Le bel avenir de la croissance

Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, Rémy Lecat
Professeur d’économie associé à l’Université d’Aix-Marseille
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L'ouvrage

Dans cet ouvrage, Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat décryptent les implications du choc technologique de l’économie numérique et digitale sur la croissance dans nos économies avancées. Tout l’intérêt de leur analyse est de se situer à la fois dans une perspective historique, celle des grandes vagues de la croissance depuis la Révolution industrielle, et en termes de rapport de forces entre les nations dans l’économie globale. Les auteurs se disent résolument optimiste quant aux bénéfices potentiels de la révolution numérique : selon eux, en effet, « si nous savons en saisir les opportunités, les décennies à venir peuvent être à nouveau celle d’une amélioration forte de notre niveau de vie économique ». Mais l’ambition de leur ouvrage est aussi de comprendre les risques qui pèsent sur la croissance future : pour cela, il parait indispensable de bien prendre la mesure de la période exceptionnelle d’expansion économique que nos économies ont connu au XXème siècle.

Les auteurs citent ainsi les travaux de Philippe Aghion et Peter Howitt qui mettent l’accent sur les innovations et les transformations technologiques, dont les effets se diffusent plus ou moins en fonction de la qualité des institutions et du coût de la prise de risque. L’adaptation des institutions, déterminante pour l’accélération des gains de productivité, dépend alors des réformes structurelles, c’est-à-dire des politiques économiques qui visent à élever de façon pérenne le niveau durablement soutenable du PIB et/ou de l’emploi. Ces politiques peuvent être engagées dans de très nombreux domaines, dont le marché du travail, le marché des biens et services, l’Etat, l’éducation, la formation professionnelle, etc.

Les auteurs rappellent que certaines de ces réformes peuvent dynamiser de façon permanente la croissance de la productivité et donc celle du PIB en incitant à l’innovation, tandis que d’autres peuvent élever le niveau du PIB et donc seulement transitoirement sa croissance, par exemple en augmentant le taux d’emploi de certaines catégories de travailleurs. 

Lire le cours de CPGE sur le thème « croissance et fluctuations depuis le XIXème siècle » :

 

 

Les retombées de la croissance

La croissance du PIB est un chiffre agrégé qui masque des situations hétérogènes, car l’impact sur nos emplois, nos revenus, et notre prospérité n’est ni uniforme, ni immédiat. Mais à long terme, « il est clair que la croissance aura une influence sur la prospérité de tous » selon Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat. La relation entre croissance et bonheur est éminemment complexe et intéresse les économistes : le bonheur suit d’ailleurs le cycle de la croissance (« en période de récession le bonheur baisse et il augmente en période de reprise »). A plus long terme, la relation entre PIB et bonheur est complexe : alors que le bonheur déclaré reste stable autour d’une moyenne depuis les années 1970, le PIB par habitant a été multiplié par près de 2 dans les pays avancés sur cette période. C’est le « paradoxe d’Easterlin », du nom de l’économiste qui l’a énoncé le premier : en vertu de ce paradoxe, le niveau de bonheur moyen ne semble pas augmenter avec le niveau de PIB par habitant. Les travaux les plus récents montrent aussi que le bonheur moyen est, toutes choses égales par ailleurs, plus fort dans les pays en croissance, et d’autant plus fort que cette croissance est forte.

Les auteurs estiment toutefois que « la croissance actuelle n’est de toute évidence pas soutenable », en citant la formule de l’économiste américain Kenneth E. Boulding selon laquelle « celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste ». Mais ils rappellent aussi que certains auteurs, comme Jean Tirole qui propose une taxation mondiale sur le CO 2, ou Philippe Aghion qui plaide un système fiscal pénalisant les énergies sales, estiment que des incitations adaptées pourraient favoriser un cercle vertueux de la croissance « verte », grâce à des investissements de recherche & développement et des innovations dans les énergies nouvelles, les matériaux de construction, etc. En tout état de cause, la croissance, en augmentant les ressources disponibles, est indispensable à la « pérennité de notre système social » : l’accroissement des richesses produites durant les « Trente Glorieuses » (1945-1973) a autorisé une redistribution et une consolidation des droits sociaux. Le retour de la croissance permettrait d’opérer un désendettement de l’Etat aujourd’hui confronté à des niveaux de dette publique élevés du fait des retombées négatives de la crise financière de 2007, puis du tarissement des recettes fiscales en raison de la « grande récession » de 2009. Dès lors, et dans un contexte d’aggravation des inégalités, si les fruits de la croissance bénéficient qu’à une minorité de la population, en l’absence d’une action correctrice de l’Etat, « au-delà de notre modèle social, ce sont la stabilité sociale et le modèle démocratique de nos sociétés qui seraient menacés par une insuffisance de la croissance », notent Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat.

 

Après avoir rappelé les racines du Produit intérieur brut (PIB), issu des travaux de Simon Kuznets dès les années 1930, et qui représente le résultat final de l’activité de production réalisée sur un territoire durant une période de temps, les auteurs évoquent rapidement les limites de cet indicateur. Ces insuffisances du PIB, bien identifiées, sont liées à la mesure de l’évolution de la qualité des biens dans l’évolution des prix, la mesure de la contribution de certains services au bien-être, la prise en compte des externalités, l’incapacité à mesurer les inégalités, ou encore la non distinction entre les activités vertueuses et les activités polluantes, etc. Dans la mesure où le PIB ne peut guère intégrer la question sensible de l’évolution des inégalités, de grandes institutions internationales comme le FMI ou l’OCDE retiennent aujourd’hui la notion de « croissance inclusive », celle qui profite au plus grand nombre. Il n’en demeure pas moins qu’en l’absence d’indicateur alternatif consensuel, le PIB reste la référence des comparaisons internationales. S’il n’est pas une mesure suffisamment précise et complète, le PIB délivre « une photographie de l’activité à un instant donné ».

Après avoir rappelé les grandes sources de la croissance économique (les facteurs de production traditionnels, travail, capital, et la productivité globale des facteurs), et son caractère relativement récent à l’échelle de l’Histoire (« pendant une grande partie de l’histoire de l’Humanité, la croissance mondiale par habitant a été quasi nulle, estimée à 0,1% par an en moyenne pendant l’ère préindustrielle »), les auteurs rappellent que le rythme de la croissance est plus ou moins favorisées par les politiques économiques et la qualité des institutions (réglementations du marché du travail, des biens et des services, droits de propriété, corruption, système juridique et politique, etc.).

L’action de l’Etat est ici déterminante : ainsi les politiques de l’emploi peuvent plus ou moins favoriser une amélioration des taux d’emploi et donc du facteur travail, tandis que les politiques monétaires et budgétaires peuvent soutenir à des degrés divers l’accumulation du facteur capital. Si les recettes de la croissance ont assez bien été identifiées par les économistes, et même s’il est difficile d’isoler la contribution de chacun des facteurs qui l’expliquent, il est surtout très complexe d’adapter les institutions du pays à la nature des technologies du moment et au stade de développement du pays, voire aux spécialisations industrielles résultant de l’histoire singulière de chaque nation.

D’ailleurs, lorsqu’ils évoquent la phase de croissance exceptionnelle au XXème siècle, les auteurs en concluent que la convergence des niveaux de vie n’est ni systématique ni automatique, et que cette convergence dépend grandement de la qualité des institutions et de la pertinence des politique économiques. En se penchant sur le cas des pays émergents actuels, ils remarquent que certains pays (comme l’Argentine par exemple), en raison de la défaillance de leurs institutions, dans l’incapacité de favoriser une économie innovante, restent piégés dans une « trappe de développement » (middle income trap). Même certains pays comme la Chine, qui ont connu une sucess story en termes de croissance, devront éviter ce piège redoutable du revenu moyen en restructurant leur économie de façon à générer de la croissance auto-entretenue via la consommation intérieure, la productivité et l’innovation, plutôt que via les investissements étrangers et le commerce international. Pour Antonin Bergeaud, Gilbert Cette, et Rémy Lecat, la Chine devra en particulier, pour soutenir un rythme de croissance élevé, réformer le financement bancaire des entreprises, les régulations industrielles, et réduire la corruption.

 

 

Stagnation séculaire ou troisième révolution industrielle ?

La troisième révolution industrielle est associée à l’émergence et la diffusion généralisée des technologies de l’information et de la communication (TIC) qui modifie en profondeur nos modes de production et de consommation. Les auteurs montrent que la diffusion plus ou moins forte des TIC dépend là aussi des institutions et de la qualité des facteurs de production : les Etats-Unis bénéficient ainsi d’une plus forte diffusion des TIC (relativement à l’Europe) du fait d’une formation moyenne de la population en âge de travailler supérieure et de régulations moindres sur les marchés des biens et du travail. En effet, le niveau d’éducation moyen de la population en âge de travailler et les rigidités sur les marchés des biens et du travail jouent un rôle prépondérant. Une pression concurrentielle moindre favorisée par des réglementations peut freiner la diffusion des TIC en Europe et en France. Et on peut constater de manière générale, qu’après une longue période de croissance continue, la diffusion des TIC comme facteur de production semble s’être stabilisée depuis le début des années 2000, même si cette stabilisation se fait à des niveaux très différents, soit largement plus élevés aux Etats-Unis qu’ailleurs.

Lire le fait d’actualité sur la « stagnation séculaire » :

 

Dès lors, et les auteurs insistent fortement sur ce point, pour tirer réellement parti du choc technologique de la révolution numérique, les réformes structurelles pour adapter les institutions seront capitales : sinon, le principal vecteur de l’augmentation du niveau de vie moyen par habitant, la croissance de la productivité, restera en panne. Mais ces faibles gains de productivité sont-ils durables ou transitoires ? La question est cruciale, car « s’ils étaient durables, cela signifierait de grandes difficultés pour faire face aux défis devant lesquels se trouvent les principaux pays développés en ce début du XXIème siècle, comme le vieillissement de la population, le désendettement des Etats, la soutenabilité environnementale de la croissance, la réduction des inégalités ou encore la transition énergétique ».

Le ralentissement durable des gains de productivité pourrait alors ouvrir une période de tensions sociales et d’instabilité politique. Les thèses de la « stagnation séculaire de la croissance », fondées sur le ralentissement durable des gains de productivité (en raison d’effets bénéfiques des innovations moins importants que les dernières révolutions industrielles selon Robert Gordon ou de l’insuffisance de la demande selon Larry Summers), ont alimenté l’inquiétude quant à la capacité de nos économies à enclencher un nouveau cercle vertueux du progrès économique et social. Mais d’autres travaux montrent que les délais de diffusion des innovations dans l’économie peuvent être longs (comme d’ailleurs dans les précédentes révolutions industrielles), et que nous sommes peut-être à l’orée d’une nouvelle phase de puissante accélération des gains de productivité.

Tout l’enjeu, pour les auteurs, sera d’adapter nos institutions et de doter les travailleurs des compétences et de la formation nécessaire pour occuper les emplois et s’intégrer dans le système productif en mutation technologique rapide. Encore une fois, les pouvoirs publics devront mener avec doigté les réformes structurelles nécessaires pour créer un environnement propice à la diffusion des innovations dans l’économie, notamment en luttant contre les pratiques anticoncurrentielles sur les marchés, et en prévenant la formation de rentes qui entraînent une allocation défectueuse des ressources. Mais la difficulté est que ces réformes structurelles, si elles peuvent générer des bénéfices économiques et sociaux à long terme, ont un coût politique et électoral dissuasif à plus court terme.

Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat plaident alors pour une meilleure évaluation (indépendante) des politiques publiques et un effort de pédagogie plus dans la conduite de ces réformes : la difficulté est surtout de convaincre les « gagnants » des réformes (généralement majoritaires dans la population) d’y apporter leur soutien, malgré la mobilisation potentielle des catégories « perdantes » contre elles. Mais, dans nos démocraties, pour les auteurs, « c’est au prix du développement d’une culture de l’évaluation crédible, pédagogique et bien relayée que nous pourrons réveiller les ressorts endormis de la croissance ».

Lire la note de lecture sur le livre de Philippe Agion, Gilbert Cette et Elie Cohen, « Changer de modèle » :

 

 

 

Quatrième de couverture

La croissance économique n'a jamais été aussi faible depuis un siècle et demi que sur ces deux dernières décennies. Pourtant, chacun perçoit que la révolution numérique va totalement bouleverser la donne dans un avenir proche. Comme les précédentes révolutions technologiques, ces innovations peuvent constituer une fantastique opportunité de croissance à condition de nous y préparer. La croissance connaîtrait alors un bel avenir, nous permettant d'affronter plus sereinement les grands défis du XXIe siècle comme la soutenabilité environnementale de cette croissance, le vieillissement de la population, le désendettement ou la réduction des inégalités...

En étudiant les trajectoires de nombreux pays sur les deux derniers siècles, cet ouvrage identifie les principaux ressorts de la croissance. Avec une attention toute particulière portée sur la France et l'Europe, il démontre la nécessité d'adapter notre régulation économique afin de bénéficier pleinement des fruits des changements technologiques en cours. Tout ce qu'il faut savoir pour comprendre les enjeux actuels du débat sur la croissance.

Antonin Bergeaud est économiste à la Banque de France et expert de la productivité, de l'innovation et de la dynamique des entreprises.

Gilbert Cette est économiste à la Banque de France, professeur associé à l'université d'Aix-Marseille, expert du marché du travail, de la croissance et de la productivité, et auteur de nombreux livres qui font référence sur le sujet.

Rémy Lecat est économiste à la Banque de France et enseignant à l'université d'Aix-Marseille, expert de la productivité et de l'immobilier. Les positions exprimées dans ce livre ne reflètent pas nécessairement celles de la Banque de France ou de l'Euro-système.

 

Les auteurs

Antonin Bergeaud est économiste à la Banque de France et expert de la productivité, de l’innovation, et de la dynamique de l’entreprise.

Gilbert Cette est économiste à la Banque de France, professeur associé à l’université d’Aix-Marseille, expert du marché du travail, de la croissance et de la productivité, et auteurs de nombreux livres qui font référence sur le sujet.

Rémy Lecat est économiste à la Banque de France et enseignant à l’Université d’Aix-Marseille, expert de la productivité et de l’immobilier.

 

 

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