Après la récession.... Inflation ou déflation ?

Cercle turgot

L'ouvrage

Dans la préface de l’ouvrage, Jean-Louis Chambon évoque le logiciel des banques centrales qui considère le plus souvent l’inflation comme une hydre qu’il faut combattre, « un point de fixation et le nec plus ultra de l’action monétaire ». Il se pourrait pourtant qu’à l’instar du Japon, et ce depuis de longues années, les vieilles nations industrialisées aient basculé dans la situation inverse, c’est-à-dire le risque de la déflation, soit la baisse du niveau général des prix.

Et la crise est venue bousculer bien des certitudes face à ces spectres, tantôt l’inflation, tantôt la déflation, qui suscitent bien des dogmatismes en matière de politique économique. Dans sa contribution, Jean-Bernard Mateu rappelle des rouages simples mais essentiels de l’inflation et de la déflation. Il note en particulier que si la Banque centrale européenne (BCE) conserve comme objectif principal la stabilité des prix, ce n’est pas le cas de la Réserve fédérale des Etats-Unis qui a maintenu une pluralité d’objectifs dans ses statuts et dans sa stratégie monétaire, tandis que la doctrine de la Banque d’Angleterre vient de voir évoluer sa mission pour jouer « un rôle plus actif afin de soutenir l’activité économique ». La Banque centrale chinoise, par la voix de son président, a récemment rappelé qu’elle était également à la recherche de cet « équilibre entre croissance économique et contrôle de l’inflation ».

L’inflation élevée, qui détériore le pouvoir d’achat de la monnaie, conduit certes à une diminution de la quantité de biens et services que les individus peuvent acquérir. Mais « l’inflation raisonnée » est en elle-même facteur de croissance (« ce n’est pas un jeu à somme nulle »), car les agents économiques ont tendance à anticiper leurs dépenses de consommation et d’investissement avant que les prix ne s’élèvent, ce qui soutient la demande globale et stimule la croissance du PIB.

Par ailleurs l’inflation améliore l’effet de levier et favorise les emprunteurs (mais moins les épargnants), en diminuant la charge réelle de leur dette. Dans une économie de crédit, ce mécanisme stimule encore l’activité économique…ce qui est pourtant en contradiction avec le discours traditionnel de la BCE.

Inversement, la déflation est un frein à la croissance économique car les agents économiques repoussent leurs achats en attendant une prochaine baisse des prix…ses effets peuvent être dramatiques puisque, si les salaires et les coûts sont rigides, la baisse des recettes des entreprises entraîne alors une spirale destructrice de réduction des investissements, des profits et de la production. Dans le cadre d’un mécanisme de « déflation par la dette » (démontré par l’économiste Irving Fisher en 1933), la valeur des dettes s’élève en termes réels, et la baisse des prix et de l’activité s’entretiennent mutuellement. Si les Allemands ont toujours nourri une forte aversion à l’inflation depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, en souvenir des traumatismes connus dans les années 1920 où l’inflation avait détruit leur monnaie, les gouvernements français de l’après-guerre ont aussi souvent désigné l’inflation comme le mal de l’économie. Dans les années 1950, il s’agissait de restaurer les mécanismes concurrentiels en instaurant la « vérité des prix », ou de recourir à des méthodes comme le blocage des prix et des salaires, l’encadrement du crédit, la pression fiscale, etc.

Comme l’a fait remarquer l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, le relèvement de la cible d’inflation de la BCE de 2 à 4% pourrait aller dans le bon sens et faciliter la reprise économique, et le prix Nobel d’économie Paul Krugman a lui aussi plaidé pour une inflation raisonnée pour briser le cercle vicieux de la stagnation économique (dû à une « inflation trop basse et une économie faiblarde »). C’est plutôt un cycle déflationniste qui menace aujourd’hui la zone euro selon de nombreux macro-économistes. On pourrait dés lors envisager une coopération internationale plus étroite pour aller vers l’acceptation d’une inflation plus forte. Jean-Bernard Mateu cite pour terminer l’économiste Kenneth Rogoff, de l’Université de Harvard, selon lequel « le seul moyen pratique d’écourter la douloureuse période de désendettement et de croissance ralentie à venir consisterait en un recours modéré à l’inflation, disons de 4 à 6%, pendant plusieurs années ».

Les legs de l’Histoire

Dans son article, Jean-Jacques Pluchat évoque la formule de Paul Krugman selon lequel « en Europe, l’inflation n’est pas le problème mais la solution » : une inflation modérée et une rupture avec la doctrine monétaire de la BCE permettraient de réduire l’écart de production qui persiste et maitient la zone euro dans une zone de basse pression. Jean-Jacques Pluchat évoque la mémoire collective des Allemands et le drame de l’hyperinflation des années 1920 qui a largement inspiré le statut de la Banque centrale européenne actuelle, mais également les règles budgétaires, puisque l’assainissement des finances publiques est conçu comme un moyen de favoriser la stabilité des prix.

L’Europe reste donc fondée sur le « mythe de l’inflation zéro » et le paradigme monétariste en économie, à l’instar de la France qui a entamé à partir de 1983 une stratégie de désinflation compétitive » et de taux de change fort et stable (stratégie dite du « franc fort »). L’intégration européenne et la constitution du marché unique, ainsi que les forces de la mondialisation économique ont favorisé les pressions déflationnistes en intensifiant la concurrence sur les marchés. Pourtant il est difficile de déterminer une théorie unifiée de l’inflation et de la déflation, car « l’inflation est à l’économie ce que la température est au climat », elle demeure très difficile à modéliser et suscite encore aujourd’hui de nombreux débats (approche monétariste, approche keynésienne, approche par les anticipations rationnelles, approche sociologique de l’inflation…)

Les forces déflationnistes

Pierre Sabatier analyse ensuite les rouages de « l’inflation structurelle », soit le potentiel d’inflation intrinsèque de nos économies, et non l’inflation conjoncturelle résultant de la manière dont les autorités monétaires et politiques la gèrent. Il fait notamment remarquer que le potentiel d’inflation dépend largement du profil démographique des nations et du cycle de vie lié à l’arbitrage consommation/épargne. Le vieillissement programmé des pays riches va immanquablement affaiblir le potentiel d’inflation, en réduisant le nombre de consommateurs qui disposent de revenus suffisamment importants (les « super-consommateurs »). Dans les années 1970 l’inflation salariale soutenait la demande, tandis que c’est l’endettement chronique qui jouait ce rôle à partir des années 1990…or les années qui viennent pourraient installer durablement une déflation structurelle (les pressions déflationnistes vont l’emporter sur les pressions inflationnistes) dans le cadre d’une certaine patrimonialisation des ménages, au Japon (toujours), mais aussi en Europe et aux Etats-Unis (dans une moindre mesure). Un problème encore aggravé par le besoin de désendettement des principaux acteurs économiques.

Ainsi Isabelle Job-Bazille évoque le spectre d’une « déflation à la japonaise » dans la zone euro, en raison du mécanisme de la « déflation de bilan », lorsque la restriction du crédit bancaire (en raison de la remontée du risque de crédit) aggrave les pressions déflationnistes au moment où les ménages, les entreprises et les Etats essaient simultanément de se désendetter (une logique cumulative de « déflation rampante). Elle rappelle que les épisodes déflationnistes peuvent être vertueux si ils ont pour origine un choc d’offre positif, soit un choc technologique lié à la diffusion d’innovations qui élève la productivité et permet de stimuler la croissance du PIB (comme durant les années 1920 aux Etats-Unis).

Mais la déflation devient redoutable lorsqu’elle est liée à la transmission du choc entre la sphère monétaire et la sphère réelle, avec une phase de chute des prix des actifs qui entretient la chute de la consommation et de l’investissement, etc. Face à la crise des subprimes en 2007 qui portait en germe le risque d’un tel processus, et éclairés par le souvenir de la crise des années 1930 marquée par la spirale de la déflation, les Banques centrales et les Gouvernements ont agi vigoureusement par des plans de relance budgétaire et monétaire. Puis les pays d’Europe, confrontés à la crise des dettes souveraines, ont amorcé une triple stratégie d’austérité budgétaire, de compression des coûts salariaux, et des réformes structurelles du marché du travail : ces mesures ont pu plonger les économies européennes dans une « trappe à austérité », avec des interactions négatives cumulatives entre rigueur et croissance.

Le cumul de ces plans de rigueur a entraîné une baisse drastique de la demande domestique et régionale (« une logique d’attrition ») : c’est la raison pour laquelle la zone euro pourrait alors entrer dans une période de stagnation-déflation telle que l’a connue l’économie japonaise. Il s’agit alors de rappeler que la politique monétaire n’est pas omnipotente, et la politique budgétaire doit avoir pour objectif de rapprocher la demande globale de l’offre productive disponible, et éviter ainsi la contraction des débouchés.

Mickaël Mangot analyse la perception des prix par les populations à travers les données traditionnelles de l’illusion monétaire évoquée par Milton Friedman par exemple, mais aussi au prisme des acquis de l’économie expérimentale et comportementale. Le passage à l’euro a permis de montrer que l’illusion monétaire peut fonctionner (une « euro-illusion »). Les écarts entre l’inflation perçue et l’inflation réelle peuvent alors expliquer des phénomènes essentiels sur le marché de l’emploi (à travers l’arbitrage inflation/chômage de la courbe de Phillips et les débats adjacents), et sur les marchés financiers (et les travaux sur la fixation du prix des titres). Les effets de la psychologie individuelle, de l’influence des médias, et de l’environnement économique peuvent alors se cumuler pour perturber les anticipations d’inflation des agents économiques.

Comment se forment les prix ?

Dans sa contribution, Philippe Jurgensen évoque le contexte durable de rareté des ressources naturelles, qui va inévitablement conduire à une hausse des prix dans les années qui viennent, en particulier pour ce qui concerne les hydrocarbures, en dépit des forces déflationnistes qui existent avec la concurrence mondiale et l’entrée sur le marché du travail international de la main-d’œuvre très nombreuse et à bas salaires des pays émergents. Toutefois le moment du peak oil, soit l’année où la production pétrolière atteindra son maximum pour ensuite décliner inexorablement, recule sans cesse du fait de la découverte de nouveaux gisements à exploiter, même si son avènement est inéluctable.

De plus les nouveaux gisements découverts le sont à des coûts écologiques et financiers fortement croissants, ce qui exercera des pressions à la hausse sur les prix, d’autant que la demande des pays émergents va continuer de croître. Le développement des énergies nouvelles (éolien, géothermie, solaire) va également peser à court/moyen sur les coûts de production et nécessitera des investissements onéreux, et ce n’est qu’à plus long terme qu’il autorisera une baisse des prix et permettra de « désamorcer la bombe des prix des hydrocarbures ».

Jean-Luc Buchalet examine quant à lui la dynamique des prix alimentaires puisque depuis 50 ans, un fait majeur a bien été la baisse en termes réels des prix agricoles qui a permis de diminuer la part des dépenses d’alimentation dans le budget des ménages. La consommation alimentaire ne représente que 14% du budget des ménages aux Etats-Unis et en Allemagne (20% en France), tandis que cette part représente toujours autour de 50% en Inde et 40% en Chine, pays nettement plus vulnérables à une hausse des prix agricoles et à leur volatilité.

La croissance démographique va également peser fortement sur la demande potentielle de denrées alimentaires et les pays émergents ainsi que l’Afrique devront fortement augmenter leur production et leurs surfaces cultivables pour faire face à ce défi. Mais en extrapolant les tendances de ces dernières années, le potentiel de terres théoriquement cultivables et de progression des rendements pourrait ainsi être fortement amoindri par de nombreux facteurs : des terres en compétition avec les villes, un fort potentiel de terres concentré dans les régions instables, une gestion inadaptée de l’appareil de production agricole, une disponibilité en terres partagée avec les biocarburants ; une variabilité du prix du pétrole rendant la rentabilité des exploitations agricoles aléatoires et les investissements plus difficiles à réaliser, et les dérèglements climatiques provoquant de plus en plus de ruptures dans la production agricole.

La pression à la hausse sur les prix des matières premières et des ressources agricoles pourrait alors entraîner un choc d’offre en élevant les coûts de production des entreprises (baisse de la profitabilité) et un choc de demande en pesant sur le pouvoir d’achat des ménages, avec à la clé un régime de croissance du PIB durablement déprimé, soit un nouvel épisode de ce que les économistes appellent la « stagflation ».

François Meunier évoque dans son article le danger de l’urbanisation galopante dans les pays émergents qui va restreindre les surfaces cultivables disponibles (« les villes dévoreuses d’espaces fertiles »), et aggraver la tendance haussière des prix des denrées de base (blé, sucre, coton, café, etc.) déjà portée par la croissance démographique. Ainsi l’urbanisation chinoise est aujourd’hui du même type, puisqu’elle réduit les zones arables côtières ou fluviales, et il en va d’ailleurs de même pour les villes comme Sao Paulo, Tokyo ou Mexico (chacune d’elle dépassant les 20 millions d’habitants aujourd’hui).

La tentation de l’inflation

Jean-Marc Daniel développe dans sa contribution une analyse historique de la tentation de l’inflation comme remède pour diminuer la dette publique (au nom de la vieille doctrine de « l’euthanasie des rentiers » dont parlait Keynes). Ainsi, plutôt que d’assumer une banqueroute et une annulation de la dette, l’Etat décide de la monétiser, c’est-à-dire de faire créer par le système bancaire suffisamment de monnaie pour que l’accélération de l’inflation lamine les créances libellées en valeur nominale. Sauf que l’inflation et la dévaluation demeurent des impasses car elles obligent ensuite les Etats à mener des politiques monétaires restrictives qui freinent la croissance et incitent à mener des politiques budgétaires de relance qui…augmentent la dette publique.

La manipulation de la monnaie ne fait alors que perturber l’activité économique et l’allocation des ressources. Jean-Marc Daniel rappelle également la métaphore du dentifrice de Karl Otto Pöhl concernant l’inflation : l’inflation est comme le dentifrice, il est facile de la faire sortir du tube, mais très difficile de l’y remettre (« elle peut échapper au contrôle de ceux qui la déchaînent »). Et on sait d’ailleurs cela depuis les temps immémoriaux, et notamment l’expérience de l’empereur Dioclétien en 284, qui avait décidé pour apurer ses dettes de frapper davantage de pièces en bronze, déclenchant en retour une violente vague d’inflation qui le contraindra ensuite à réduire les dépenses de l’Etat romain.

Par la suite, de Philippe Le Bel aux assignats de la période révolutionnaire, en passant par l’inflation liée à l’importation de métaux précieux en Espagne à l’époque des Grandes Découvertes, l’expérience s’est toujours vérifiée : « l’inflation d’aujourd’hui est le chômage de demain ». De manière générale, il ne faut d’ailleurs pas oublier que l’inflation touche tout le monde alors que le chômage ne frappe qu’une partie de la population, et l’Histoire nous enseigne que les peuples se sont plus souvent révoltés contre la hausse des prix (qui obère le pouvoir d’achat) que contre le chômage…

Enfin, Pascal Blanqué décrypte les liens complexes entre l’inflation (sur le marché des biens et services) et l’inflation financière (celle qui touche les prix des actifs financiers). Il rappelle notamment que l’abondance monétaire, qui n’a pas manqué, ne stimule pas immédiatement l’activité, et donc que « la stabilité des prix fait rarement bon ménage avec la stabilité financière car les périodes de bulles spéculatives sont souvent intervenues dans des périodes d’inflation quasi nulle (sur le marché des biens et services) ».

La période de désinflation à partir des années 1990 a notamment conduit à penser que l’inflation avait été vaincue (un « paradoxe de la tranquillité et de la crédibilité »), alors qu’elle s’était simplement déplacée sur les marchés financiers (« un déséquilibre inscrit dans un régime macro-financier »). Les banques centrales ont alors été amenées à relâcher progressivement leur vigilance en pratiquant des politiques monétaires plus accommodantes qui ont nourri la formation de bulles de crédit. Dès lors, le tableau de bord des banques centrales, à la lumière des dernières crises (crise financière, crise des dettes souveraines), doit profondément évoluer pour intégrer la volatilité du prix des actifs et l’instabilité financière.

Quatrième de couverture

Inflation, déflation, stagflation…Dans la cacophonie actuelle du débat économique, qui voit s’échafauder sans cesse de nouveaux scénarios catastrophes, il importe de poser les éléments du débat et de revenir aux faits. Les experts du cercle Turgot analysent dans cet ouvrage les mécanismes contradictoires de formation des prix et les logiques profondes actuellement à l’œuvre. Du poids de la démographie aux évolutions des marchés de l’énergie ou des prix alimentaires, du ressenti de l’inflation par les populations aux hésitations des politiques monétaires, ils dessinent les contours d’une économie en mutation, qui semble sur le point de basculer dans un nouveau paradigme. Dans ce contexte, qui mêle les tensions inflationnistes et déflationnistes, faut-il faire de « l’inflation raisonnable » ? Comment sortir du quantitative easing sans entraîner une nouveau cycle récessif ? Peut-on vivre indéfiniment dans le surendettement ? les regards croisés des auteurs donnent des éléments de réponse, ouvrant ainsi la voie à l’invention de nouveaux outils d’analyse et de régulation.

Les auteurs

Le Cercle Turgot rassemble les meilleurs experts francophones du monde de la finance, universitaires, dirigeants d’entreprises et d’institutions réputées, dont plusieurs auteurs des derniers best-sellers économiques. De grands acteurs de la finance sont ainsi rassemblés dans cette initiative inédite coordonnée par Pierre Sabatier.

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