Pouvons-nous éviter une autre crise financière ?

Steve Keen

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L'ouvrage

Dans la préface de l’ouvrage de Steve Keen, l’économiste Gaël Giraud exprime son pessimisme quant à l’éventualité d’une nouvelle grande crise financière comme le monde a connu en 2007-2008. En citant le sauvetage récent de la banque toscane Monte Dei Paschi di Siena, la plus vieille banque du monde, il estime que les failles de l’union bancaire de l’Europe restent grandes, et que les « fondamentaux » d’une nouvelle forte déflagration financière aux Etats-Unis sont en place. La raison en est l’accumulation de bulles de crédit en tout genre avec des risques très élevés (prêts étudiants, prêts sur cartes de crédit, prêts automobiles douteux), conjugués au mécanisme de la titrisation qui reste massivement utilisé par les institutions financières. Dans ces conditions, Gaël Giraud souligne l’intérêt de l’ouvrage de Steve Keen qui insiste sur le rôle de la dette privée dans les dynamiques macroéconomiques et le déclenchement des crises. Si « rêver d’une économie capitaliste qui fonctionnerait sans dette revient à croire qu’il est possible de faire décoller un avion sans kérozène », l’excès de dettes privées créatrices de bulles spéculatives peut exercer des effets extrêmement nocifs sur nos économies. Il défend également dans cette préface l’idée que si l’on veut véritablement comprendre les rouages de nos économies financiarisées, il faut accepter de sortir du tableau de bord de l’économie mainstream et du paradigme néoclassique de l’équilibre. Enfin Gaël Giraud souligne le fait que cet excès d’endettement privé se déploie dans un contexte d’accentuation préoccupant des inégalités de revenu et de patrimoine, avec à la clé la stagnation du revenu des catégories populaires et des classes moyennes qui pousse à soutenir la demande globale par un endettement additionnel de plus en plus risqué.

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La crise de la macroéconomie

Steve Keen débute son ouvrage en citant l’optimisme affiché par Robert Lucas, l’un des chefs de file de la Nouvelle école classique, avant la dernière crise financière et la « Grande Récession » qui l’a suivie, lors d’une conférence de 2003. Un optimisme sur les progrès de la macroéconomie qui a été ensuite douché et qui justifie, selon Steve Keen, que l’on redécouvre les travaux d’auteurs comme Hyman Minsky sur l’instabilité chronique des économies capitalistes. En particulier, l’auteur dresse un constat d’échec de l’ambition de fonder la théorie macroéconomique sur les postulats de la microéconomie (à l’instar des travaux de Lucas), laquelle suppose l’hypothèse d’inefficacité de la politique conjoncturelle et celle des anticipations rationnelles formulées par les agents économiques. C’est ainsi que les modèles macroéconomiques de référence, comme les « modèles d’équilibre général dynamique-stochastique » (DGSE), postulaient que les marchés fonctionnaient parfaitement et que le chômage ne pouvait être que volontaire. Mais tandis que certains « puristes » (freshwater economists) continuaient de défendre ces hypothèses restrictives, un autre groupe d’économistes « pragmatiques » (saltwater economists) intégrait quant à lui des imperfections de marché dans une perspective néo-keynésienne. Et c’est ainsi que les modèles DGSE néo-keynésiens se sont progressivement imposés au fil du temps comme guide de la politique macroéconomique dans les institutions internationales et les gouvernements nationaux.

Or, Steve Keen déplore que « de manière remarquable, aucun de ces modèles, en règle générale, ne faisait intervenir un gouvernement capable d’agir sur le niveau de l’emploi par sa politique fiscale, pas plus qu’un secteur financier, ni d’ailleurs la monnaie elle-même ». Avec l’idée qu’en économie, on pouvait faire fi de ces facteurs, et qu’en s’appuyant sur ces modèles, « l’économie connaîtrait alors un nirvana fait de plein-emploi et de faible inflation ». Si durant la période de « grande modération » du début des années 2000, une certaine autosatisfaction a saisi les macro-économistes selon Steve Keen, la crise financière a créé le doute et réintroduit l’hypothèse d’une instabilité financière consubstantielle au capitalisme financier (« il nous fallait un modèle économique qui sache générer une dépression »).

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L’auteur insiste sur les intuitions d’Hyman Minsky à propos de la tendance naturelle du capitalisme aux cycles et aux crises, en particulier car l’innovation et la croissance créent un environnement d’incertitude généralisée, comme Keynes l’avait précisé en son temps. Par ailleurs, la dette (et particulièrement la dette privée) est un autre rouage du capitalisme, puisqu’elle finance la part de l’investissement désiré qui n’est pas couverte par les bénéfices non distribués. A long terme, la succession d’un certain nombre de cycles peut alors produire une disposition à l’accumulation excessive de dette privée. C’est d’ailleurs durant la phase d’expansion de ce cycle du crédit que le ratio d’endettement s’élève en vertu du « paradoxe de la tranquillité » qu’évoquait Hyman Minsky : les déséquilibres naissent durant la phase de stabilité et débouchent sur des processus déstabilisants. Steve Keen soutient ainsi, après que certains économistes de premier plan aient reconnu les limites des modèles DGSE, comme Paul Romer ou Olivier Blanchard, que « la macroéconomie ne peut pas être dérivée directement de la microéconomie ». Il note que l’on ne peut pas, comme le suppose les modèles néoclassiques, comprendre les phénomènes macroéconomiques par un simple agrandissement à l’échelle des comportement individuels, car interviennent des mécanismes mimétiques autoréférentiels et des effets de redistribution des revenus qui viennent heurter la « loi » de la demande présente dans les manuels d’économie traditionnelle. Pour l’auteur il faut accepter cette complexité que les modèles orthodoxes ont éludée, occupés à postuler que l’économie est un modèle stable qui retourne invariablement à l’équilibre après une perturbation.

Pour Steve Keen, les macro-économistes ont besoin désormais de modèles qui permettent de « 1) Générer des cycles endogènes ; 2) Reproduire la tendance aux crises que Minsky jugeait endémique au capitalisme ; 3) D’expliquer l’accroissement des inégalités au cours des cinquante dernières années ; 4) De montrer que la crise sera précédée par une « Grande Modération » de l’emploi et de l’inflation, comme elle l’a effectivement été ».

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Le rôle fondamental de la dette privée

Steve Keen soutient la thèse que pour comprendre les rouages de nos économies capitalistes et prévenir les crises, il faut intégrer le rôle des inégalités de revenu, dont le creusement, en phase de relative stabilité macroéconomique, génère une accumulation de dette privée qui pèse de plus en plus lourd au fil des cycles. Il estime avoir ainsi détecté bien avant 2007 une accumulation gigantesque de dettes privées que les modèles macroéconomiques de référence, en raison de leur architecture même, ne pouvaient pas percevoir. Et dans cette nouvelle conception de l’économie, la crise éclate au moment précis où le taux de croissance de la dette privée commence à ralentir pour ne plus remonter, brisant l’équilibre sur lequel était fondée la convention macroéconomique précédente : la croissance dopée par le crédit s’effondre alors, car « les fluctuations de la dette étaient indubitablement le principal facteur de variation du chômage ».

Pour Steve Keen, en effet, « le crédit a été pris la main dans le sac » : comme dans un polar, si l’on doit chercher le coupable de la crise, il faut pointer du doigt la monnaie et le crédit, suspects qui n’avaient pourtant pas été interrogés par les modèles macroéconomiques orthodoxes, car considérés comme des épiphénomènes. Or dans une économie moderne, puisque le crédit finance aujourd’hui majoritairement des achats d’actifs (qui ne sont pas comptabilisés dans le PIB), on peut considérer que les dépenses totales d’une économie correspondent approximativement à la somme du PIB et du crédit. Et c’est bien la raison pour laquelle le niveau de la dette privée et son rythme de variation comptent tant. Ainsi l’impact qu’aura un ralentissement de la croissance de la dette dépend à la fois de son niveau et de son rythme de variation. Pour Steve Keen, « le crédit s’est comporté comme un « zombificateur » en série, initiant des booms formidables, mais intenables, qui ont transformé des économies autrefois florissantes en « morts-vivants de la dette ».

Steve Keen soutient que grâce aux indicateurs comme le ratio dette/PIB et le crédit moyen sur les cinq dernières années, on peut aujourd’hui identifier les pays susceptibles de connaître une future crise de la dette, parmi lesquels la Chine, l’Irlande et Hong Kong. Par exemple, la Chine représente à elle seule 16% du PIB mondial et 22% de la dette privée de la planète : si une crise éclate dans ce pays, elle aura donc un impact énorme à l’échelle internationale. Et alors qu’il était à 120% du PIB en 2008, le ratio de la dette privée chinoise est passé à 210%. Or, pour Steve Keen, « cette bulle est condamnée à éclater : un tel rythme de croissance de la dette, en partant d’un tel niveau, est tout simplement insoutenable, même dans une économie planifiée, comme l’est encore largement l’économie chinoise ». Mais toutes les nations « accrocs au crédit » (il cite notamment le Canada et l’Australie qui affichent également des rations très inquiétants) risquent de connaître une telle dynamique, totalement intenable à long terme, et pourraient venir, dès avant 2020, se « fracasser contre le mur du crédit ».

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Or selon Steve Keen, face à ces périls, nous sommes pour l’heure démunis car, non seulement nous avons libéralisé nos économies et renoncé à un certain nombre d’amortisseurs de la violence des chocs financiers, mais nous ne disposons pas non plus de modèles macroéconomiques complets capables de penser le capitalisme financier et son instabilité intrinsèque (« « le crédit ne compte pas pour du beurre, et le monde réel est constamment en déséquilibre »). Nos économies sont confrontées aujourd’hui à un redoutable dilemme : il faut réduire notre endettement privé excessif, mais surtout pas à un rythme trop rapide pour éviter un effondrement de la demande globale qui casserait l’activité économique. Pour faire face à ce dilemme, et comme il paraît déraisonnable de se fier aux forces autorégulatrices du marché selon Steve Keen, il serait opportun d’opérer un effacement partiel de cette dette selon lui (un « Jubilé de la dette » en créditant directement les comptes bancaires privés et en exigeant une réduction prioritaire de l’endettement), ou d’augmenter la masse monétaire afin d’alléger le fardeau de cette dette. Mais au delà, il propose que les gouvernements en charge de la conduite de la politique économique modifient profondément leur tableau de bord, pour limiter les effets délétères de la dette à effet de levier, et accordent une importance au ratio dette privée/PIB équivalente à d’autres indicateurs comme le taux de chômage ou la croissance du PIB ; et qu’ils se focalisent sur la diminution de ce ratio dette privée/PIB lorsqu’il devient trop élevé, en assumant directement le pilotage de la création monétaire.     

Quatrième de couverture

Dans ce livre explosif, Steve Keen, l'auteur du succès de librairie L’imposture économique (près de 20.000 ex) et l'un des rares économistes ayant anticipé le dernier crash financier, montre pourquoi les experts auto-déclarés, enfermés dans leurs ornières idéologiques, n'avaient rien vu venir. Il explique surtout en quoi les niveaux de dette publique toujours plus élevés rendent une autre crise financière presque inévitable... À moins que les hommes et femmes politiques ne s'attaquent aux dynamiques réelles qui sont à la base de l'instabilité financière.

Biographie de l'auteur

Steve Keen est un économiste critique de l'économie néo-classique. Il est l'une des figures de proue du mouvement du New Economic Thinking ("une nouvelle manière de penser l'économie"). II est l'auteur du best-seller L'imposture économique (Editions de l'Atelier).

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