Notre première mondialisation - Leçons d'un échec oublié

BERGER Suzanne

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L'ouvrage

Le cheminement vers un marché mondial des biens, des services, du capital et du travail n'est pas propre à notre époque. Entre 1870 et 1914, le monde a suivi telle orientation. Si la période actuelle est loin d'être en tout point identique à cette "première mondialisation", un réexamen du passé est sans nul doute utile pour décrypter le présent et entrevoir des futurs possibles. Au moins, il nous force à reconnaître d'une part que la mondialisation actuelle n'est pas un phénomène totalement inédit et d'autre part qu'elle n'est pas irréversible. Des rémissions plus ou moins accusées peuvent à tout moment survenir. Surtout, la mondialisation n'est pas le stade ultime, souhaitable ou déplorable, du capitalisme. Pas plus que ne devrait advenir une quelconque fin de l'histoire, la mondialisation n'est pas l'état d'équilibre vers lequel tendrait par nature le système économique international.

Echappant aux pièges d'un comparatisme schématique, Suzanne Berger a su à la fois montrer en quoi la période de 1870 à 1914 a effectivement été le théâtre d'une première mondialisation et distinguer clairement les traits qui la différencient de la mondialisation à laquelle nous assistons aujourd'hui. L'auteur rappelle notamment qu'il ne suffit pas qu'il y ait échanges internationaux pour parler de mondialisation. Il rappelle d'ailleurs que les sociétés aux frontières closes, empêchant tant le déplacement des personnes que l'échange des marchandises, relèvent de l'exception historique.

La mondialisation est avérée lorsque les échanges internationaux prennent assez d'importance pour " que les marchés extérieurs (…) déterminent de plus en plus les prix, c'est-à-dire la distribution des ressources et des revenus ". Or, la période 1870-1914 s'inscrit dans le cadre de cette définition. Trois phénomènes au moins en attestent. Premièrement, les produits agricoles sont alors de moins en moins cantonnés au périmètre restreint de l'autoconsommation et des échanges locaux pour intégrer de véritables marchés et alimenter de plus en plus massivement importations et exportations. Division internationale du travail et baisse du coût des transports encouragent le phénomène. Deuxièmement, les Etats qui pendant des siècles ont freiné les échanges internationaux par le biais de quotas aux importations, de barrières douanières et de divers autres dispositifs comme l'interdiction faite à certains travailleurs qualifiés de s'expatrier, s'entendent désormais pour créer des conditions favorables aux échanges internationaux. C'est par exemple l'objet de l'accord de libre-échange du 23 janvier 1860 conclu entre la France et la Grande-Bretagne. Enfin, la seconde moitié du XIX° siècle est caractérisée par l'accession directe ou indirecte d'un plus grand nombre d'acteurs aux échanges internationaux jusque-là réservés à quelques grandes familles, entreprises ou banques.

La France sur laquelle l'auteur se penche plus particulièrement a pris part à ce mouvement de façon singulière. Hormis le Royaume-Uni, elle a ainsi été, parmi les nations développées, la plus encline à investir à l'étranger. Mais, loin de diriger prioritairement leur épargne vers les colonies, les Français l'ont massivement orientée vers l'Empire ottoman, l'Amérique latine et la Russie aux ressources et débouchés jugés très prometteurs. Y compris chez les petits épargnants, l'engouement a été excessivement vif. Entre 1887 et 1913, 3,5 % du revenu national auraient été dédiés aux investissements à l'étranger. Soit une part plus importante qu'elle n'est aujourd'hui, en termes relatifs. Encouragés par des rendements aussi élevés qu'aléatoires, poussés par des banques administrant prêts et emprunts au mieux de leurs intérêts, confortés par une presse financière stipendiée, les investisseurs ont pris des risques inconsidérés et subi des pertes à proportion. A l'issue du premier conflit mondial, l'encours des investissements français à l'étranger, en Russie et ailleurs, se trouvait en effet diminué des deux tiers.

La mondialisation contre la démocratie ?

L'examen de la première mondialisation conduit l'auteur à poser la question des rapports entre démocratie et mondialisation. Selon une idée largement répandue aujourd'hui chez les dénonciateurs de la mondialisation telle qu'elle va, celle-ci dicterait une voie unique ignorante des souverainetés nationales, de l'initiative politique en général et en définitive de la démocratie. Or, les deux derniers siècles ont plutôt eu tendance à illustrer non seulement la compatibilité mais encore la complémentarité de la démocratie et de l'économie de marché appuyée notamment sur la reconnaissance de la propriété privée. Les Etats ayant finalement su préserver dans un cadre national, par la régulation et la redistribution, leur capacité à protéger les citoyens de certains effets négatifs de cette économie de marché. La période 1870-1914 a elle-même été marquée par une volonté politique affirmée en matière économique et sociale. S. Berger souligne que " L'introduction de la progressivité de l'impôt sur les héritages, la taxation des valeurs mobilières, la création d'un impôt sur le revenu furent les grandes innovations politiques des pays développés pendant la première mondialisation. " Posant par-là les prémisses de l'Etat-providence.

Pourtant, la mondialisation actuelle, en abattant les frontières, affaiblirait cette capacité politique et menacerait la démocratie. Démocratie et mondialisation n'iraient plus de pair. Alors que la première mondialisation bénéficiait globalement de la bienveillance des partis et syndicats de gauche, particulièrement en France, au nom de l'internationalisme, d'une solidarité des travailleurs par essence universelle et de la lutte contre les protectionnismes assimilés aux nationalismes, la mondialisation actuelle jouerait contre la démocratie. Reprenant plus ou moins consciemment des analyses qui ont fleuri dans les années 1970, elles-mêmes partiellement inspirées de la thèse de Lénine et de son ouvrage L'impérialisme, stade suprême du capitalisme , les antimondialistes ou altermondialistes d'aujourd'hui tendent à assimiler capitalisme et mondialisation à une forme d'impérialisme.

Les spécialistes des relations internationales nous enseignent à cet égard que les périodes marquées par un progrès du libre-échange sont généralement des périodes de paix dominées par le pouvoir hégémonique d'une puissance unique. Cette puissance se montre habituellement encline à favoriser le libre-échange qui sert ses intérêts mais également à promouvoir sa régulation via la mise en place ou le renforcement d'institutions internationales. Or, pour l'auteur la puissance hégémonique actuelle, les Etats-Unis, ne semble pas suivre cette voie. Le constat semble d'autant plus chargé de regrets chez S. Berger que l'Union européenne ne paraît pas en mesure de pallier les carences américaines. Non seulement l'UE ne jugulerait pas les effets de la mondialisation mais en serait un vecteur, du fait entre autres des conditions et des effets probables de son élargissement. En outre, elle peut difficilement promouvoir une mondialisation tempérée et démocratique quand elle-même souffre d'un "déficit démocratique" selon l'expression reprise par l'auteur.

L'auteur

Professeur de sciences politiques au Massachusetts Institute of Technology (MIT) de Cambridge (Etats-Unis), Suzanne Berger est notamment l'auteur de National Diversity and Global Capitalism (Cornell, 1996) en collaboration avec Ronald Dore.

Sommaire

INTRODUCTION

CHAPITRE I

Les leçons de la première mondialisation

Le débat contemporain sur la mondialisation

Mondialisation, capitalisme et démocratie

La première mondialisation

Les forces à l'œuvre dans la mondialisation

Mondialisation ou impérialisme ?

CHAPITRE II

Causes et conséquences des investissements à l'étranger

Comment comprendre les exportations de capitaux

L'Etat, promoteur des exportations de capitaux

Les débats politiques sur les exportations de capitaux

CHAPITRE III

Penser global, agir national

L'internationalisme introuvable

L'internationalisme et la réforme en démocratie

La mondialisation, la guerre et la paix

CONCLUSION

Quatrième de couverture

"La mondialisation est-elle irréversible? Vide-t-elle les démocraties de leur contenu en plaçant hors de leur portée les mutations économiques et sociales qu'elle engendre? Condamne-t-elle les mouvements de gauche à une posture de résistance sans alternative? A toutes ces questions, beaucoup répondent volontiers positivement. Pourtant, la comparaison de notre mondialisation avec celle qui, de 1870 à 1914, transforma l'économie nord-atlantique, souligne la faiblesse de ces analyses. La "première mondialisation", si l'on considère notamment l'expérience de la France, n'empêcha pas les Etats de mettre sur pied des politiques de redistribution et de jeter les bases de ce qui deviendrait un jour l'Etat-providence. En outre, elle rencontra sur son chemin une gauche internationaliste qui y vit une occasion de sceller la solidarité entre travailleurs par-delà les frontières. Enfin, cette mondialisation que nombre de nos prédécesseurs voyaient déjà comme le nouveau sens de l'histoire se fracassa sur la Première Guerre mondiale. Dans cet essai, Suzanne Berger fait du regard sur l'histoire un regard sur nous-mêmes, nos défaillances, nos erreurs et nos raisons d'espérer."

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