Comment j'ai vaincu la crise

Franklin D.Roosevelt

L'ouvrage

Dans sa présentation de l’ouvrage, Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint du mensuel Alternatives économiques, rappelle les grandes lignes de la carrière politique de Roosevelt : gouverneur de New York en 1930, il devient le candidat démocrate à la présidentielle pour tenter de déloger Herbert Hoover, en grande difficulté pour gérer la crise déclenchée par le krach boursier d’octobre 1929, et sera finalement élu en novembre 1932 et investi en mars 1933 à la présidence des Etats-Unis. Christian Chavagneux rappelle notamment que Roosevelt a su s’entourer d’une équipe pluraliste de conseillers économiques brillants (un « brain trust »), dans laquelle ont peut compter des économistes de renom, parmi lesquels Adolf A. Berle et Gardiner C. Means, célèbres pour leurs travaux sur la grande entreprise. Si le président Roosevelt est un partisan convaincu du « laissez-faire », de la libre concurrence et de l’équilibre budgétaire, il a su adapter ses idées économiques à l’évolution de la conjoncture de manière pragmatique tout au long de ses mandats à la Maison Blanche.

Alors qu’il partageait les grands principes de la doctrine libérale, et particulièrement la foi dans les capacités autorégulatrices du capitalisme, c’est pourtant lui qui a décidé, en fonction des évènements, d’encadrer sévèrement les activités financières, de réduire les inégalités par la mise en place d’un impôt progressif (avec des taux marginaux très élevés sur les plus fortunés), de mettre en œuvre une puissante politique industrielle et d’ériger un Etat Providence pour protéger les plus démunis. Selon Christian Chavagneux, qui défend l’idée qu’il est toujours important de lire les discours du président américain quatre-vingt ans après, puisqu’ils ont une résonance très actuelle pour comprendre le monde d’aujourd’hui, « Roosevelt n’avait pas pensé à tout cela par avance. Il n’avait pas de plan préconçu. Il a su se hisser à la hauteur de la crise historique que traversait son pays et le transformer radicalement dans le sens qui lui semblait le plus à même de lui éviter de futurs dérapages ».

Réguler la finance

Le premier discours de Roosevelt, en pleine campagne électorale présidentielle, le 20 août 1932 à Colombus (Ohio), a une portée considérable puisqu’il jette les bases d’une profonde réforme du secteur financier : il évoque dans ce texte la volonté de séparer les banques d’affaires et les banques de dépôt, qui débouchera en juin 1933 sur le Glass Steagall Act, du nom de ses deux promoteurs, le sénateur Carter Glass et le député Henry Steagall. Il commence par critiquer le programme économique républicain, et le président sortant, Hoover, qui identifie les causes de la crise américaine principalement à l’étranger sans apporter de réelles solutions (« la spéculation et les prêts étrangers à des fins non productives »), et son manque de volonté politique pour relancer l’économie et réformer le secteur bancaire en séparant les banques de dépôt et d’investissement. Roosevelt déplore la concentration du pouvoir économique entre les mains d’une minorité de banquiers et de grands capitaines d’industries, et dénonce le rôle délétère de la spéculation financière : « nous constatons que plus de la moitié de l’épargne du pays a été investie dans les actions et les obligations d’entreprises, fournissant ainsi aux marchés boursiers un instrument de jeu ».

En faisant le point sur la situation économique et sociale, il évoque les ravages du chômage de masse et dénonce le protectionnisme à travers la fixation des droits de douane, qui, par les représailles commerciales qu’il engendre, pénalise les agriculteurs américains sur les marchés internationaux. Il explicite également dans le cadre de ce discours sa conception de l’individualisme (« l’âme intrépide du peuple américain »), sa foi dans la liberté économique, l’esprit d’entreprise et « le caractère sacré de la propriété privée ». Mais il écrit aussi que, pour défendre la démocratie, « notre système industriel et économique est fait pour servir les individus, hommes et femmes, et non que les individus sont faits pour servir le système ». Il propose alors une série de « remèdes fondamentaux » pour sortir le pays de l’ornière : une plus grande transparence sur les activités boursières, une régulation financière pilotée par l’Etat fédéral, et une étroite supervision du secteur bancaire, afin de restaurer la confiance des Américains dans leurs institutions économiques et financières (« ce qui a été perdu, c’est la confiance en nos dirigeants, en ce qu’ils disent et ce qu’ils font »).

Limiter le pouvoir des grands trusts

Vers la fin de sa campagne électorale, Roosevelt prononce le 23 septembre un discours important à San Francisco (Californie) où il affirme sa volonté de réguler davantage l’économie et réduire le pouvoir de l’oligarchie des grandes entreprises américaines et de la finance, trop portée à faire passer les intérêts particuliers avant l’intérêt général. Dans ce discours, il rappelle l’histoire politique des Etats-Unis, le rôle majeur des pères fondateurs de la Constitution (Jefferson, Hamilton…) et la mise en place d’un Etat fédéral, capable de dépasser les intérêts privés et les pouvoirs locaux. Il évoque l’esprit de la frontière, soit cette idée que dans l’histoire américaine, les récessions étaient naturellement vaincues en puisant dans les terres agricoles et les ressources immenses du pays, de nombreux américains ayant immigré vers l’Ouest pour y prospérer et créer leur activité, tandis que le progrès technique et la révolution industrielle offraient des possibilités industrielles énormes. Il rappelle la tradition culturelle de critique de l’incursion de l’Etat dans les affaires économiques, très ancrée dans la mentalité américaine, celle du « big government » qui impose des normes et des réglementations fiscales qui étouffent l’activité économique.

Toutefois, il rappelle aussi que les grandes entreprises n’hésitent pas à demander à Washington toutes sortes d’aides et de subventions pour soutenir leur activité : « les mêmes qui vous disent qu’ils ne veulent pas voir le gouvernement se mêler de leurs affaires, et, je le répète, ils ont beaucoup de bonnes raisons de le faire, sont les premiers à se rendre à Washington pour demander au gouvernement d’instaurer des droits de douane prohibitifs sur les produits qu’ils fabriquent, afin d’empêcher toute concurrence étrangère ! » Il évoque ainsi l’importance de la législation antitrust développée à l’époque de Théodore Roosevelt au début du XXème siècle (« un cri de protestation contre les grandes firmes ») et celle de la lutte contre les monopoles. Il critique également les mesures protectionnistes qui ont conduit à défendre les rentes des grandes entreprises et pousser les autres pays à prendre des mesures similaires afin de protéger leurs industries, au détriment des relations commerciales et de la concurrence. Ces barrières tarifaires ont également favorisé des investissements sortants et les délocalisations : « cela (les politiques protectionnistes) a contraint bon nombre de nos grandes industries, qui exportaient jusque-là leur surplus de production vers ces pays, à y construire directement des usines pour franchir ces barrières douanières, ce qui a réduit d’autant l’activité de leurs usines américaines, et donc les emplois qu’elles pouvaient offrir ». Dans ce discours, il plaide aussi pour une déclaration des droits économiques de nature constitutionnelle (« l’Etat doit être prompt à intervenir pour sauvegarder le bien-être public ») et dénonce le pouvoir trop important de la finance : « la finance centralisée n’est plus au service des désirs de la nation, mais constitue pour elle un danger ». Il met en garde les Américains contre le risque de retour périodique des crises financières si la finance n’est pas mieux régulée, et plaide pour un contrôle nettement plus strict de la spéculation, « et si cela implique de sacrifier les profits faciles réalisés lors des bulles inflationnistes, faisons-le, et bon débarras ! »

Le premier New Deal

Dans son discours lors de sa prise de fonction à Washington D.C, le 4 mars 1933, les Etats-Unis sont au plus profond de la crise : Franklin Roosevelt définit alors les grandes orientations de ce que l’on appellera le « New Deal », avec la création d’un gendarme des marchés financiers (la Securities and Exchange Commission), l’endettement de l’Etat pour embaucher des fonctionnaires et mener une politique d’investissements publics (une politique de « grands travaux »), un système de Sécurité sociale étendu (de retraites et d’aides au chômeurs). L’administration Roosevelt sera également en 1944 à la base des accords de Bretton Woods sur l’encadrement des mouvements de capitaux internationaux. Dans ce discours d’investiture où il explicite sa feuille de route, il tient un discours de vérité sur la situation du pays : « il est inutile de chercher à cacher l’état dans lequel se trouve notre pays aujourd’hui ». Il y réaffirme également sa foi dans les immenses capacités de la nation américaine : « cette grande nation résistera comme elle a déjà résisté, se rétablira et redeviendra prospère ». Il plaide pour une politique pragmatique qui préserve les fondements libéraux du capitalisme, mais il y fait une critique sans concession de la finance en insistant sur la nécessité de réguler fortement le secteur financier : « nous devons mettre en place une stricte surveillance des banques, de la distribution des crédits et des investissements, mettant ainsi fin à la possibilité de spéculer avec l’argent des autres, et nous devons prendre des mesures pour disposer d’une monnaie en quantité suffisante mais saine ».

A la fin de l’année 1934, Roosevelt demande à son ministre des Finances, Henry Morgenthau, de lui proposer une ambitieuse réforme fiscale. Dans son discours au Congrès du 19 juin 1935, il jette les bases d’une taxation de l’héritage, du développement d’une forte progressivité de l’impôt sur le revenu, du rééquilibrage de l’impôt sur les sociétés (pour faire contribuer davantage les grandes entreprises et moins les PME), et du renforcement de la lutte contre la fraude fiscale. Il justifie la progressivité de l’impôt par ces mots : « dans le monde moderne, la richesse ne vient pas seulement des efforts individuels, mais résulte de la combinaison de ces derniers avec les multiples manières dont la collectivité les organise. Les individus n’obtiennent pas simplement le produit de leur travail de leurs propres mains, ils prennent aussi appui sur les nombreuses forces de la production de masse afin de rencontrer la demande émanant des marchés tant nationaux qu’internationaux ». Dans ce discours, il défend également l’idée d’un impôt sur les grandes fortunes, car « le mécontentement social et un sentiment croissant d’injustice représentent un danger pour la vie de notre nation, qui doit être réduit par une action rigoureuse ».

Le second New Deal

Après son premier mandat présidentiel, Roosevelt veut poursuivre son action réformatrice : le parti démocrate souhaite aller plus loin que le premier New Deal et l’aile radicale de son parti regrette que les réformes ne soient pas allées plus loin qu’une simple régulation, et n’aient pas conduit à une remise en cause globale. D’autre part, les patrons américains critiquent violemment sa politique industrielle et fiscale, ainsi que les mesures d’encadrement de la finance. En fin de campagne, alors qu’il se bat pour sa réélection, il prononce un discours au Madison Square Garden de New York le 31 octobre 1936 où il critique une nouvelle fois les grandes entreprises qui, selon lui, souhaitent que le gouvernement fédéral soit à leur service (« sur tous ces fronts, notre combat ne fait que commencer »). Tout en défendant les récipiendaires de l’aide sociale contre les critiques selon lui disproportionnées des républicains contre la Sécurité sociale, il réaffirme son implication totale dans la lutte contre le chômage au nom de la valeur travail : « bien sûr nous fournirons un travail utile aux chômeurs dans le besoin. Nous préférons le travail utile pour la communauté au paupérisme des allocations ». Il formule le projet durant son second mandat d’intensifier les efforts pour améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs et protéger les agriculteurs contre la volatilité excessive des prix.

Si la politique budgétaire de rigueur et de consolidation fiscale de 1937, sans doute menée de manière trop précoce, a pesé sur l’activité économique, Roosevelt défend l’idée, dans un dernier discours radiophonique recensé dans cet ouvrage, de poursuivre le New Deal avec une intervention forte de l’Etat dans l’économie. S’il ne plaide pas directement pour une politique de relance keynésienne par la dépense publique, il préconise d’accepter une légère augmentation de la dette publique des Etats-Unis. Dans ce texte d’avril 1938, il explique qu’il en va de la préservation de la démocratie, puisque la crise a conduit en Europe à l’avènement de régimes non démocratiques : « j’en suis venu à faire remarquer au Sénat et à la Chambre des Représentants que toute l’énergie du gouvernement et du monde des affaires devait être mise au service de l’accroissement du revenu national et de la création d’emplois, pour garantir à toute la population un sentiment de sécurité dans toute les étapes de son existence ». Il explique dans cette causerie radiophonique qu’il faut poursuivre la politique du New Deal pour améliorer le climat économique, et notamment mettre en œuvre une indemnisation du chômage plus conséquente, accroître le volume du crédit à l’économie par une augmentation des réserves bancaires, et distribuer davantage de pouvoir d’achat en lançant une nouvelle politique de grands travaux pour tenter d’éradiquer le chômage de masse, qui selon lui, sape les fondements de la démocratie.

Quatrième de couverture

Une crise financière, économique et sociale d’ampleur historique : voilà ce qu’a dû affronter Franklin D. Roosevelt, président des Etats-Unis de 1933 à 1945. Avec son New Deal, il a mis en œuvre un projet politique révolutionnaire pour soutenir l’économie et lutter contre le chômage. Ces extraits de discours et de causeries radiophoniques décrivent les moyens déployés pour y parvenir. Avec une belle éloquence, ils répondent à des questions toujours d’actualité : comment gérer la dette publique en temps de crise ? Pourquoi la puissance publique, même attaquée par des intérêts privés, doit-elle rester ferme dans sa volonté régulatrice ? L’enjeu, comme l’explique Roosevelt, est alors de taille : sortir de cette crise par le « haut » est le seul moyen de sauver la démocratie des tentations totalitaires.

L’auteur

Franklin D. Roosevelt fut président des Etats-Unis de 1933 à 1945.

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