Sociologie des relations professionnelles

Lallement, Michel

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L'ouvrage

Si le contrat de travail n'est conclu qu'entre un employeur et un salarié, il s'inscrit dans un contexte plus large, celui des relations professionnelles, que Michel Lallement définit comme l'ensemble des pratiques et des règles qui, dans une entreprise, une branche, une région ou l'économie tout entière, structurent les rapports entre les salariés, les employeurs et l'Etat. Suivant une approche institutionnaliste, Michel Lallement décrit l'émergence des relations professionnelles à la fois comme instance régulatrice du marché du travail et comme objet d'étude, ainsi que le rôle joué par chacun des acteurs identifiés comme partie prenante des relations professionnelles.
 

Un jeu à trois

Les syndicats, les employeurs et l'Etat constituent les trois pôles des relations professionnelles. Les syndicats, tout d'abord, émergent avec les révolutions industrielles du 19ème siècle. Reprenant le modèle développé par Patrick de Laubier, Michel Lallement souligne le mouvement historique qu'ont connu la plupart des organisations syndicales des pays occidentaux. Après une première période communautaire, où le syndicat attire par les avantages qu'il procure aux salariés en termes d'assurance sociale ou d'accès à l'emploi, il évolue ensuite vers un modèle plus sociétaire. Ce schéma général ne saurait estomper la très grande disparité des syndicalismes entre les pays. Ainsi, très tôt, les organisations du monde anglo-saxon refusent toute affiliation politique, alors qu'en Europe continentale, les syndicats sont davantage imprégnés de culture socialiste et d'action politique ouvrière. De plus, le passage du stade communautaire au stade sociétaire ne s'est pas effectué partout de la même manière. En France, notamment, le modèle communautaire mâtiné d'une forte coloration politique a longtemps dominé. L'évolution des syndicalismes nationaux peut être expliquée notamment par deux critères, mis en évidence par Seymour Lipset : la structure sociale préalable, l'empreinte du féodalisme favorisant la culture de classe, et l'acceptation par les élites d'une participation ouverte aux décisions politiques et économiques, qui favorisera soit une culture du compromis, soit un essor des affrontements et des conflits.

Les employeurs, pour leur part, ont davantage tardé à se regrouper en associations. Ce mouvement a d'ailleurs été largement initié pour contrer la montée en puissance des syndicats et opposer à une puissance collective la force de l'union. En France, les premières unions de patrons ont été créées non pas pour des motivations sociales, mais pour peser sur le gouvernement afin qu'il instaure des barrières douanières face à l'expansion commerciale anglaise dans les années 1830-1840. Ce n'est qu'à la fin du 19ème siècle que ces structures donneront la réplique aux syndicats.

Pourtant, l'Etat va très vite se révéler un acteur incontournable des relations professionnelles, qui auraient pu se limiter au face à face entre les représentations collectives des salariés et des employeurs. Mais pour déterminer quelles sont les structures effectivement représentatives, quelle valeur il faut accorder aux conventions passées entre syndicats et employeurs et à quelles règles procédurales sont soumises les relations professionnelles, il fallait l'intervention de la puissance publique. Plus qu'un arbitre, l'Etat est devenu un acteur à part entière. "Dans de nombreux pays, l'Etat se veut avant tout le garant du cadre dans lequel prennent forme les conflits et les compromis. Aussi l'inclinaison adoptée par les sociétés industrielles est-elle initialement celle d'un Etat arbitre, peu disposé à normer, toujours et partout, les relations de travail et d'emploi " (p. 64). L'Etat a par ailleurs joué un rôle essentiel en tant qu'employeur, la fonction publique gagnant en poids au fil de la constitution de l'Etat-providence et exerçant une influence forte sur l'ensemble du monde du travail.
 

Une théorisation tardive

La pensée autour des relations professionnelles a été nettement postérieure à leur apparition et a fait l'objet d'un traitement très variable en fonction des traditions. Ainsi les marxistes ont-ils, du fait du primat accordé au politique, peiné à inscrire les relations professionnelles dans leur schéma de pensée, dans la mesure où la collaboration entre les classes était bannie. Les précurseurs, sur ce terrain, sont davantage à rechercher du côté de Durkheim, qui voit dans le syndicalisme et plus généralement dans les groupes professionnels un vecteur pour la fondation de nouvelles relations sociales. Un peu plus tard, Beatrice et Sidney Webb, deux chercheurs anglais proches des travaillistes, analysent le syndicalisme comme un cartel de main-d'œuvre susceptible de peser face aux exigences des employeurs. Cette analyse a été largement affinée dans la littérature anglo-saxonne. Alan Flanders, dans les années 60, mettra en avant le rôle de régulation conjointe des organisations de salariés et d'employeurs, étendant la conclusion des époux Webb. Pour autant, d'autres auteurs mettent en avant des dimensions complémentaires qui échappent à la seule lecture en termes de marché du travail. Ainsi, aux Etats-Unis, John R. Commons, avec à sa suite l'école du Wisconsin, "montre que les distensions progressives entre les fonctions de marchand, d'employeur, de travailleur et de consommateur sont sources de conflits et permettent d'expliquer, bien avant la révolution industrielle, la constitution d'organisations représentatives d'intérêts collectifs " (p. 31). Dans les années 60, en France, la nouvelle école de sociologie du travail, autour notamment d'Alain Touraine, voit dans le passage des syndicats d'une action de classe à une action politique l'un des signes de la disparition de la classe ouvrière. Les approches contemporaines sont très marquées par les grandes écoles des sciences sociales, en particulier l'interactionnisme qui s'attache à décrire le rôle des interactions individuelles dans la formation des décisions, et la théorie des jeux.

Les recherches et les analyses théoriques sont aussi nombreuses autour du syndicalisme salarié qu'elles sont pauvres concernant les organisations patronales. Bien moins médiatiques et rassemblant des personnes davantage soucieuses de confidentialité, les structures représentatives des employeurs restent un champ de recherche fertile pour les sociologues et les économistes.
 

Une ère nouvelle

Ainsi donc, ces trois acteurs ont ensemble développé, depuis la seconde moitié du 19ème siècle, ce qu'il est convenu d'appeler les relations professionnelles. Elles ont navigué entre deux pôles : le conflit et la négociation. Les conflits existent probablement depuis que le travail existe. Les jacqueries et les révoltes paysannes datent en effet du Moyen-âge. Mais l'ère industrielle transporte des conflits d'essence locale sur la scène nationale et les rend plus autonomes, créant la catégorie spécifique "conflits du travail ". De nature très politique à leurs débuts, surtout en France (elles sont, par exemple, liées à l'entrée du PC au gouvernement en 1936 puis à son retrait en 1947), elles vont toutefois connaître un mouvement de pacification et porter davantage autour de considérations économiques et sociales, protestant contre des mesures précises plutôt que contre un gouvernement en particulier. Même les partis sociaux-démocrates européens, pourtant historiquement très proches des syndicats, vont affronter, à partir des années 1980, des mouvements de grève durs lorsqu'ils appliqueront un programme s'éloignant de leur tradition politique. Les grèves vont se multiplier en période de bonne conjoncture économique, dans les années 60, puis décroître à partir des années 80. L'autre pôle, celui de la négociation, est un peu plus tardif. Il apparaît (en dehors des négociations de crise, pour mettre fin à une grève), au début du 20ème siècle, les Etats encourageant les négociations collectives pour apaiser les relations sociales et prévenir les conflits. En France, à l'exception du secteur minier, il faudra toutefois attendre les années 20 pour que se développe véritablement la négociation collective.

Il est permis de s'interroger sur le devenir de ces deux pôles, alors que notre sphère économique et sociale est bien loin de celle du 19ème siècle. La disparition des grands bastions industriels, l'émergence d'une économie de petites entreprises en réseau, la montée du chômage et l'affaiblissement des identités collectives sont autant d'éléments identifiés par Michel Lallement comme défavorables à la fois à la syndicalisation et à la négociation collective, la tendance étant davantage aux négociations internes à l'entreprise. "Au cours des années 1980 et 1990, la décentralisation et la délocalisation de la production, les pratiques d'individualisation des salaires, la création de nouvelles instances participatives excluant la représentation syndicale, un cadre juridique contraignant, les poursuites judiciaires à l'encontre des salariés les plus actifs, la chute de la syndicalisation, etc… renforcent la tendance " (p. 73). Pour autant, l'auteur se garde bien de conclure à la disparition des conflits. Plus larvés, moins voyants, jouant sur la productivité ou l'image de l'entreprise, ils peuvent s'avérer aussi coûteux mais plus difficiles à résoudre.

Les organisations syndicales, face à une baisse de leurs effectifs observée dans la plupart des économies développées, ajustent d'ailleurs leur stratégie. Elles réforment leurs structures pour paraître moins technocratiques, partent à la conquête de nouveaux publics, nouent des partenariats constructifs dans le monde du travail et relancent les mouvements de grève et les manifestations pour mobiliser et montrer leur puissance. De leur capacité à rebondir dépend d'ailleurs l'avenir des relations professionnelles telles que nous les avons connues depuis 150 ans, jouant un rôle essentiel de stabilisateur social (les avantages obtenus par la négociation collective ou dans l'entreprise contribuant à fidéliser les salariés dans le secteur d'activité ou auprès de l'employeur concerné). Les tentatives de régulation sans relations professionnelles (par exemple par les techniques managériales participatives) n'ont pas apporté la preuve de leur capacité à s'y substituer. Or, pour aborder les changements que les entreprises réclament pour les prochaines années, notamment l'accentuation de la flexibilité, Michel Lallement considère que la négociation dans le cadre des relations professionnelles sera indispensable pour l'acceptation des nouvelles règles par les salariés.
 

L'auteur

Michel Lallement est professeur titulaire de la chaire d'Analyse sociologique du travail, de l'emploi et des organisations du Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM), et membre du Lise-CNRS. Il a notamment publié Temps, travail et modes de vie (PUF, 2003) et Le Travail. Une sociologie contemporaine (Gallimard, 2007).

 

Table des matières

Introduction

1 / La construction historique des relations professionnelles
La genèse du syndicalisme ouvrier dans les premiers pays industrialisés
La constitution des associations d'employeurs
L'Etat, spectateur engagé
Professions et relations professionnelles

2 / Eléments d'interprétation théorique
Les analyses fondatrices
Sociologie de l'action syndicale : les héritiers multiples de Selig Perlman
Le prisme fonctionnaliste
Interactions et construction des relations collectives de travail

3 / Les acteurs des relations professionnelles
Le syndicalisme salarié dans la tourmente
Syndicalismes début de siècle : une atonie persistante
Les organisations d'employeurs
L'Etat et les relations professionnelles

4 / Conflits et négociations
Protestations et conflits du travail
Dynamiques de la négociation collective
Les relations professionnelles entre décentralisation et internationalisation

5 / Relations professionnelles et régulations des marchés du travail
La construction des régulations
Les impacts des relations professionnelles sur la régulation du marché du travail
Les déterminants institutionnels de l'action syndicale
Vers de nouvelles régulations ? Relations professionnelles et flexibilité du travail

Conclusion, Repères bibliographiques

 

Quatrième de couverture


Avec pour enjeu majeur une codification des conditions de travail et d'emploi, les relations professionnelles prennent principalement la forme de conflits et de négociations. Cet ouvrage met en lumière les logiques qui organisent de tels processus et il examine les différentes interprétations théoriques proposées à ce sujet par les sciences sociales.
Ce livre présente les identités et les stratégies des acteurs des relations professionnelles (syndicats de salariés, organisations patronales, Etat). Une investigation large met en exergue l'existence de quelques configurations typiques, qui s'opposent par les formes de représentation des intérêts, le niveau de confrontation ou encore le mode de confrontation sociale dominant.
A la lumière des évolutions récentes (recomposition du syndicalisme, mondialisation…), l'ouvrage analyse enfin les interactions entre relations professionnelles et régulation des marchés du travail.

 

 

 

 

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