A qui la faute ? Comment éviter les erreurs économiques

S. Mahfouz, J. Pisani-Ferry

L'ouvrage

A l’heure où le doute assaille les citoyens sur la parole publique et la capacité des dirigeants à faire face aux défis économiques de notre temps, sur des questions comme la croissance, l’emploi, les inégalités, ou l’éducation, Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry mènent dans cet ouvrage une réflexion approfondie sur l’exercice concret de la responsabilité politique, et les enchaînements complexes de choix et de décisions qui mènent aux erreurs de politique économique. Non seulement les auteurs établissent, exemples à la clé, un diagnostic de ces défaillances de la décision publique, mais ils proposent également un vade-mecum pour une conceptualisation plus pertinente des réformes dont le pays a besoin, ainsi qu’une meilleure exécution de celles-ci. Ils retiennent trois faits saillants dans l’histoire économique contemporaine afin d’étayer leur argumentation : la chute de la banque d’affaires Lehman Brothers en septembre 2008 ; l’impact des politiques d’austérité budgétaire en Europe après la crise financière et la crise des dettes souveraines ; et les politiques de l’emploi en France face au chômage de masse.

Trois erreurs magistrales : pourquoi ?

La crise des subprimes a déclenché en 2007-2008 une très forte déflagration dans le système financier mondial et provoqué une crise de confiance qui a paralysé le secteur bancaire : en l’espace d’un week-end, les autorités américaines, après avoir pourtant piloté le sauvetage de nombreuses banques et institutions financières, ont laissé la banque Lehman Brother, l’une des plus anciennes de Wall Street, faire faillite. Les conséquences de cette décision ont alors été cataclysmiques en déclenchant la panique sur les marchés financiers et la crise boursière la plus grave que le monde ait connu depuis 1929. Comment expliquer une telle erreur ? Si les auteurs écartent l’hypothèse de l’incompétence, les décideurs de l’époque étant tous de fins connaisseurs des arcanes de la finance ou des universitaires reconnus, ils en retiennent néanmoins deux autres : celle de l’aveuglement (le sacrifice d’un bouc émissaire à l’opinion publique au nom du risque d’aléa moral et la sous-estimation du choc de la faillite sur le système financier) ; et celle de l’impuissance des acteurs dans le cadre institutionnel où ils évoluaient alors, puisque le Congrès des Etats-Unis ne s’était pas doté encore d’un arsenal juridique et financier de nature à rassurer les marchés financiers en cas de faillite bancaire.

En Europe, la multiplication des plans de relance budgétaire pour lutter contre le risque de dépression a fait naître en 2009 la crainte des gouvernements d’un gonflement incontrôlé de la dette publique. Ils ont alors mené individuellement des stratégies d’assainissement des finances publiques qui ont eu collectivement des effets désastreux sur l’activité dans la zone euro. Or là encore, les décideurs publics européens vont sous-estimer l’impact de la crise financière et surtout les fragilités intrinsèques et les déséquilibres structurels au sein de la zone euro. Mais ils vont aussi faire de vraies erreurs d’analyse (comme le mauvais calibrage des multiplicateurs dans les modèles du FMI avec une sous-estimation de l’impact de l’ajustement budgétaire), négliger la crise du secteur bancaire en Europe, opérer une réaction trop tardive en termes de politique monétaire, et surtout minorer les effets dépressifs cumulatifs sur la demande globale des différents plans de rigueur. Alors pourquoi ? Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry évoquent le rôle des croyances (trop grande confiance dans la solidité de l’architecture de la zone euro), et l’inadaptation des règles budgétaires rigides de l’Europe, utiles par temps calme, mais inopérantes en cas de crise majeure qui nécessite une certaine flexibilité des normes et une forte solidarité des Etats membres dans la difficulté.

Les piètres performances françaises en matière d’emploi depuis les années 1970 sont également du même registre. Elles dénotent selon les auteurs une défaillance de notre modèle de politique économique dans la chaîne de décisions : « s’il est devenu si difficile d’agir pour le plein-emploi, c’est que l’idée même de sa possibilité a perdu l’essentiel de sa crédibilité ». Si les politiques de l’emploi ont fait montre d’une certaine continuité dans certains domaines (comme la baisse du coût du travail du travail non qualifié), force est de constater que depuis quarante ans, l’empilement de mesures et de dispositifs a nui à la cohérence de notre arsenal de lutte contre le chômage. Pour décrypter cette forme d’impuissance, les auteurs avancent, au-delà des explications traditionnelles en discussion (comme une préférence collective pour le dualisme du marché du travail par égoïsme des insiders), l’hypothèse de l’ampleur des désaccords scientifiques sur le fonctionnement du marché du travail, que les disputes entre économistes par tribunes de presse interposées autour de la dernière Loi Travail ont révélé au grand jour. Si l’importance de ces désaccords peut être facteur d’inaction, les auteurs évoquent également la complexité de la répartition des rôles entre l’Etat, les partenaires sociaux, les collectivités, Pôle Emploi, dans la lutte contre le chômage, ainsi que la sous-estimation de la complexité du passage des mesures décidées (dans les ministères) à la pratique, et l’incapacité des gouvernants à convaincre les citoyens de l’existence de solutions crédibles.

Quel diagnostic ?

Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les auteurs évoquent les principales raisons qui expliquent les erreurs de politique économique et ses difficultés récurrentes qu’elle rencontre.

La première est l’incertitude : l’échec d’une politique économique ressemble souvent à un pari perdu face aux aléas de la vie économique qui comporte toujours une grande incertitude. Les raisons peuvent être diverses mais on peut retenir l’erreur de prévision, la mauvaise anticipation de l’impact d’une décision et la prise en compte défaillante du risque. Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry rappellent que la politique économique reste bien souvent erratique : « pour bien des raisons, à la fois cognitives, techniques et politiques, le bricolage reste toutefois la règle en la matière ».

La seconde piste d’explication est la discordance des temps économiques et politiques : le risque des décisions de politique économique est toujours d’agir à contretemps, et ne correspond guère à la temporalité des cycles électoraux. Nombre de réformes ne produisent des effets tangibles qu’au bout de quelques années, ce qui freine la volonté des dirigeants de risquer du capital politique, et la difficulté est aussi d’articuler politiques structurelles et politiques macroéconomiques. Le coût politique à payer par les gouvernants peut être très élevé dans le court terme alors que les gains des politiques économiques peuvent sembler lointain. Tout l’enjeu est alors d’intégrer le long terme et notamment le bien-être des générations futures dans les décisions présentes, à l’heure où les marchés financiers surveillent et évaluent la crédibilité des politiques économiques (« la dictature de l’immédiat nous coûte cher »). Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry évoquent alors les lacunes du raisonnement partiel, des réformes trop sectorielles, sans oublier les complexités de mise en œuvre concrète des réformes, si on accepte de ne plus considérer l’Etat comme une machine sans friction, alors qu’existe inévitablement des enchevêtrements de responsabilités et des jeux d’acteurs dans les ministères, les collectivités locales, etc.

Les auteurs mettent en avant le rôle des discordes et des disputes dans la société sur la question des réformes à mettre en œuvre, en raison notamment des confrontations d’intérêts entre les groupes sociaux (les réformes conduisent à des conflits de répartition avec des gains et des pertes), mais aussi à cause des désaccords profonds sur le plan politique et même entre les experts. Ainsi, Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry estiment que « ce qui est grave dans les dans les oppositions autour du chômage n’est pas que les économistes s’étripent sur la valeur de tel ou tel paramètre ou la pertinence de tel ou tel mécanisme. C’est que deux camps se soient formés au sein de la société française, qui ne voient pas du tout le marché du travail de la même manière. Quand les hypothèses de recherche se transforment en étendards autour desquels s’agrègent des camps irréconciliables, quand chacun n’écoute plus que ceux qui pensent comme lui, la vérité a peu de chances de se frayer un chemin ». Si les désaccords sont essentiels à la vie démocratique, puisque les identités collectives se construisent en s’opposant, la responsabilité des politiques est inévitablement d’arbitrer les différends. Il y a donc un enjeu fort sur la gouvernance des controverses pour améliorer la qualité et l’effectivité des politiques publiques.

Quelles réponses ?

Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry tracent alors quelques perspectives de solutions à mettre en œuvre pour renforcer l’efficacité de la politique économique : ils plaident d’ailleurs pour une politique incrémentale (adaptée de la démarche kaïzen japonaise) plutôt que pour un changement radical. La délibération collective suppose le débat mais « ce que l’on attend en revanche de ceux qui aspirent à diriger le pays, c’est qu’ils définissent les problèmes, qu’ils hiérarchisent les questions, qu’ils énoncent les réponses qu’ils se proposent d’y apporter et qu’ils fixent les directions qu’ils entendent donner au pays ». Les auteurs plaident ainsi pour un renforcement de la culture de l’évaluation des politiques économiques (en leur appliquant la méthode des stress test similaire à ceux utilisés dans le secteur bancaire), en créant une contre-expertise indépendante sur les projets et les réformes, en changeant éventuellement de cap si les circonstances l’exigent, et en développant l’expérimentation en matière de dispositifs avant leur généralisation. Alors que la France se prépare à une prochaine élection présidentielle en 2017, les auteurs évoquent alors la méthode pour le quinquennat à venir avec l’idée qu’il importe de faire des choix de réformes clairs et ambitieux, mais limitées à quelques sujets, et de le faire en profondeur. Selon eux, il faut au sein de nos démocraties des pouvoirs bornés dans leur champ et limités dans leur étendue, mais capables de poursuivre un objectif, et il faut juger les dirigeants sur leur capacité à l’atteindre. Pourtant, Selma Mahfouz et Jean Pisani-Ferry terminent leur argumentation en rappelant que la décision de politique économique ne se fait pas en apesanteur sociale (l’erreur de décision est toujours une œuvre collective), mais dans le cadre d’un écosystème social qui doit favoriser la culture du débat (plutôt que l’invective), et la responsabilité grâce à une information de qualité (« afin d’élargir le consensus sur les faits et d’avancer dans la compréhension des désaccords »). On voit pourtant que, pour l’heure, la France ne brille pas par sa démocratie délibérative, dans un pays où l’Etat est souvent l’organisateur du débat. Il est alors urgent selon eux de développer à l’avenir une véritable éducation à l’argumentation, des institutions du débat rationnel et des infrastructures de la controverse. De plus, la réforme de notre processus de décision de politique économique, si elle est essentielle au niveau national pour donner plus de crédibilité aux dirigeants élus, ne pourra se passer d’une révision des institutions décisionnelles au niveau de l’Europe.

Quatrième de couverture

Le 15 septembre 2008, les dirigeants américains laissent la banque d'affaires Lehman Brothers faire faillite et déclenchent une panique financière. Pourquoi cette méprise ?

Début 2011, la zone euro fait le choix de l'austérité budgétaire. La fragile reprise européenne est cassée net. Pourquoi cet égarement ?

Depuis plus de trente ans, la France ne parvient pas à réduire son chômage alors que bien d'autres l'ont fait. Pourquoi cette impuissance ?

Économiquement et socialement, ces erreurs ont été extrêmement coûteuses. Elles sont pour beaucoup dans le discrédit dont souffrent aujourd'hui les gouvernants.

En politique économique, il y a bien des manières de faire fausse route. À qui la faute ? démonte les mécanismes de l'erreur. Il montre comment des dirigeants bien intentionnés peuvent prendre des décisions catastrophiques. Il met au jour les logiques qui les conduisent à la défaillance ou à l'échec. Et il formule des propositions pour des décisions mieux conçues et mieux exécutées.

Les auteurs

Selma Mahfouz a exercé des responsabilités au ministère des finances, au ministère des Affaires Sociales et à France Stratégie. Elle est directrice de l'animation de la recherche, des études et des statistiques au ministère du Travail.

Jean Pisani-Ferry est commissaire général de France Stratégie et professeur à la Hertie School of Governance de Berlin. Après avoir exercé à Bercy et au Conseil d'analyse économique, il a dirigé jusqu'en 2013 le think tank européen Bruegel.

 

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