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L'ouvrage
Trois modèles d'entreprises
A l'évidence, le savoir a toujours été partie intégrante de l'économie. Aux Etats-Unis, rappelle Jean-Pierre Bouchez, la Confédération des travailleurs intellectuels date de 1920. L'essor des moyens de communication (télégraphe, téléphone, machine à écrire, radio, cinéma…) propre à la deuxième révolution industrielle avait en effet dès cette époque entraîné l'apparition d'une nouvelle classe de travailleurs. Ce phénomène s'est depuis tellement amplifié qu'il a débouché sur une troisième révolution industrielle assise sur l'informatique et Internet. Ce "capitalisme cognitif" est une économie ouverte, faisant une large place à la collaboration et au partage (à l'opposé de l'ancien monde où la propriété intellectuelle était reine).
Jean-Pierre Bouchez identifie trois grands types d'entreprises propres à ce nouveau capitalisme, auxquels correspondent différentes catégories de salariés. Les bureaucraties professionnelles cognitives, catégorie inspirée notamment par les travaux de Max Weber puis de Henry Mintzberg, correspondent à ces "formes d'entreprises de matière grise fabriquant, diffusant ou vendant du savoir à des clients, sous forme de prestations intellectuelles" (p. 87). Dans ces structures officient des travailleurs du savoir, dont la tâche est de traiter l'information. Ils sont dans l'adaptation et la modification de procédures codifiées. Experts-comptables et cabinets d'audit, mais aussi journaux quotidiens, structures très hiérarchisées avec une division du travail marquée, entrent dans cette catégorie. L'autre grand pôle est constitué par les adhocraties cognitives et identitaires qui, "sortes d'ateliers du savoir, sont des formes d'entreprises de matière grise fabriquant, diffusant ou vendant du savoir à des clients, sous forme de prestations intellectuelles s'actualisant dans des produits et / ou des services. Ceux-ci se caractérisent notamment par une forme complexe et / ou une dimension innovante" (p. 110). Y oeuvrent non plus des travailleurs, mais des professionnels du savoir, dont le rôle est de manipuler des concepts et des idées. Le conseil stratégique haut de gamme, les banques et les boutiques d'affaires, les petits cabinets de conseil mais aussi les bureaux de design et d'architecture en constituent autant d'illustrations. Enfin, le troisième type rassemble les structures qui, par leur taille et / ou par la nature de leur activité, relèvent plutôt de la première catégorie mais qui, pour stimuler la créativité et l'innovation, copient les secondes. C'est le cas en particulier de nombreux laboratoires pharmaceutiques ou de grands groupes de communication qui multiplient les start-up et développent, à l'instar de France Télécom, des studios créatifs ayant presque tous les attributs de l'indépendance. L'esprit de compétition dans un processus coopératif est censé stimuler les talents et apporter de la plus-value à l'entreprise.
Quel management pour ces salariés du savoir ?
Ces nouveaux travailleurs ne peuvent être managés comme l'étaient les salariés de l'industrie. Les entreprises ont largement mis l'accent sur l'environnement de travail pour faciliter l'épanouissement de ces salariés. Responsabilisation, flexibilité, communication sont les nouveaux mots d'ordre en termes de gestion des ressources humaines. Ces nouveaux travailleurs "n'acceptent souvent (et parfois ne tolèrent) explicitement ou implicitement le contrôle et l'évaluation qui s'ils émanent de leurs pairs, nécessairement professionnels comme eux (mais qui peuvent être leurs responsables hiérarchiques)" (p. 171). Certains employeurs, comme par exemple l'éditeur de logiciels SAS, vont jusqu'à développer des crèches d'entreprise et à mettre l'accent sur les loisirs pour fidéliser ce qui constitue la première richesse des entreprises de matière grise : le capital humain. Jean-Pierre Bouchez illustre ces problématiques à travers trois familles professionnelles fort différentes : les chercheurs, les consultants et les créatifs.
Le cas de Thales, largement développé par l'auteur, illustre bien cette première famille. Dans cette entreprise de haute technologie, qui consacre 18 % de son chiffre d'affaires à la R&D, coexistent deux sphères professionnelles : les spécialistes et les managers. Ce modèle de la double échelle se retrouve dans de nombreuses entreprises technologiques et a inspiré d'autres secteurs d'activité, comme par exemple les banques d'affaires. Il permet de sanctuariser l'identité professionnelle des chercheurs. De plus, offrir aux chercheurs la possibilité de devenir managers permet de fidéliser les meilleurs éléments, tout en s'assurant que ces nouveaux managers ont la légitimité suffisante auprès des spécialistes qu'ils encadrent. L'univers du conseil a insisté davantage encore sur le développement des carrières. Certaines entreprises comptent jusqu'à sept échelons de consultants pour permettre une longue progression des carrières. Les recrutements sont surtout tournés vers les jeunes diplômés, attirés par le prestige des grands cabinets. Un effort continu de formation assure leur adaptation progressive aux missions qui leur sont confiées. En ce qui concerne les innovateurs-créatifs, enfin, le talent occupe une très grande place. "Ces professionnels talentueux se caractérisent ainsi notamment par leur capacité d'observation et d'analyse de l'environnement (détection des signaux faibles, des tendances émergentes dans le champ des comportements de consommateurs, anticipation des évolutions environnementales), de manière à l'incorporer dans des produits-objets ou des concepts singuliers, originaux et commercialisables" (p. 221). Jean-Pierre Bouchez observe une lente réconciliation de l'univers de la création et de celui du management, longtemps séparés par des frontières culturelles.
Organiser le savoir dans l'entreprise
Peu à peu, la science économique a formalisé son approche des savoirs en tant que facteurs de création de valeur. C'est le cas, pour les économistes les plus anciens, de Veblen, Knight et Becker. En France, il faut attendre les années 1980 pour que les économistes et les spécialistes du management s'intéressent à ces questions. Synthétisant trente ans de travaux théoriques, Jean-Pierre Bouchez identifie trois types de savoirs à l'œuvre dans l'entreprise. Au rang des connaissances explicites figurent les méthodologies formalisées par les directions d'entreprise pour organiser le travail. Croyances, valeurs et règles collectives appartiennent, quant à elles, aux connaissances implicites. Enfin, le savoir-faire relève des connaissances tacites, les plus complexes à formaliser. Les entreprises technologiques, d'une culture rationnelle, auront tendance à développer des méthodologies poussées pour le partage des connaissances. Les entreprises actives dans des secteurs plus relationnels privilégieront à l'inverse des processus collaboratifs, fondés sur les échanges d'expériences et la mutualisation des connaissances tacites. Celle-ci peut d'ailleurs faire l'objet d'une valorisation financière, en faisant partie des critères d'évaluation, ou symbolique. C'est le cas par exemple chez Baker & McKenzie, qui publie une prestigieuse revue trimestrielle dans laquelle les collaborateurs du cabinet sont invités à s'exprimer.
Illustré de nombreux exemples concrets issus de la vie des entreprises, à la croisée des chemins entre économie de la connaissance, management et sociologie du travail, l'ouvrage de Jean-Pierre Bouchez propose un panorama très instructif des mutations professionnelles découlant de la révolution numérique.
L'auteur
Jean-Pierre Bouchez a été DRH dans de grandes entreprises, puis consultant dans des firmes prestigieuses (Bernard Brunhes Consultants, Altédia). Il a publié des ouvrages et des articles universitaires et professionnels sur le même sujet. Il effectue également des conférences sur ce thème en France et à l'étranger.
Table des matières
Introduction
I) Travailleurs du savoir et organisation du savoir : repères, enjeux et perspectives
1. Travailleurs du savoir et organisations du savoir : de quoi parle-t-on ?
1.1. Les travailleurs du savoir, comme producteurs et utilisateurs de savoir dans un univers marchand
1.2. Les travailleurs du savoir au regard de critères typologiques : la nature de l'activité dominante et l'intensité de la relation avec le client
2. La croissance des entreprises de matière grise et des travailleurs du savoir et les enjeux associés
2.1. Une mise en perspective
2.2. La croissance du travail invisible, autour de l'économie du service et des connaissances
Conclusion du chapitre : vers une sociologie des professions et des professionnels du savoir
II ) Formes organisationnelles et perspectives stratégiques des entreprises de matière grise
1. Le modèle des bureaucraties professionnelles
1.1. La construction et la formalisation du modèle de la bureaucratie professionnelle cognitive
1.2. Illustrations du modèle des bureaucraties professionnelles du savoir
2. Le modèle des adhocraties cognitives et identitaires
2.1. La construction et la formalisation du modèle des adhocraties cognitives et identitaires
2.2. Illustrations autour de la famille des adhocraties cognitives et identitaires
3. La combinaison de la rationalisation et de la personnalisation : configuration hybride et configuration collaborative
3.1. La configuration hybride : privilégier les conditions favorisant l'innovation en interne
3.2. Privilégier la collaboration externe autour du concept de "coopétition" : modèle, pratiques et usages
3.3. En guise de synthèse : la question de l'arbitrage entre ces deux configurations
Conclusion du chapitre
III ) Manager les compétences et les talents des travailleurs et des professionnels du savoir
1. Caractéristiques communes et transversales dans le management des travailleurs et des professionnels du savoir
1.1. L'importance des conditions environnementales de travail
1.2. Les spécificités du management opérationnel proprement dit, des travailleurs et des professionnels du savoir
2. Le management des chercheurs dans les firmes de matière grise
2.1. Une matrice structurante : le système de "l'échelle double"
2.2. Les processus et pratiques à l'œuvre dans la gestion des carrières des chercheurs
3. Le management des consultants, les variables à l'œuvre
3.1. Le cadre général
3.2. Le modèle professionnel de type anglo-saxon
3.3. Vers la généralisation progressive de la professionnalisation de la gestion des ressources humaines dans les firmes de conseil d'origine française
4. Le management des innovateurs et des créatifs
4.1. La dominante du talent
4.2. Illustrations diversifiées
IV ) Capital intellectuel et savoir utile : concept et usages
1. Capital intellectuel et savoir utile : concept, composantes, formes et caractéristiques
1.1. Cadrage général et composantes du capital intellectuel
1.2. Le savoir utile, sa hiérarchisation, sa valeur et ses caractéristiques
2. Management du savoir et valorisation du capital intellectuel
2.1. Une longue histoire, une explosion récente
2.2. La démarche conversion du savoir en valeur et en profit
3. Le reporting, l'évaluation et la valorisation du capital intellectuel
3.1. Les enjeux de la croissance et du développement des fusions-acquisitions : causes, difficultés et facteurs de réussite
3.2. Une problématique utile : l'évaluation et le reporting du capital intellectuel
Conclusion
Quatrième de couverture
Le management du futur se construit progressivement avec l'entrée des entreprises dans l'ère de l'immatériel et de l'économie fondée sur les connaissances. Il devient essentiel et urgent de revisiter profondément les méthodes managériales associées au management industriel plus traditionnel. Dans cette perspective, cet ouvrage constitue l'une des premières contributions en France offrant un périple dans ce nouvel univers de manière à en repérer et en appréhender les multiples facettes, notamment du point de vue managérial. Il aborde en particulier les aspects suivants :
• l'émergence et la croissance des travailleurs et des professionnels du savoir : qui sont-ils ? Que font-ils ? Comment les repérer ;
• les différentes formes managériales associées aux travailleurs et aux professionnels du savoir ;
• les pratiques managériales au quotidien de ces travailleurs et professionnels du savoir : chercheurs, journalistes, consultants, designers, etc. ;
• l'identification et la valorisation du capital intellectuel des organisations du savoir.
Cet ouvrage s'adresse à un large public : dirigeants, managers, professionnels des ressources humaines, consultants et enseignants-chercheurs. Il offre aux praticiens des grilles de travail synthétiques et opérationnelles, ainsi que de nombreux témoignages de dirigeants et managers et des références à des travaux peu connus en France.