Citoyen du Monde

Carlos Ghosn et Philippe Riès

L'ouvrage

Ecrit en collaboration avec le journaliste Philippe Riès, "Citoyen du Monde" est une "autobiographie managériale" de Carlos Ghosn, depuis sa naissance au Brésil jusqu'à son rôle actuel de PDG de Nissan. Ce parcours lui permet de livrer nombre de réflexions intéressantes sur la façon dont son enfance d'émigré l'a marqué, sur les mérites et limites de son éducation, sur son parcours chez Michelin, Renault et surtout Nissan, dont le redressement sous sa houlette à partir de 1999 occupe plus de la moitié du livre. D'une lecture agréable et facile, "Citoyen du monde " oscille entre une biographie presque intimiste où se sent une volonté évidente d'humaniser une image de "cost killer " dur et un livre de bonnes pratiques managériales de "conduite du changement "

C. Ghosn s'épanche ainsi d'une façon souvent touchante sur son enfance dans une famille maronite et son adolescence entre Brésil et Liban. Sa formation dans des écoles jésuites puis à Polytechnique est ensuite décrite avec un curieux mélange d'humilité et d'immense confiance en soi. Le ton prend progressivement plus de recul sur son éducation supérieure : " Le système français que j'ai suivi est basé sur la compétition, la sélection et sur la mise en valeur de l'intelligence. Le travail en équipe, connais pas ! La communication, connaît pas…Quand nous voyions débarquer des Américains qui étaient rompus à la pratique des exposés, nous étions sidérés. Nous étions complètement ignorants de toute une série de choses qui m'ont ensuite été très utiles mais que j'ai dû apprendre sur le tas... Il en reste des points forts, comme la capacité de passer très vite d'un dossier à l'autre, de faire de la synthèse, l'exactitude, l'horreur de l'à-peu-près, la capacité à relever les défis intellectuels. Beaucoup de travail, beaucoup de discipline, beaucoup d'organisation, c'est cela qu'on apprend ".

S'ouvre ensuite la carrière professionnelle de C. Ghosn, répartie entre trois entreprises relevant du secteur automobile mais très différentes : Michelin, Renault et Nissan.

D'un tradition familiale très forte, Michelin le marque par sa culture du concret, du secret, de l'innovation technologique et par sa religion du produit. Rapidement promu directeur d'usine à Puy-en-Velay, il est remarqué par François Michelin (gratifié au passage d'un portrait élogieux) qui l'envoie en 1985 redresser la filiale au Brésil alors en plein marasme économique. Fort de la confiance de F. Michelin, il peut remettre en questions des directives du siège souvent inadaptées au contexte d'hyper-inflation et parvient, notamment en réduisant au maximum le besoin en fonds de roulement, à rétablir la rentabilité de la filiale en trois ans. Nommé ensuite aux Etats-Unis, il devra gérer le rachat d'Uniroyal-Goodrich dans un contexte de récession économique et d'hyper concurrence. L'établissement d'équipes transversales entre Michelin USA et Uniroyal pour mettre en place une stratégie multi-marques, le cross-manufacturing et la refonte de l'outil industriel mettront cinq ans à porter leurs fruits : Michelin USA devient rentable en 1995. Enrichi d'une grande culture marketing acquise auprès des plus grands constructeurs automobiles, tous présents aux Etats-Unis, Ghosn est rappelé, un peu à contrecœur, à Clermont-Ferrand, pour former le fils de François Michelin à prendre la tête de l'entreprise. " Vous préférez toujours être curé au village qu'être évêque à Rome ", note-t-il - mais peut-être pas pape ou au moins cardinal en attendant, serait-on tenté de compléter. Ghosn se fait donc recruter en 1996 comme directeur général adjoint chez Renault, alors en position délicate.

Ghosn découvre une entreprise " dans laquelle on parle beaucoup, très centralisée, à la fois cynique et généreuse, bureaucratique mais capable de se mobiliser ". Chargé de rationaliser les coûts chez un constructeur alors en grande difficulté, il dirige un plan d'économies en formant des équipes transversales soudées autour d'un objectif clair : le "plan 20Mds ", soit 9-10 000 FF d'économie par véhicule sous trois ans, notamment via une rationalisation des achats mais aussi la fermeture de l'usine de Vilvoorde. La réussite du plan lui vaut d'être associé aux projets de concentration avec d'autres constructeurs qu'explore Louis Schweitzer et d'être le candidat naturel pour diriger l' "Alliance " avec Nissan à partir de 1999 : " Schweitzer avait été très clair, comme il me l'a raconté par la suite : "Je n'ai qu'un candidat pour ce travail…Si vous n'y allez pas, je ne signe pas.

Ghosn part à Tokyo avec une trentaine de hauts cadres de Renault, dans les fonctions où Nissan semblait pêcher le plus : non pas dans la fabrication strictement dite, mais dans son amont (études de marché, finances, planification des produits, achats) et son aval (marketing, publicité, commercialisation). Le jugement sur Nissan tombe vite : " Pas de vision. Pas de stratégie. Pas d'instruments de mesure. Des territoires, des baronnies. Un corps désarticulé. "

Le Plan de Renaissance de Nissan prend vite forme. Sont constituées des équipes transversales (" un instrument très puissant pour conduire les cadres à regarder au-delà des frontières fonctionnelles ou géographiques qui bornaient leurs responsabilités directes ") d'une dizaine de membres, dotées de deux leaders chacune pour élargir au maximum leur vision. Les neuf chantiers sont la croissance rentable (nouveaux produits, nouveaux services, nouveaux marchés), les achats, l'outil de production et la logistique, la recherche et le développement, le commerce et le marketing, les services généraux, les finances, la gestion de la fin de vie des produits et enfin l'organisation et la valeur ajoutée.

Ces travaux aboutiront en trois ans à des cessions d'actifs non stratégiques (aboutissant au démantèlement du keiretsu Nissan), à la refonte du réseau commercial, au lancement de 22 nouveaux véhicules au design et au marketing forts, à la réduction des coûts d'achats, des frais généraux, de commercialisation et administratifs de 20%, des capacités de production de 30%, des effectifs de 14% et à du nombre de fournisseurs de 50%. Ghosn insiste sur la nécessité de communiquer avec le maximum de transparence autour de ce plan, auprès des analystes financiers, de la presse économique mais aussi des clients potentiels et des employés, en contestant au passage les reproches de "culte de la personnalité " qui lui ont été adressés. Enfin, la politique de ressources humaines de Nissan évolue en profondeur : rémunération et avancement au mérite et non plus à l'ancienneté, décloisonnement des responsabilités, emploi à vie comme objectif mais plus comme dogme, incitation au leadership à la General Electric : " Ce sont plus les atouts manifestés dans la gestion des hommes que ma formation de base qui m'ont aidé… Résoudre les problèmes de l'entreprise ne veut pas dire les comprendre dans tous les détails mais s'assurer d'être entouré par des collaborateurs capables d'aller au fond des sujets et de les résumer de manière à ce que vous puissiez prendre les décisions les plus adéquates ".

Le livre se poursuit sur des considérations plus générales sur l'industrie automobile, l'avenir de Nissan et de l'Alliance Renault-Nissan tel que le voit son futur patron.

Pour Ghosn, la globalisation, particulièrement avancée dans le secteur automobile, doit aller de pair avec le respect des identités. L'originalité de l'Alliance Renault-Nissan par rapport à des acquisitions classiques est originellement due à des raisons très pratiques : le niveau de consolidation de la dette, la faible capacité d'investissement de Renault, des ressources humaines disponibles assez limitées. Cette contrainte a donné naissance à une Alliance conçue non sur des rapports de forces (comme Daimler-Chrysler), mais comme un réel partenariat respectueux d'une dimension multiculturelle qui apparaît comme un avantage compétitif : " l'Alliance progresse parce qu'il y a respect des identités ". Pour mobiliser une telle organisation, une communication intense et claire est indispensable, y compris par-dessus la hiérarchie en temps de crise, et d'une façon continue. Au Plan de Renaissance, succède ainsi le plan triennal Nissan 180 : 1 million de véhicules supplémentaires, 8% de marge opérationnelle, 0 dette. Les employés ne doivent pas être perdus de vue : " il ne faut pas donner le sentiment que tout est fait en fonction du client ou de l'actionnaire… Nous avons enrichi nos voitures, donnant plus à nos clients ; nous avons donné plus à nos actionnaires par la réévaluation de l'action et l'augmentation du dividende mais aussi, nous avons donné plus à l'ensemble du personnel, à tous les niveaux par l'augmentation des salaires et des bonus ". Autre originalité de la vision de Ghosn, la focalisation sur les produits, sur le cœur de métier et sa méfiance quant à la diversification sectorielle : " Celui qui perd de vue le produit est condamné. Développer des activités nouvelles, ce peut être une bonne chose. La faute à ne pas commettre, c'est que cela se fasse au détriment de la compétitivité sur le produit automobile. Chaque fois qu'un constructeur a affaibli son offre dans le cœur de métier, qui est le produit, parce qu'il a voulu se diversifier, il l'a payé très cher ", comme Fiat par exemple.

Nissan est en 2002 et 2003 le constructeur le plus rentable du monde (en termes relatifs), mais a été critiqué pour avoir réduit ses investissements en recherche et développement. Ghosn le justifie d'abord par des contraintes financières fortes, mais aussi par pragmatisme : " je ne suis pas accro de la technologie pour la technologie ". Les motorisations hybrides essence/électrique, lancées par Toyota, ne lui paraissent ainsi pas susceptibles d'être compétitives en termes de coûts dans l‘avenir prévisible, sauf incitations fiscales provisoires. Son surcoût trop important pour le client le confine à un marché de niche, et la baisse des coûts de cette technologie passera nécessairement par son ouverture à d'autres marques. Ghosn se penche ensuite sur le croissance rentable via l'internationalisation de Nissan, avec un chapitre sur le joint-venture signé en 2002 avec Dong Feng en Chine et la focalisation sur le marché américain, intrinsèquement le plus rentable en raison de sa taille et de son mix produit, le plus riche du monde. Sur les délocalisations, Ghosn remarque que la production dans l'automobile se décide très peu sur la comparaison entre coûts salariaux (une composante des coûts finalement peu importante dans l'industrie automobile, qui nécessite de toutes façons une proximité géographique avec de nombreux fournisseurs) mais surtout pour des raisons de change et de protections douanières : on produit là ou l'on vend.

Le livre s‘achève par quelques considérations (trop) générales sur la possible sortie de crise du Japon, sans aborder quelques sujets plus polémiques, comme la baisse marquée de qualité chez Nissan, qui commence à ternir l'image de la marque aux Etats Unis, sans creuser dans quelle mesure le démantèlement du keiretsu Nissan n'a pas hypothéqué en partie son avenir, et sans aborder le dossier non résolu de la filiale poids lourds Nissan Diesel, dont Renault et Nissan détiennent pourtant chacun 22,5%

Au final, "Citoyen du Monde " présente les avantages et les inconvénients d'un ouvrage conçu en grande partie par et complètement pour Carlos Ghosn : la vision de l'intérieur, vivante et riche d'enseignements, d'un parcours exceptionnel, mais qui paraît parfois un peu trop complaisante.

Les auteurs

Carlos Ghosn , actuel PDG de Nissan et promis à la succession de Louis Schweitzer à la tête de Renault en 2005, né en 1954 au Brésil d'une famille libanaise maronite, a émigré au Liban à 6 ans puis en France à 17 ans. Après des études à Polytechnique, il rentre chez Michelin en France puis au Brésil, et, à partir de 1989, aux États-Unis pour y gérer l'intégration d'Uniroyal-Goodrich. En 1995, il rejoint Renault, où il dirige un programme de rationalisation des coûts avant de gérer l'alliance avec Nissan, à partir de 1999, avec le succès que l'on sait.

Philippe Riès dirigeait le bureau de l'Agence France-Presse à Tokyo jusqu'en 2003. Il dirige aujourd'hui le bureau de Bruxelles.

Mots clés

Fusion, acquisition, mondialisation, automobile, Renault, Nissan, redressement

 

 

Table des matières

Le départ
A Paris
Chez Bidendum
Si tu vas à Rio
Au pays des trois grands
L'adieu à Michelin
L'auto
En route vers l'Asie
Au Japon
Les "Renault "
Auscultation et diagnostic
Sur la planche à dessin
Thérapie de choc
Il faut COM-MU-NI-QUER
Dessiner, développer, financer, vendre
Faire vivre l'Alliance
Le goût du défi
Demain
Nouvelle frontière
Un message d'espoir

Quatrième de couverture

"En mars 1999, Nissan Motor est une branche malade de l'économie japonaise. Saturée de dettes, l'entreprise est vouée à une mort probable. Lorsque Carlos Ghosn, agissant au nom de Renault qui prend alors 36,8% du capital, promet une renaissance en trois ans, on pouvait douter de ses déclarations. Le résultat ? Nissan est devenu en un temps record l'un des constructeurs automobiles les plus rentables au monde ! Comment un tel miracle fut-il possible ? Comment une économie réputée aussi impénétrable que celle du Japon a-t-elle su s'ouvrir à de nouvelles méthodes ? Que faire pour s'intégrer à un pays si différent ? Qu'est-ce qu'un management sans frontières ? Ce livre, écrit avec la collaboration du journaliste Philippe Riès, ne raconte pas seulement le sauvetage de Nissan : il explique de l'intérieur l'itinéraire d'un homme hors du commun, bientôt à la tête de l'alliance Renault-Nissan. Voici un autre visage de la mondialisation. Du Brésil où il est né dans une famille libanaise, à Clermont-Ferrand, où ce polytechnicien sorti des écoles de la République, parlant l'arabe, le portugais et l'anglais, a su gagner la confiance des " Bib's ", des Etats-Unis où il dirige les activités de Michelin à un Tokyo en crise, cet homme secret se raconte pour la première fois. " Il n'y a pas de limite à ce que nous pouvons faire " a-t-il coutume de dire... C'est l'une des leçons, entre mille, de cette passionnante success story "

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