proches, font des choix de consommation différents. Les employés dépensent plus pour le logement et les loisirs que les ouvriers qui, eux, accordent plut d’importance aux dépenses d’alimentation, signe de l’accent mis sur la vie domestique. Pour Halbwachs, cela tient au fait que la consommation est une activité sociale, qui dépend de l’intégration à la société : les employés sont davantage intégrés que les ouvriers et ont des dépenses plus « sociales ». Consommer, c’est donc prendre part à la vie sociale. Ces analyses ont été amendées et précisées depuis, notamment en mettant en évidence les différences au sein des catégories sociales. On peut penser, notamment aux travaux d’Olivier Schwartz et son œuvre Le monde privé des ouvriers, publié en 1990, ou encore aux travaux d’Ana Perin-Heredia qui analyse le lien entre pauvreté et consommation et montre que le facteur déterminant des difficultés financières des ménages pauvres est moins leur irrationalité que leur manque de revenus.

 

L’analyse du lien entre consommation et classe sociale interroge aussi la formation des goûts des individus. Pour les économistes, ces goûts sont considérés comme « donnés », extérieurs à la décision économique. Le sociologue Pierre Bourdieu, dans La distinction, montre que les goûts sont issus de processus sociaux et participent à la domination sociale. Les catégories dominantes ont des goûts « distingués », dans le sens où ces goûts, et donc leurs décisions de consommation, leur permettent de se différencier des autres et ne sont pas accessibles aux autres catégories. Ce sont ces goûts qui apparaissent comme légitimes. Ces goûts distingués sont issus de la socialisation, que ce soit au sein de la famille, ou de l’école. Les classes moyennes, elles, tendent à imiter ces goûts distingués, alors que les classes dominées (ou populaires) ont des goûts marqués par la nécessité et tendent à vouloir ce qui leur est accessible. Ce dernier point est sujet à controverse et de nombreux auteurs tentent de montrer ce que les choix des catégories populaires en matière de consommation ont de spécifique, d’autonome. Par exemple,  Richard Hoggart montre qu’une des spécificités de la consommation dans les catégories populaires est le fait de ne pas se limiter pour les enfants. Récemment, les travaux dirigés par Bernard Lahire dans Enfances de classe, publié en 2019, permettent d’analyser la façon dont les goûts, mais aussi les pratiques liées à l’utilisation du budget sont ancrées chez les enfants dès leur plus jeune âge en fonction de leur catégorie sociale.

 

L’apprentissage des choix de consommation est une technique importante pour des enfants qui appartiennent à des « sociétés de consommation ». Les sociologues se sont penchés sur la façon dont la consommation est devenue centrale dans le fonctionnement des sociétés contemporaines. Jean Baudrillard, en 1960, développe une vision assez pessimiste de l’avènement de la société de consommation qui marque, selon lui, l’avènement d’une société dont l’objectif est la possession et la destruction d’objets, dans un mouvement sans cesse renouvelé. La société de consommation est marquée par la recherche du bonheur par la possession des objets, mais ne parvient pas à une sorte d’équilibre, qui permettrait ce vrai bonheur. C’est une analyse qu’a pu développer le sociologue et philosophe Gilles Lipotevsky pour nos sociétés contemporaines. Dans les années 1980, Henri Mendras a une approche différente du développement de la consommation. S’il rejoint Baudrillard sur le fait que ce développement fait disparaître les sociétés traditionnelles, il montre aussi le caractère égalisateur que peut avoir cette consommation, qui est l’un des moteurs de la moyennisation de la société. L’homogénéisation de la consommation (avec les exemples de la pratique du barbecue, des achats en supermarché, du port de jean’s) est créatrice d’une atténuation des différenciations sociales. La consommation peut aussi être une manière d’exprimer des opinions. En 1982, dans Bonheur privé, action publique, Albert Hirschman montre comment les consommateurs peuvent se mobiliser pour exprimer leur mécontentement face à certains produits ou certaines entreprises. Il est un des précurseurs d’une approche en termes de consommation engagée, dont l’analyse a été développée en France par Sophie Dubuisson-Quellier, notamment. L’autrice présente ainsi les différentes formes que peut prendre cette consommation, que ce soit, par exemple, des stratégies de boycott (ne plus acheter un produit ou un type de produit) ou de buycott (promouvoir certains produits). Le consommateur ou la consommatrice est donc « engagé », dans le sens d’un engagement politique par ses choix de consommation.

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