Sociologie de l'action publique

Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès

 

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L'ouvrage

Les politiques publiques sont un des objets privilégiés des sciences sociales depuis leur constitution. La science juridique, puis la science politique se sont en effet depuis longtemps penchées sur la façon dont l'Etat peut prendre et prend les décisions. Or, l'objet de cet ouvrage est d'apporter un éclairage synthétique sur ce que la sociologie peut apporter à la compréhension de l'action publique. Ce vocable est d'ailleurs volontiers employé par les sociologues, qui s'intéressent aux interactions entre les individus, aux normes de l'action ainsi qu'aux conflits qui les génèrent, tandis que la science politique, dans une approche davantage tournée vers les cercles de pouvoir, privilégie l'appellation de "politiques publiques ".
Les grandes écoles de pensée sociologique ont ainsi porté leur regard sur l'action publique qui a été "l'un des éléments centraux du mythe moderniste de l'ingénierie sociale, de la rationalisation devant organiser la société selon des principes d'efficacité " (p. 10-11), soulignent les auteurs. Durkheim s'est ainsi intéressé aux normes et aux représentations présidant à ces politiques publiques, Max Weber a pour sa part développé une réflexion féconde autour de la bureaucratie, dans une perspective de comparaison historique. Les auteurs influencés par le marxisme ont, pour leur part, nourri les recherches autour des élites étatiques et de leur reproduction, tandis que la sociologie du "choix rationnel " a abordé l'action publique en termes de maximisation des intérêts, à la fois ceux des bénéficiaires et ceux des acteurs des politiques publiques.
Plutôt qu'une approche par courants de pensée, fastidieuse et peu propice à une compréhension d'ensemble, les auteurs proposent au fil de cet ouvrage une analyse des principaux apports de la sociologie à l'étude des cinq éléments qu'ils retiennent comme constitutifs de l'action publique : la représentation, le processus, les résultats, les institutions et les acteurs, éléments imbriqués et difficilement isolables.
L'apport propre de la sociologie, distinct des études de science politique, s'est surtout fait sentir à partir des années 70. Partant du constat de l'échec des politiques publiques conduites dans le cadre de l'Etat-Providence, échec matérialisé par la persistance de fortes inégalités et de la pauvreté en dépit des politiques sociales chargées de les réduire, les chercheurs ont insisté sur la nécessité de s'intéresser à l'écart entre les intentions et les résultats. Cette approche permet de mettre en évidence l'ineffectivité des politiques publiques (absence de conséquences pratiques des intentions politiques, évidente dans le cas des nombreuses lois restant sans décrets d'application), leur inutilité (lorsque les résultats escomptés ne sont pas atteints) ou encore leur inefficacité (disproportion manifeste entre les coûts d'une politique publique et ses résultats).
Aux Etats-Unis, ces recherches faisaient suite aux pratiques d'évaluation déjà anciennes : dès le New Deal en effet, des mécanismes de rationalisation publique furent mis en place. En France les recherches sont plus récentes, même s'il ne faut pas oublier la période de la rationalisation des choix budgétaire. Il faut noter que, dans notre pays, l'essentiel des contrôles était jusqu'aux années 60 effectué par la Cour des comptes, dont la mission est avant tout de s'assurer du respect des règles financières. A partir des années 60, sous l'égide de Michel Crozier, une démarche plus économique que juridique fut adoptée, recherchant la rationalité et l'efficacité de l'action publique.
Une fois dégagées les insuffisances des politiques publiques, restait à en éclaircir les causes. De nombreuses recherches économiques se sont intéressées à cette question. D'un point de vue sociologique, il s'est alors agi de développer une méthode compréhensive. En rentrant dans la logique des acteurs, les sociologues ont cherché à expliquer de l'intérieur les échecs des politiques publiques. Ils ont insisté sur la marge discrétionnaire dont disposent les fonctionnaires et, plus largement, sur la logique des concepteurs des politiques publiques. Mais on ne saurait réduire ces politiques au seul rôle de leurs initiateurs. C'est pourquoi la sociologie a aussi mis l'accent sur les activités d'appropriation des décisions par les interprètes en charge de leur mise en œuvre, à tous les niveaux de la hiérarchie. L'analyse de cette appropriation est d'ailleurs rendue plus complexe par l'enchevêtrement des territoires sur lesquels l'action publique est censée produire ses effets et par les rapports politiques entre les différents acteurs locaux.
La sociologie, mobilisée pour la compréhension des acteurs, n'a pas pour autant abandonné à la science politique l'étude des sommets de l'Eta : au contraire, à une vision juridique traditionnelle, elle a ajouté d'autres grilles d'analyse. Ainsi, la sociologie des organisations a-t-elle permis de découper les décisions publiques en séquences, une étape féconde pour leur compréhension. De plus, l'école de la sociologie de l'action, dans le sillage de Raymond Boudon, a analysé les politiques publiques comme des interactions de décisions individuelles. Sur ces décisions pèsent toutefois des contraintes (poids de l'administration, manque d'informations…). L'école du choix rationnel, pour sa part, a mis l'accent sur le poids de l'intérêt des fonctionnaires, qui cherchent le plus souvent à étendre leur emprise – approche jugée rigoureuse mais réductrice par les auteurs. Ils soulignent en revanche l'intérêt de la prise en compte des représentations, qui permet une appréhension plus globale de l'action publique. Le changement de société des années 1950 aux années 1980, puis le néo-libéralisme des années 1980 aux années 2000, ont ainsi servi de paradigme à l'action publique, reliant sous une même bannière un ensemble épars de décisions. Ce courant de recherche met en avant le rôle fondamental des acteurs publics : donner du sens au changement social. "Cette approche des transformations de l'action publique a pour originalité de combiner les facteurs internes et externes, les facteurs exogènes (crises économiques, alternances politiques) étant indissociables des facteurs endogènes (mobilisation critique contre les orientations et les instruments des programmes existants) " (p. 54). L'étude des sommets de l'Etat a par ailleurs donné lieu à de nombreuses recherches sur la sociologie des élites, non seulement en termes d'appartenance sociale des dirigeants, mais aussi en termes de poids des groupes d'intérêt, qu'ils soient internes (notamment les corps) ou externes (les groupes de pression) à l'appareil d'Etat. Ces recherches autour des influences ont d'ailleurs débouché sur l'étude des "entrepreneurs de cause ", sur le passage du fait social au problème politique. Ainsi, notent les auteurs, un fait social "ne devient public que lorsque des acteurs mobilisés parviennent à l'inscrire dans l'espace politique, c'est-à-dire lorsqu'il devient un sujet d'attention, voire de controverses et que des positions se confrontent pour en caractériser les composantes, l'ampleur et les causes " (p. 69).
La sociologie a également renouvelé le regard porté sur les institutions. Outre l'école du choix rationnel, qui voit dans les institutions des outils de maximisation des intérêts, la sociohistoire, dans la droite ligne de Max Weber et de Pierre Bourdieu, s'est par ailleurs intéressée au mouvement d'étatisation des faits sociaux. En outre, le néo-institutionnalisme s'est penché sur leur rôle et sur leurs limites. Si, en constituant un cadre stable, elles permettent de réduire l'incertitude, elles finissent par privilégier certains intérêts, du fait de l'appropriation par certains groupes sociaux de ces institutions. En soulignant la création de routines et de normes de comportement, la sociologie a d'ailleurs permis de mieux comprendre certains faits économiques, comme le déficit budgétaire. "Les processus internes d'accroissement des dépenses publiques sans choix sont progressivement devenus la norme. Les responsables politiques ont d'ailleurs beaucoup de difficultés à interrompre ces cycles, car si le lancement de nouveaux programmes met en scène leur capacité de changement, le projet de supprimer une politique publique se heurte immédiatement à la mobilisation des clientèles, des bénéficiaires et des opérateurs, aux routines institutionnalisées " (p. 92).
La sociologie, par l'étude de détails échappant à l'objet de la science juridique et à l'attention du politologue, porte donc un regard "en biais " sur l'action publique. "Les non-décisions, les scènes invisibles et les acteurs cachés sont apparus aussi importants dans l'action publique que les grands gestes visibles et mis en scène " (p. 17).  Tout en poursuivant un but scientifique, les sociologues apportent donc leur pierre à l'édifice de l'action publique et œuvrent à son succès, en dégageant des grilles d'explication, à tous les niveaux, sur les échecs observés et en permettant aux responsables politiques d'en tirer les leçons, afin de renforcer l'efficacité et l'efficience de leur action.
 

L'auteur

Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès , directeurs de recherche au CNRS / Cevipof, enseignent à Sciences Po Paris.

 

Table des matières

Introduction

I. Une sociologie politique de l'action publique
1. Les politiques publiques, un domaine des sciences sociales
2. Les définitions de l'action publique
3. L'action publique comme articulation entre régulation sociale et politique
4. Echelles et temporalités : de l'Etat-Nation aux sociétés ingouvernables
Conclusion

II. La "mise en œuvre " : la clef d'entrée des politiques publiques
1. De l'analyse de l'échec des politiques publiques
2. Saisir l'action publique "par le bas "
3. La mise en œuvre comme analyseur de la politique

III. Les politiques publiques à partir des sommets de l'Etat
1. Intérêt général et contraintes pour l'action publique
2. Prendre des décisions, c'est agir : les boucles étranges de la décision
3. La coordination par les représentations globales
4. Les acteurs des sommets de l'Etat et la coordination de l'action publique
Conclusion

IV. Problèmes publics : des controverses aux agendas
1. Construire un problème politique : définir, interpréter, revendiquer
2. Les enjeux de catégorisation
3. La mise en politique
4. Approches en termes de mise sur l'agenda gouvernemental

V. Institutions, normes et instruments de l'action publique
1. Les normes de l'action publique
2. Les contraintes budgétaires : gouverner, c'est hériter
3. Comment les acteurs utilisent les institutions pour faire des politiques publiques
4. Instruments et instrumentation de l'action publique : vers un gouvernement automatique ?

Conclusion

Bibliographie, Index
 

Quatrième de couverture

Ces dernières années, les domaines d'intervention de l'Etat ont proliféré. De multiples acteurs économiques et sociaux, territoriaux et transnationaux, ont été également mobilisés et interfèrent avec l'Etat.
Les auteurs de ce livre se sont attachés à caractériser ces dynamiques et leurs transformations.
En reprenant les principaux concepts et modèles d'analyse, ils présentent, de façon pédagogique, une synthèse à partir de deux questions fondamentales :
-    Qu'est-ce qu'une politique publique ? Un commandement émanant d'une autorité centrale afin de résoudre un problème au nom du bien commun ; ou bien un vaste espace de négociation entre une multitude d'acteurs privés et publics ?
-    Comment changent les politiques publiques ? Par des mobilisations sociales appelant à une régulation politique ; ou bien en fonction des contextes institutionnels qui formatent ces demandes, selon leurs logiques internes ?
 

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