La (re)localisation du monde

Cyrille P. Coutansais

L'ouvrage

Dans cet essai, Cyrille P. Coutansais décrypte la tendance forte de l’économie mondiale qui se dégage depuis un certain nombre d’années : la montée en puissance du Made in local, tant en matière de production industrielle que d’énergie, de ressources en matières premières que d’alimentation, et le « crépuscule » du modèle du Made in Monde et de la production complexe en jeu de Lego évoquée par l’économiste du MIT Suzanne Berger, avec des chaînes de valeurs globales sophistiquées, qui semblait s’être imposé.

3 questions à Cyrille P. Coutansais en partenariat avec le Prix Lycéen Lire L'Economie 2021 : 

En effet, la production globalisée semble s’effacer devant une production à la demande et localisée au plus près des grands bassins de consommation.

Et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, puisque ce modèle du Made in Local est moins consommateur de ressources en se basant sur des énergies moins carbonées et de plus en plus renouvelables, alors qu’avec la révolution industrielle, et l’entrée dans l’âge du carbone, s’était opéré le passage d’une civilisation de la rareté à une civilisation de l’abondance.

Cyrille P. Coutansais rappelle que la croissance démographique suppose l’exploitation d’un stock de ressources… qui hélas s’épuise : selon lui, « il faut donc du développement et par conséquent des ressources…sauf que ces ressources nous ne les avons pas : si le monde entier venait à consommer comme l’Occident, il faudrait 5 planètes pour subvenir à nos besoins quand il nous en faut déjà…1,7 ». Si l’on ajoute les risques parfaitement documentés du réchauffement climatique, de la pollution des océans et de la déforestation, l’urgence d’une profonde transformation de nos modes de production et de consommation, parait évidente.

Lire le cours de terminale en spécialité SES sur le commerce international et l’internationalisation de la production :

Une économie de proximité

La relocalisation de la production (« onshoring ») s’appuie selon Cyrille P. Coutansais sur trois facteurs :

  • Une phase de numérisation accélérée de nos économies, et de nos usines, qui permet désormais d’obtenir des coûts de production similaires à ceux des pays émergents (industrie 4.0 et production à la demande en étant capable de livrer immédiatement les distributeurs) ;
  • Le passage à des énergies renouvelables donc locales, au prix du marché : une transition énergétique globale est en marche, avec notamment une recomposition du mix électrique appuyée sur un boom des énergies renouvelables, avec du nucléaire et du gaz, ce dernier ayant vocation à se substituer au charbon ;
  • L’entrée enfin dans l’ère de l’écologie industrielle qui offre la possibilité de se fournir en matières premières pour partie localement ;

Selon Cyrille P. Coutansais, émerge alors un « nouveau monde », une nouvelle « civilisation matérielle » : « un monde plus robotisé plus durable, à la production relocalisée au plus près des lieux de consommation, voilà les trois grandes lignes qui structurent notre nouveau monde ».

La robotisation et l’automatisation sont des ruptures majeures, dans le cadre d’une véritable IVème Révolution industrielle, avec la possibilité d’interconnecter l’ensemble de la chaîne de production, notamment dans l’industrie automobile. Cette numérisation de la production offre une agilité et une flexibilité incomparable pour s’adapter à la demande au plus près du consommateur. Les robots sont d’ailleurs de plus en plus rentables et permettent de converger vers les coûts de production des pays émergents, jadis imbattables.

Selon Cyrille P. Coutansais, le monde qui vient sera aussi plus durable : il participera à l’élimination de toute une série de transports superflus et par conséquent à la diminution des émissions de gaz à effet de serre, ainsi qu’à la diminution de la consommation de ressources. Sur le plan de l’expérience client, il nous fera entrer dans une ère de personnalisation de masse, bien loin de la standardisation du mode de production fordiste, avec des produits de plus en plus différenciés, et parfaitement adaptés à la demande des clients.

Pour l’auteur, le Made in local favorisera une régionalisation de la production et ne sera pas sans incidence sur les territoires : on peut parier sur la poursuite d’un mouvement de désindustrialisation des métropoles, en raison des effets de congestion (prix de l’immobilier notamment) et d’une installation des industries le long des littoraux et à proximité des réseaux de transport. Une revitalisation des villes moyennes pourrait s’amorcer, avec des mouvements de population que la crise sanitaire a pu favoriser. Pourtant, pour Cyrille P. Coutansais, l’incertitude se poursuit : « toute cela reste bien entendu à écrire et tient pour une bonne part à qui donnera le la dans ce nouveau monde, qui en sera le maître et par conséquent à même d’en dessiner le visage, les grands équilibres ».

Lire l’analyse de Patrick Artus sur le mouvement de relocalisations :

Les maîtres du jeu

Comme depuis toujours, le nouveau monde n’exclura pas, loin de là, les jeux de puissance, et aujourd’hui comme hier, la maîtrise des ressources, des flux et des ressorts de la puissance, resteront des enjeux décisifs. Une alliance subtile entre l’État et les grands acteurs du capitalisme devra se nouer, pour à la fois éviter les abus de position dominante des firmes globales (comme les GAFA), et la mainmise tentaculaire des pouvoirs publics sur des entreprises motrices en matière d’innovation.

Cyrille P. Coutansais détaille alors les grands facteurs de la puissance dans le monde qui vient :

- La maîtrise des ressources : le contrôle des ressources alimentaires, de l’eau, les ressources halieutiques, deviendra un enjeu considérable pour renforcer la capacité des nations à produire, collecter, valoriser les ressources. L’essor de l’agriculture biologique s’appuiera sur la robotisation et la numérisation, les dépenses de recherche & développement, mais aussi sur le développement de nouvelles semences. Le contrôle des ressources minérales et énergétiques sera la clé du développement économique et de la satisfaction des besoins, et là aussi, le progrès technique sera un levier incontournable.

Mais les ressources numériques le seront tout autant, car elles constituent un véritable trésor, avec évidemment une domination sans partage des firmes américaines qui ont bâti leur business model sur elles : ainsi, Google et Facebook captent aujourd’hui 60% des revenus de la publicité en ligne ! Mais selon Cyrille P. Coutansais, « en matière de ressources, une fois encore, la possession n’est rien, c’est l’accès qui est tout : les maîtres des ressources ne seront rien s’ils ne sont pas aussi maîtres des flux ».

- La maîtrise des flux : depuis les débuts du capitalisme, maîtriser les échanges internationaux, c’est contrôler les biens les plus recherchés, dicter les prix, et au final, maximiser les gains. Aujourd’hui comme hier, le contrôle des hubs, des routes et des comptoirs permet de maîtriser les routes de la mondialisation, comme jadis la Verrenidge Oostindische Compagnie (VOC) hollandaise avait constitué le modèle le plus achevé, en monopolisant les circuits commerciaux les plus rémunérateurs de l’océan indien et de la mer de Chine, mais aussi le contrôle du principal hub de redistribution en Europe à l’époque, le port d’Amsterdam, avec ses gigantesques entrepôts permettant de s’adapter à la demande.

Avec l’usage intensif du numérique et des bateaux porte-conteneurs, les grandes enseignes de la vente en ligne (à l’instar du modèle gagnant développé par Amazon) constituent ainsi de nos jours de nouvelles « VOC numériques », capables de livrer le client en temps et en heure, en mobilisant de gigantesques entrepôts en mesure de s’adapter très rapidement à la demande locale (d’autant que livraison par drones devrait constituer une nouvelle étape marquante).

Lire la note de lecture sur le livre de J-H Lorenzi et M. Berrebi :

- Les maîtres de la puissance : selon Cyrille P. Coutansais, les États sont loin d’avoir dit leur dernier mot, alors que le modèle du Made in Monde avait semblé conduire à ériger de très fortes contraintes sur leurs marges de manœuvre en matière de politique économique. Or les États souverains demeurent maîtres de nombreux atouts de la puissance, parmi lesquels la monnaie. Ainsi, « ils devront conjuguer la maîtrise de l’intelligence à celle de la norme, moyen de favoriser l’éclosion, l’épanouissement de l’innovation, mais aussi le cyber, moyen de se protéger, de contrecarrer les menaces d’espionnage économique comme de déstabilisation, et l’art de la guerre qui, comme à chaque période de transition, redevient incontournable ». L’auteur rappelle qu’un enjeu considérable sera dans ce nouveau monde d’attirer (et de retenir !) les « cerveaux » et le capital humain car « le savoir fonde la puissance ». Dans cette nouvelle économie de la connaissance fondée sur l’innovation, l’un des ressorts de la domination passera sans nul doute par la maîtrise de toutes les sources endogènes du progrès technique, et par de solides institutions de la croissance, comme le système des brevets.

Sur le plan de la sécurité nationale (lutte contre les réseaux criminels, le terrorisme, etc.), les États devront se rendre maîtres du big data, et de l’intelligence artificielle. L’art de la guerre en sera profondément modifié « car à l’heure de la guerre en réseau, plutôt que d’affronter l’adversaire, mieux vaut miser sur sa paralysie, via la guerre électronique donc, ou plus radical encore, en se déployant dans un nouveau théâtre d’opération : l’espace ». La numérisation des technologies militaires aiguisera de nouveaux appétits de puissance entre les grandes nations (vente d’armes, maîtrise de l’espace, robots-tueurs, etc.)

Évidemment, dans ce nouveau monde, les États-Unis conserveront un avantage concurrentiel puisque « Internet, smartphones, e-commerce, réseaux sociaux : tout l’univers numérique dans lequel nous baignons a pour origine les États-Unis ».

Dans cette nouvelle géopolitique de la puissance, l’Europe peut certes compter sur une forte capacité d’innovation, mais son marché intérieur est selon Cyrille P. Coutansais, encore trop étroit et trop segmenté. Dans ce nouveau monde, l’un des axes de la stratégie européenne pourrait consister à nouer des alliances avec l’autre rive de la Méditerranée plus au Sud, à la fois en termes de capital technologique, de capital humain, mais aussi d’intégration des circuits commerciaux.

Si le duel sino-américain semble inévitable, avec une ambition de l’Empire du milieu de plus en plus affirmée, « ce sont les hommes qui écrivent l’Histoire et rien n’est joué à l’orée de ce monde : il n’est plus que de prendre la plume ».

Quatrième de couverture

Et si le monde d'après-Covid était en gestation depuis plusieurs années déjà ? Si le phénomène actuel de relocalisation ne datait pas de mars 2020, mais plutôt des années 2010 ? C'est la thèse de cet essai original et accessible, qui décrit le monde qui vient et ses acteurs, en s'appuyant sur une riche infographie et cartographie. Car notre monde globalisé est en train de s'éteindre au profit d'un monde localisé, suscité par trois révolutions. La première est industrielle : la robotique et le numérique sont entrés dans nos usines, les rendant capables de produire à la demande et à des coûts similaires à ceux des pays émergents. La deuxième est énergétique : l'essor exponentiel des renouvelables multiplie les sources locales d'énergie. La troisième concerne les ressources : de plus en plus réemployées, elles offrent des matières premières de proximité. Ce monde plus durable, fondé sur des grandes aires de production régionales, redessine les rapports de force économiques et géopolitiques, faisant apparaître de nouveaux maîtres du jeu. En se basant sur des données économiques internationales et de nombreux entretiens, Cyrille P. Coutansais rend compte de cette fascinante mutation de nos systèmes productifs, de nos modes de vie et de consommation.

 

L’auteur

Cyrille P. Coutansais est directeur de recherches au CESM, rédacteur en chef de la revue Études Marines, enseignant à Sciences Po (économie maritime) et auteur de nombreux ouvrages dont L' Atlas des Empires maritimes (2013, rééd. 2016).

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