Quand les grands patrons se plantent

Sydney FINKELSTEIN

L'ouvrage


Derrière un titre d'une familiarité racoleuse, encore accentuée par la maquette de couverture, le lecteur trouvera un ouvrage fidèle à son titre original : Why Smart Executives Fail : And What You Can Learn from Their Mistakes .* Car le propos de l'auteur n'est pas de stigmatiser quiconque mais bien de tirer enseignements de certains échecs retentissants rencontrés par des chefs d'entreprise au cours des dernières décennies. Les cas présentés sont majoritairement américains ou anglo-saxons. Aucun exemple français ne figure dans l'échantillon étudié même si Jean-Marie Messier a l'honneur d'une mention. La facture de l'ouvrage est typiquement américaine : un style direct, une lecture facile, des apostrophes au lecteur, des formules percutantes et le souci de rester dans un registre pratique sans verser dans une vaine conceptualisation.

Professeur de management, Sydney Finkelstein a choisi de s'intéresser avec ses collaborateurs à une cinquantaine d'entreprises remarquables par les échecs qu'elles ont essuyés. Certaines ne s'en sont pas relevées. Il a pour ce faire procédé à près de 200 interviews de responsables d'entreprise ayant connu l'échec, au cours et souvent au terme d'un parcours caractérisé d'abord par une brillante réussite. Cette étroite proximité de la réussite et de l'échec pourra ailleurs être expliquée aux plans moral ou philosophique, elle est ici abordée d'un point de vue pragmatique. La réussite et l'échec présentent bien un lien causal explicable en termes psychologiques, cognitifs et organisationnels.

Quand le succès appelle l'échec


L'auteur réfute d'emblée les explications trop commodes de l'échec : incompétence voire malhonnêteté, environnement adverse et imprévisible, exécution défaillante, dilettantisme ou manque d'autorité, ressources insuffisantes de l'organisation, etc. Affirmant aborder son objet d'étude sans idée préconçue, S. Finkelstein a su mettre au jour, derrière la variété des entreprises et des situations évoquées, certaines logiques récurrentes de l'échec. Il constate notamment que loin d'appeler toujours d'autres succès, le succès peut préparer l'échec.

"Les succès passés ne garantissent pas les succès à venir." rappelle S. Finkelstein à la façon des notices d'information sur les SICAV. Or, les cas sont nombreux de dirigeants littéralement aveuglés par leurs succès passés. La plupart de ceux interrogés par l'auteur ont connu de brillantes réussites qui ont pu les conduire à une confiance excessive et finalement un manque de vigilance. L'objet de leurs certitudes tend alors à prendre une importance excessive : confiance aveugle dans une stratégie poursuivie coûte que coûte, foi dans une technologie ou dans un produit sans prêter une attention suffisante aux attentes évolutives des clients.

"Ne tombez pas amoureux de votre produit ou service : c'est le rôle de vos clients" écrit notamment l'auteur. Il cite à l'appui de cette recommandation plusieurs fleurons de l‘économie américaine, à l'instar d'une entreprise comme Levi's qui s'est obstinée sur le produit qui avait fait sa fortune sans vouloir comprendre que les attentes de la clientèle évoluaient. Ce fut également le cas de Motorola, fabricant de téléphones cellulaires, qui trop longtemps confiant dans la technologie analogique n'a que tardivement admis le succès de la technologie numérique. Dans ce second cas, la confiance dans la technologie s'est doublée d'un excès de confiance en soi générateur de rigidités organisationnelles et en définitive d'une insuffisante prise en compte du monde extérieur, concurrents et clients mêlés. "Une culture aussi forte et aussi empreinte de réussite que celle de Motorola résiste aux nouvelles idées." écrit S. Finkelstein.

Le véritable échec, ayant pour conséquences la destruction de valeur et d'emplois voire la disparition de l'entreprise elle-même, ne peut être le fait d'une erreur ponctuelle. L'erreur isolée est forcément limitée dans ses effets. Elle relève en outre d'une normalité statistique consubstantielle de toute entreprise humaine. Seules les erreurs réitérées peuvent effectivement conduire au véritable échec. Or, la réitération des erreurs implique la mise en place d'un véritable système logique. Pour S. Finkelstein ce système combine "des idées erronées des dirigeants qui déforment la vision de la réalité de l'entreprise", "des comportements fondés sur cette illusion qui la confortent", "des failles dans les systèmes de communication développés pour transmettre les informations urgentes" et enfin "des qualités de leadership qui empêchent les dirigeants de l'entreprise de changer d'optique".

Comme le souligne dans sa préface Christian Morel, auteur par ailleurs du très stimulant Les décisions absurdes (Gallimard, 2002), "les responsables se trompent dans leur représentation du réel". A partir de cette représentation faussée, un enchaînement d'erreurs, en soi logique et rassurant, devient possible.

 

Se prémunir

La première des  recommandations suggérée par S. Finkelstein est de redoubler de vigilance lors des phases critiques pour les entreprises que sont leur création, l'innovation ou le changement, les fusions et acquisitions ainsi que la confrontation avec de nouveaux concurrents.

Outre la vigilance à l'égard des situations les plus favorables à l'échec, l'auteur invite, à rebours de certaines idées reçues, à s'intéresser au moins autant aux erreurs qu'aux réussites, aux mauvaises pratiques qu'aux bonnes pratiques. Une attention trop exclusive aux bonnes pratiques présente en effet un certain nombre d'inconvénients. Elle peut conduire notamment à des transpositions abusives d'une organisation à l'autre, d'un contexte à l'autre ou d'une période à l'autre. Une autre idée reçue a été à l'origine de bien des échecs, en particulier lors des fusions et acquisitions : les synergies. Dans les faits il apparaît que les synergies sont rares et généralement tardives. Dans certains cas, il convient même de parler de synergies négatives.

L'auteur invite également à prendre garde aux détails. Beaucoup des difficultés rencontrées lors des fusions et acquisitions et dans d'autres situations délicates tiennent à l'insuffisante attention des dirigeants aux détails jugés triviaux. De même, S. Finkelstein relève que la gestion des risques et l'anticipation des difficultés sont trop souvent défaillantes. Or, anticiper les problèmes improbables permet ensuite de se concentrer sur les difficultés réellement imprévisibles pouvant quoi qu'il arrive survenir à l'occasion d'un projet ou de quelque initiative d'importance stratégique. A cet égard, l'auteur constate en particulier que l'occurrence d'un fait grave en soi est souvent considérée a priori mais que l'occurrence de plusieurs faits mineurs dont la conjonction serait tout aussi grave est elle ignorée.

Enfin, S. Finkelstein invite à davantage prendre en considération l'histoire de l'entreprise laquelle permet le cas échéant d'expliquer beaucoup de l'aveuglement de ses dirigeants et de l'inertie décisionnelle. C'est particulièrement le cas lorsque tout paraît dicté par une référence permanente à un succès passé.

D'une manière générale, l'échec guette à partir du moment où l'organisation n'est plus en mesure de contrecarrer les erreurs de jugement de son dirigeant. Que ces erreurs soient le fait d'un péché d'orgueil, de la tentative de rééditer perpétuellement des succès antérieurs ou simplement de la tentation de se cramponner à des représentations trop simples d'une réalité complexe et mouvante. Contre cela, l'auteur recommande de cultiver une certaine ouverture d'esprit et de s'assurer de l'existence de mécanismes critiques au sein de l'entreprise. A ce sujet, il cite notamment le cas de Home Depot où certains collaborateurs, désignés "avocats de la concurrence", sont chargés de défendre les mérites des produits concurrents. Enfin, S. Finkelstein formule cette sage suggestion : "faire une pause et [s']interroger sur tout ce qui semble évident".

* : "Pourquoi de brillants dirigeants d'entreprise échouent et ce que nous pouvons apprendre de leurs erreurs".

L'auteur

 

  • Sydney Finkelstein enseigne à la Tuck School of Business de Dartmouth où il dirige un programme de formation des dirigeants.

Quatrième de couverture

"Ils ont été des stars des affaires, ils ont fait la une de la presse, ils ont été des modèles pour vous, tout semblait devoir leur réussir… et ils ont échoué.

Comment des grands patrons mondialement adulés ont-ils conduit leur entreprise à la débâcle ? Quels sont les signes infaillibles qui vous diront si votre entreprise est sur cette voie ?

Pour la première fois, une enquête menée par un expert du management ouvre le dossier de ces désastres retentissants, et montre les erreurs récurrentes de leurs dirigeants qui ont poussé ces entreprises au précipice."
 

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