L'adieu au chômage

Regards croisés sur l'économie

L'ouvrage

Bénédicte Raynaud (CNRS) revient tout d’abord sur la construction de la statistique officielle du chômage, laquelle entraîne aujourd’hui de nombreuses controverses, dans la mesure où le chiffre est scruté, relayé par les médias, et détermine largement le succès ou l’échec des politiques économiques aux yeux de l’opinion.

Elle rappelle que « l’invention du chômage » est indissociable de l’émergence et la consolidation du salariat : le chiffre du chômage est conventionnel et comporte une dimension socio-politique forte. A l’heure actuelle cette statistique est normalisée dans le cadre du Bureau international du travail (BIT) depuis 1982 : pour être considéré comme chômeur, il ne faut pas avoir travaillé même une heure au cours de la semaine de référence, être disponible dans un délai de deux semaines, et il faut avoir entrepris des démarches pour trouver un emploi pendant les quatre semaines précédent la semaine de référence.

En France, c’est en 1896 que le recensement entreprend de ne poser la question du chômage qu’aux salariés, soit ceux qui travaillent sous l’autorité d’un patron (la statistique soustrait ainsi les salariés à emploi irrégulier et les ouvriers à domicile). Le statisticien retient comme définition du chômage une suspension temporaire de travail dans l’établissement. Si cette définition présente l’avantage de la clarté et de la précision, elle peut laisser imprécise les situations de sous-emploi et ce qu’on désigne aujourd’hui par le terme de « halo » du chômage.

Dans sa contribution sur les « mesures du chômage », Stéphane Jugnot (IRES) complète cette idée d’une construction intellectuelle et politique de la statistique du chômage, en montrant qu’il peut subsister plusieurs formes de définitions (administratives, subjectives car fondées sur les déclarations des personnes privées d’emploi, et objectives car cherchant à mesurer le chômage indépendamment des règles institutionnelles et des points de vue individuels).

Martin Chevalier et Benjamin Vignolles (RCE) notent que si le modèle standard du marché du travail néoclassique retient l’idée de chômage volontaire, on peut diagnostiquer, en relâchant les hypothèses de ce modèle canonique, l’existence d’un chômage involontaire. Si le principe macroéconomique de la demande effective énoncé par John Maynard Keynes permet de comprendre le chômage involontaire au sens traditionnel (lorsque les salariés qui acceptent le salaire courant ne trouvent pas d’emploi), on peut également décrypter ce type de chômage en mobilisant la théorie microéconomique des choix rationnels. L’imperfection de l’information, les problèmes d’appariement entre l’offre et la demande de travail, et les modèles des théories du salaire d’efficience néo-keynésiens, permettent d’expliquer la fixation d’un salaire réel supérieur au salaire d’équilibre sur le marché du travail qui entraîne du chômage involontaire. Par ailleurs, la viscosité des prix peut entraîner des déséquilibres persistants sur le marché du travail (rigidité des contrats de travail et des salaires nominaux).

Victor Lequillerier et Arthur Jurus (RCE) étudient d’ailleurs le lien complexe entre les salaires et la productivité : alors que le « compromis fordiste » des « Trente Glorieuses » était basé sur une progression parallèle des salaires réels et des gains de productivité, ce mécanisme se dérègle à partir des années 1970. On observe par la suite une certaine dé-corrélation des deux variables, et la théorie économique a développé des explications microéconomiques et macroéconomiques plus fines du couple salaire-productivité, notamment dans le cadre des modèles néo-keynésiens du marché du travail (fondés sur le pouvoir de négociation des salariés) et des théories de la croissance endogène.

Sandra Pellet (RCE) décrit dans son article l’importance des mécanismes d’appariement entre la demande de travail des employeurs et l’offre de travail des salariés (matching) : cette théorie a été mise à l’honneur par les travaux de P. Diamond, D. Mortensen et C. Pissarides, récompensés par le Prix Nobel en 2010. Selon ce modèle, le nombre d’emplois créés est fonction du nombre de chômeurs, de l’effort qu’ils consacrent à la recherche d’emploi, et du nombre d’emplois vacants, pondéré par l’effort de recherche des entreprises.

D’après le modèle, le chômeur détermine son niveau d’effort de recherche de façon à optimiser son revenu permanent, qui est fonction de ses gains nets (allocation chômage retranchée des coûts de recherche) et des gains potentiels tirés d’un changement d’état. Si ces modèles présentent le grand intérêt d’éclairer le fonctionnement du marché du travail en termes de flux et d’appariement (et de coûts de prospection), certains économistes considèrent qu’ils légitiment des politiques néo-libérales amenant à des réformes structurelles principalement fondées sur la suppression des rigidités institutionnelles.

La dynamique du marché du travail

Samuel Ménard et Benjamin Vignolles (RCE) évoquent l’impact du progrès technique sur le volume et l’emploi, traditionnellement accusé de créer du « chômage technologique » depuis la révolution industrielle.

De nombreux travaux ont montré que le progrès technique était responsable d’un biais en faveur du travail qualifié dans nos économies contemporaines et que la réorganisation de la production, davantage que la mondialisation de l’économie, serait responsable d’une partie du chômage de masse.

Le progrès technique entraîne pourtant des effets ambivalents : il favorise la diffusion d’innovations qui créent de nouveaux marchés, mais il peut engendrer de nouvelles inégalités sur le marché du travail et peser sur le travail peu qualifié.

Nicolas Jacquemet (Ecole d’économie de Paris) évoque dans son article la question épineuse des discriminations à l’embauche, aujourd’hui bien documentées (notamment dans le cadre d’envois contrôlés de candidatures fictives) : il rappelle qu’elles constituent un frein sérieux à l’embauche et un handicap pour les candidats issus de l’immigration avec près de 40% de chances en moins d’être convoqués à un entretien d’embauche (qui touchent surtout les personnes au patronyme à consonance maghrébine).

L’importance du travail dans notre société en termes de socialisation, de promotion sociale, et d’intégration, contraste avec les possibilités d’insertion réelles lorsque subsistent un tel niveau de discriminations liées à l’origine, que l’on peut expliquer par un manque d’informations, mais aussi par une crainte de l’autre et une certaine recherche de l’entre soi.

Thomas Roulet (RCE) revient quant à lui sur l’importance des réseaux sociaux, entendus comme la structure des liens créés par les interactions sociales entre des individus ou organisations, dans le processus de recherche d’emplois et la mobilité professionnelle : réseaux d’anciens d’écoles et d’universités, recommandations et contacts via des membres de la famille ou des amis, outils de mise en relation et de promotion du CV par Internet (LinkedIn, Viadeo). Si la « force des liens faibles » et les réseaux peuvent favoriser l’appariement sur le marché du travail et permettre un tri plus efficace des informations, ils peuvent également créer des effets pervers comme la faible diversité des recrutements (qui constitue pourtant une richesse pour l’entreprise) et la réduction de la concurrence sur le marché du travail.

Anne Solaz (INED) étudie la relation entre le chômage et la vie de couple, où il apparaît clairement que les deux éléments entretiennent des relations de causalité circulaire : le chômage affecte la vie de couple et les projets familiaux, retarde également la formation du couple, et il modifie la division des tâches dans l’espace domestique. Inversement, une rupture conjugale a tendance à aggraver le risque de chômage : elle peut entraîner de nouvelles contraintes domestiques qui freinent l’engagement dans la sphère professionnelle et augmentent la probabilité de perte d’emploi, et d’autre part, la situation de rupture conjugale constitue un événement stressant qui peut conduire à un risque plus élevé de connaître des difficultés professionnelles. Dès lors, la bi-activité garantit un meilleur revenu familial en cas de chômage de l’un des deux conjoints puisque l’autre conjoint peut continuer à travailler. Enfin, en cas de séparation, la chute du niveau de vie sera moins forte pour chacun des conjoints.

Dans son article, Maria-Giuseppina Bruna (RCA) rappelle que le chômage, outre qu’il peut être parfois analysé comme une cassure de la communauté socio-symbolique reliant les salariés à leur entreprise dans une relation de don/contre-don (évoquée par Marcel Mauss), peut être facteur de « désaffiliation sociale » au sens de Robert Castel, c’est-à-dire d’exclusion et de marginalisation sociale.

Julie Maurice (RCE) décrypte pour sa part le rôle des redistributions intergénérationnelles et des solidarités familiales en période de crise et d’importance du chômage des jeunes : si les solidarités familiales permettent de jouer un rôle d’amortisseur et de refuge, elles ne sont pas de nature à réduire les inégalités socio-économiques entre les groupes sociaux, bien au contraire. L’origine sociale impacte fortement la capacité des parents à aider leurs enfants en situation précaire. Par ailleurs, solliciter le système public pour faire face au chômage peut être vécu comme un déclassement, et la redistribution parentale permet alors à la famille de ne pas se soumettre à la dégradation symbolique qu’implique le recours à une prise en charge du chômage par l’Etat.

Les politiques de l’emploi : une complexité institutionnelle

Dans son article sur les politiques de l’emploi, Yannick L’Horty (CNRS) évoque l’empilement et l’instabilité des dispositifs dans le temps. Une politique de l’emploi est un ensemble cohérent d’actions visant à lutter contre le chômage, à soutenir la création d’emplois ou le maintien d’emplois existants : en France, malgré des moyens en expansion (ils représentent 5% du PIB en 2010), celle-ci n’a pas véritablement atteint ses objectifs, ni en termes de lutte contre le chômage de masse, ni en termes de préservation de la qualité de l’emploi.

A partir des années 1990, la réorientation de la politique de l’emploi a porté sur l’activation des dépenses passives en remodelant l’indemnisation chômage, en réformant le financement de la protection sociale de manière à ce qu’elle soit plus favorable à l’emploi.

Les « nouvelles politiques de l’emploi » ont ainsi cherché à agir simultanément sur l’offre de travail (inciter au retour à l’emploi, augmenter les gains monétaires liés à la reprise d’emploi) et sur la demande de travail (en abaissant le coût du travail non qualifié ou en réduisant la durée du travail). Le but de ces politiques était d’augmenter le contenu en emplois de la croissance économique, avec un certain succès, même si ces stratégies n’ont eu que peu d’impact sur le chômage structurel. La crise à partir de 2007 n’a pas entraîné de modifications substantielles de l’architecture des politiques de l’emploi, même si l’empilement des dispositifs a progressivement créé des rendements décroissants et généré une forte complexité institutionnelle. Selon Yannick L’Horty, une remise à plat globale des politiques de l’emploi s’imposerait désormais.

Bastien Virely (RCE) rappelle dans sa contribution que le revenu de solidarité active (RSA) a eu des effets limités sur le marché du travail depuis son introduction en 2009, et plus particulièrement sur le retour à l’emploi de ses bénéficiaires. Depuis son lancement, le RSA a donc davantage été un outil de lutte contre la pauvreté plutôt qu’un outil de lutte contre le chômage.

Sébastien Gobron (RCE) revient sur les effets complexes du salaire minimum sur le chômage : selon les théories néoclassiques l’existence d’un salaire minimum nuit à la réalisation de l’équilibre sur le marché du travail. Les entreprises, qui sont censées rémunérer les salariés à hauteur de leur productivité, sont pénalisées si elles engagent un travailleur qui leur rapporte moins que ce que coûte le salaire minimum. Au delà d’un certain seuil critique, dans ce cadre d’analyse, le salaire minimum favorise le chômage : or de nombreux travaux indiquent que le SMIC en France se situe à un niveau élevé (en pourcentage du salaire médian) et un groupe d’experts a, récemment encore, déconseillé au gouvernement de le revaloriser au-delà des mécanismes automatiques prévus.

Une hausse excessive du SMIC pourrait ainsi favoriser des destructions d’emplois pénalisant les jeunes et les travailleurs non qualifiés sur le marché du travail. Toutefois le SMIC demeure un soutien important à la demande globale et peut jouer un rôle dans l’élévation de la productivité du travail dans le cadre des théories du salaire d’efficience. Enfin, il favorise la cohésion sociale en fixant une rémunération de base conforme au modèle social français désireux de contenir les inégalités salariales par la redistribution. De telle manière que la relation entre SMIC et chômage ne fait pas l’objet d’un consensus chez les économistes.

Sonia Baudry (RCE) évoque quant à elle l’évolution récente des politiques de l’emploi à travers le passage des mesures de cessation d’activité au titre du traitement social du chômage pour les séniors, à des dispositifs du type du « contrat de génération », où il s’agit désormais de tenter de réduire à la fois le chômage des jeunes et d’élever le taux d’activité des séniors.

Chrystel Gilles et Jean-Paul Nicolai (Commissariat général à la stratégie et à la Prospective) analysent l’ajustement de l’emploi durant la crise dans huit grands pays industrialisés : il en résulte une forte hétérogénéité des modes d’ajustement de l’emploi selon les pays soumis à un même choc d’activité. La flexibilité (interne et externe) a par exemple permis en Allemagne de limiter l’ajustement des effectifs en réduisant la durée du travail (nombre d’heures travaillées) et les salaires réels.

La France quant à elle se distingue par une progression des salaires nominaux amplifiée par une baisse des prix de la valeur ajoutée, dans un contexte de progression de la productivité du travail ralentie, avec à la clé une baisse des marges bénéficiaires et une dégradation de la situation financière des entreprises. Les dispositifs de chômage partiel ont néanmoins pu réduire la vulnérabilité structurelle du système économique aux chocs sur l’offre et la demande affectant l’emploi et la croissance potentielle.

Alice Mougin (RCE) précise cela en expliquant la persistance du chômage (une fois passé le choc d’activité) par un effet d’hystérèse, soit un phénomène qui persiste alors même que ses déterminants ont disparu. Ce dernier peut être lié à la dépréciation du capital humain, au ralentissement de l’accumulation du capital, et au chômage structurel d’inadaptation entre l’offre et la demande de travail : le chômage conjoncturel lié à la crise et au choc de demande peut alors devenir structurel.

A l’occasion de la « Grande Récession », Gaëtan Stephan (RCE) revient sur la relation d’Okun, selon laquelle une hausse de 1 point du taux de chômage est associée à une baisse de 3% du PIB réel. Il apparaît que l’économie française a réagi lors de la crise conformément aux prédictions d’Okun, tandis que l’économie américaine y a échappé complètement, puisque l’emploi et les heures travaillées s’ajustent dans une proportion plus grande que le PIB réel outre-Atlantique, en raison notamment de la faiblesse des coûts de transaction et de licenciements. En France, garder une partie de son personnel demeure une réponse optimale face à une baisse de la production (labour hoarding). Au delà, le climat d’incertitude qui règne dans la zone euro en raison de la crise des dettes souveraines expliquerait largement la faiblesse des créations d’emplois, qui constituent des investissements coûteux à la rentabilité peu assurée dans un tel environnement fragile.

La persistance des inégalités sur le marché du travail

Didier Demazière (CNRS) insiste sur l’importance des politiques d’accompagnement des chômeurs et la difficulté dans laquelle se trouvent aujourd’hui les conseillers professionnels du service public de l’emploi : le niveau élevé du chômage et la pression des résultats (réorganisation des services, suivi personnalisé, contrôle plus strict de l’assurance chômage) rendent leur tâche particulièrement délicate et tendue, d’autant que l’aide au retour à l’emploi peut faire naître des dilemmes éthiques et impliquer des jugements interprétatifs sur la situation personnelle des chômeurs, dans un contexte de responsabilisation accrue des acteurs. Il déplore notamment le manque de travaux sur cette question pourtant capitale à l’heure actuelle.

Pour Marc-Antoine Estrade (DGEFP), le débat sur les emplois non pourvus se concentre sur l’inadéquation supposée entre les compétences des candidats et les besoins des entreprises. Or, selon lui, la plus grande majorité de ces emplois vacants s’explique par le fonctionnement « normal » du marché du travail qui implique une durée incompressible du recrutement, et d’autre part, par l’inexpérience des recruteurs qui conduit à des échecs plus fréquents dans les petites entreprises.

Dans leur contribution, Margaret Maruani (CNRS) et Monique Meron (INSEE-CREST) analysent sur le long terme la place des femmes sur le marché du travail : selon elles chaque société, chaque époque, chaque culture produit des formes de travail féminin et sécrète ses représentations sociales.

Contrairement aux idées reçues, l’apport de la force de travail des femmes a toujours été massif et indispensable au système productif. Les chiffres montrent la constance du poids de l’activité féminine en France : jamais moins d’un tiers de la population active, près de la moitié aujourd’hui (6,8 millions de femmes actives en 1901, 13,9 en 2008). On constate également une homogénéisation des comportements d’activité masculins et féminins depuis la Seconde Guerre mondiale, avec un rattrapage de l’activité des femmes de 25 à 50 ans sur celle des hommes à partir des années 1960.

Avec la crise en 2007, les courbes du chômage masculin et féminin se sont rapprochées et même inversées un court moment : le chômage des hommes a augmenté plus brutalement (licenciements dans l’industrie), celui des femmes augmentant plus tard (avec la détérioration des emplois tertiaires). Par ailleurs le temps partiel et le sous-emploi concernent très massivement les femmes. La mixité est en marche dans les professions supérieures mais reste en panne dans le salariat d’exécution.

Les voies de réformes du marché du travail

Dans leur article, Jacques Barthélémy (avocat conseil en droit social) et Gilbert Cette (GREQAM) défendent l’idée que le droit social français (droit du travail, droit de la sécurité sociale, action sociale de l’Etat) est devenu trop rigide et explique les piètres performances macroéconomiques de la nation, même s’il ne s’agit pas d’assouplir la réglementation au détriment de la nécessaire protection des salariés. Plutôt que de réduire le champ dévolu au droit réglementaire, uniforme, inerte et limitant les compromis, il conviendrait de le remplacer progressivement par du droit conventionnel, autorisant davantage de souplesse pour les entreprises et laissant plus d’espace à la négociation.

Selon eux, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 s’inscrit dans cette logique et constitue une avancée majeure pour concilier protection des travailleurs et efficacité économique. Le marché du travail français protège l’emploi des insiders mais il s’accompagne paradoxalement d’un sentiment très élevé d’insécurité professionnelle et d’angoisse face à la perte d’emploi, tandis que la situation des outsiders reste marquée par la précarité. Il serait donc temps selon les auteurs d’approfondir la logique entamée par l’accord de 2013 pour avancer vers un droit du travail plus contractuel, mieux adapté aux enjeux des transformations de l’appareil productif et de la croissance du XXIème siècle.

En évoquant l’avenir de l’assurance chômage, Camille Landais (London School of economics) rappelle que cette dernière engendre des coûts si elle allonge la durée de l’emploi (en particulier si les montants versés sont généreux) et crée un aléa moral, mais permet également un soutien de la demande globale en période de récession et favorise un meilleur appariement entre l’offre et la demande de travail en permettant aux travailleurs de trouver un emploi plus conforme à leurs compétences. Il plaide notamment pour une réforme de l’assurance chômage qui lui permette de jouer un rôle contra-cyclique et émet l’idée d’un système d’assurance chômage à l’échelle européenne.

Marc Ferracci (Université de Nantes) évoque la question de la formation professionnelle des adultes à la fois comme levier de la sécurisation des parcours professionnels et déterminant de la compétitivité des entreprises : considérables en France (32 milliards d’euros en 2010), les dépenses de formation professionnelle restent globalement inéquitables et inefficaces. En effet, en 2010, un individu sans diplôme avait 10% de chances de participer à un stage de formation professionnelle, contre 34% pour un diplôme du supérieur, et l’impact mesuré de la formation sur la productivité, les salaires et l’emploi, reste faible, et le rendement de la formation croît avec le niveau de diplôme. Ainsi, une réforme judicieuse du financement passerait par des subventions inversement proportionnelles au niveau de salaire, pour remédier aux inégalités entre travailleurs qualifiés et non qualifiés.

Francis Kramarz (CREST) développe l’idée d’une réforme ambitieuse de la formation et celle de l’instauration d’un contrat unique de travail qui permettrait de casser le dualisme actuel du marché du travail (entre CDD et CDI) et d’avancer sur la voie d’une « flexicurité » à la française, avec une plus grande portabilité des droits des salariés. Il existe en effet un paradoxe des marchés du travail dans les pays de l’OCDE : les pays où la protection de l’emploi est la plus élevée sont aussi ceux où l’insécurité de l’emploi est perçue comme la plus forte. De plus, ils sont aussi ceux où le stress au travail est le plus élevé.

Nicolas Lepage-Saucier (UQAM et Sciences Po) , Juliette Schleich (Sciences Po), Etienne Wasmer (Sciences Po et Liepp) discutent toutefois la portée et les limites du contrat unique de travail : il pourrait certes présenter des avantages (encore qu’il faudrait également réduire les inégalités de formation et d’accès au logement), mais pourrait ne constituer qu’un habillage de la dé-protection des emplois stables, laquelle pourrait être déstabilisante sans forte contreparties en matière d’assurance chômage et d’accompagnement des chômeurs.

Sandra Pellet (RCE) aborde la question des professions réglementées (entrées limitées par un numerus clausus, coûts d’installation élevé comme les licences de taxis) et des gisements d’emplois potentiels qu’elles recèlent (coiffeurs, taxis, avocats, notaires, etc.) : la réduction des barrières à l’entrée et la libéralisation favoriseraient certes une concurrence plus grande, mais se paieraient sans doute d’une détérioration de la qualité des services (santé, services juridiques). Et l’impact serait de toute façon limité sur le volume de l’emploi.

Enfin, Olivier Pilmis (EHESS) évoque le développement de l’intermittence comme nouvelle norme du marché du travail, dans le sillage de l’augmentation des CDD et des emplois à temps partiel. Si ce modèle peut incarner une certaine liberté choisie sur le marché du travail et une désaliénation (à l’instar du travail dans les Arts et le spectacle), il ne faut pas oublier qu’il se développe surtout pour les fractions dominées du marché du travail, frappées de plein fouet par l’instabilité de l’emploi.

Quatrième de couverture

Si la France atteint un jour la barre des 500 000 chômeurs, ce sera la Révolution » prévenait Georges Pompidou en 1967. Aujourd’hui le nombre de demandeurs d’emplois sans activité dépasse les trois millions. Près de cinq millions de personnes sont inscrites à Pôle Emploi. Face à l’explosion de fléau, trop nombreux sont les décideurs qui se sont résolus au fatalisme. « Contre le chômage, disait un autre président de la République, on a tout essayé ». Ce numéro de Regards croisés sur l’économie s’inscrit en faux contre ce scepticisme. Non seulement les politiques n’ont pas tout essayé, mais les économistes ont fait des progrès considérables dans leur compréhension du marché du travail. Du rôle du contrat de travail à celui du salaire minimum en passant par les pratiques de management, les recherches les plus récentes soulignent la multiplicité des outils disponibles pour allouer « l’offre » et la « demande » sur ce marché unique. Elles mettent en avant le rôle crucial joué par l’assurance chômage en temps de crise, quand la mode est à la dénonciation de ses « effets pervers » : l’importance d’un service public de l’emploi ambitieux, quand la tendance est partout aux coupes budgétaires ; la nécessité d’une action vigoureuse sur le marché du logement, quand nombre de politiques publiques s’acharnent pourtant à freiner la mobilité résidentielle. C’est à la rencontre de ces découvertes et de leurs implications concrètes pour les politiques publiques qu’invite ce numéro, dans une synthèse originale et accessible à tous.

Auteurs

La revue vise à combler le fossé entre la recherche académique et le débat public. Clairs et didactiques, ses articles rendent compte des dernières avancées des sciences sociales, en faisant appel à des spécialistes scientifiquement reconnus.

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