Anticipations

Les anticipations sont des manières d’envisager l’avenir et de s’y projeter. Elles poussent à adopter des comportements spécifiques.

L'essentiel :

John Maynard Keynes est l’un des premiers économistes a avoir mis les anticipations au coeur de son analyse. Dans un article de 1937, intitulé « La théorie générale de l’emploi » (que l’on retrouve dans La pauvreté dans l’abondance en version française), Keynes insiste sur le fait que l’avenir est marqué par l’incertitude. Il se démarque par cela des économistes classiques et néoclassiques, pour qui les calculs dans l’avenir sont des calculs risqués, c’est-à-dire qu’il est possible d’évaluer la probabilité que se produise chacun des avenirs possibles. Pour Keynes, il y a une incertitude radicale, c’est-à-dire qu’il est impossible de probabiliser l’avenir. Cela rend les anticipations complexes.

Dans cet article, Keynes indique qu’il y a « trois techniques » qui peuvent permettre aux individus d’anticiper malgré cette incertitude. La première d’entre elles consiste en le fait de penser le futur comme identique au présent. Autrement dit, c’est agir uniquement en fonction du présent.

La seconde technique, plus complexe, consiste en le fait de penser que les évolutions à venir peuvent être connues en voyant la dynamique passée. Si une variable voit sa valeur augmenter, elle va continuer à augmenter, par exemple.

Enfin, et c’est l’analyse la plus intéressante de Keynes, il indique que les individus peuvent chercher à anticiper en essayant de connaître les anticipations des autres, dans une logique « spéculative ». Chacun cherche à se conformer à ce que pense ou envisage la moyenne. Cela renvoie à la métaphore du concours de beauté qu’il avait développé dans La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie selon laquelle les anticipations sont construites sur une base « autoréférentielle » : il faut chercher à faire comme les autres, plutôt que de chercher à avoir raison seul. C’est une analyse qui a été développée notamment par Robert Shiller et George Akerlof avec l’expression des « esprits animaux ».C’est aussi un élément de base de ce qu’on appelle l’économie des conventions.

 

Cette approche des anticipations est cohérente avec le reste de l’analyse de Keynes, qui place les motifs psychologiques des actions au coeur de la dynamique économique et justifie, par la même l’intervention des pouvoirs publics, qui peuvent, selon lui, modifier les anticipations. Milton Friedman propose une autre approche des anticipations : pour lui, les individus sont capables de corriger leurs erreurs d’appréciation et font ce que Friedman appelle des anticipations « adaptatives ». Une application importante de ce concept se retrouve dans son approche de la courbe de Phillips : ces anticipations adaptatives conduisent, selon Friedman à ce que l’arbitrage inflation/chômage n’ait plus lieu d’être sur le court terme.

 

Les économistes de la nouvelle école classique vont plus loin encore. Ils émettent l’hypothèse de l’existence d’anticipations rationnelles. Cette hypothèse, introduite par John Muth et développée par Robert Lucas repose sur l’idée selon laquelle les agents économiques seraient capables, dans leurs anticipations de tirer parti de toute l’information disponible. Sur cette base, ils forment des calculs d’utilité espérée qui leur permettent de prendre des décisions sur le long terme. Cette hypothèse signifie surtout que les agents ne cessent pas d’être rationnels quand ils se projettent dans le futur et maintiennent des raisonnements individualistes. Elle ne signifie pas qu’ils ne se trompent jamais, mais qu’ils sont capables d’estimer correctement l’avenir, sauf en cas de surprises imprévisibles. C’est une hypothèse centrale de ce qu’on appelle l’effet Ricardo-Barro. selon lequel la politique budgétaire tend à être inefficace car les agents économiques ne consomment pas les revenus qu’ils reçoivent : ils les garderaient sous forme d’une épargne car ils anticiperaient que les pouvoirs publics leur demanderaient plus tard de payer davantage d’impôts.

 

La question des anticipations est ainsi au coeur des politiques macroéconomiques. En particulier, la politique monétaire prend en compte les anticipations de l’inflation que font les agents économiques, puisque ces anticipations ont un effet sur l’inflation réelle. Ainsi quand les salariés anticipent une forte inflation, ils cherchent à obtenir des hausses de salaire, ce qui crée effectivement une forte inflation. Des politiques « d’ancrage d’inflation » peuvent alors être menées par les banques centrales. Cet ancrage peut se manifester par l’existence de règles, ou bien par le fait de viser durablement un taux d’inflation régulier.

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