L'arrogance de la finance

Henri Bourguinat et Eric Briys

L'ouvrage

L'actuelle crise financière ne repose sur aucune énigme, que ce soit dans son déclenchement ou son déroulement ; elle est simplement due au fait que les spécialistes du crédit immobilier, les gérants de fonds, les agences de notation ou autres théoriciens de la finance ont poussé un peu trop loin la logique du risque en pensant pouvoir le valoriser et le fractionner à l’infini, parce-qu’ils étaient à la recherche de gains substantiels et rapidement acquis. S’il y a bien un enseignement à tirer de cette crise, c’est la nécessaire réhabilitation du rôle des Etats qui, au-delà de mesures de relance conjoncturelle des économies, doivent surtout redonner confiance aux marchés en constituant des garde-fous pour brider leur avidité naturelle.

Le rôle de la finance dans l’économie

En ce début d'année 2009, nous sommes loin d’en avoir fini avec la crise financière. Certes, les dégâts qu'elle a causés sont considérables : effondrement du marché immobilier, crise bancaire qui a entraîné le rachat des fleurons bancaires de Wall Street (Bear Stearns, Merril Lynch) ou leur liquidation (Lehman Brothers).

Mais le plus redoutable reste à venir et concerne l’économie de l’après crise financière. L’hypothèse de la déflation par la dette ( debt deflation ), déjà théorisée par l’américain Irving Fisher en 1933, n’est nullement à exclure. Elle correspond à un possible effondrement de l’économie réelle induit par le tarissement du crédit. Dans ce contexte, la baisse des prix, liée à l’incapacité des banques centrales d’aller beaucoup plus loin dans la baisse de taux d’intérêt nominaux déjà bas, élève les taux d’intérêts réels, ce qui se solde par une augmentation de la valeur réelle des dettes qui ralentit encore plus l’économie. Pour se sortir de ce cercle vicieux déflationniste, le retour à un cycle d’inflation pourrait s’avérer providentiel. Ceci étant, si l’inflation allège la dette des ménages et permet aux Etats de financer plus facilement leurs déficits publics, elle a aussi des contreparties lourdes sur l’épargne et les atteintes à la compétitivité.

La crise financière s'est propagée l’économie réelle mais cela ne suffit pas à jeter le discrédit sur la finance en général. Comme le note l’hebdomadaire britannique The Economist en avril 2008, « la finance est un cerveau qui facilite la rencontre entre le capital et le travail, qui permet aux épargnants et aux emprunteurs de retarder ou d’avancer leur consommation et, de manière plus générale, aux individus de partager et d’échanger les risques : plus ce système est astucieux, plus il remplit ces tâches avec succès ». Et il est vrai que, depuis la fin des années 1970, la finance moderne a obtenu des résultats très importants ; elle a su en effet aider à faire face aux défis successifs de la période, à savoir les deux chocs pétroliers des années 1970 et 1980, en organisant le recyclage des surplus des pays producteurs puis, un peu plus tard, en finançant la révolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Simultanément, elle a contribué à élargir les bases du financement de l’économie par la « titrisation » et ses innovations successives.

La  « titrisation », ou  securitization en anglais, consiste à transformer la dette en titres et donc, pour  les banques, à agir comme intermédiaires pour placer ces derniers. Au lieu de porter elles-mêmes le risque de crédit, les banques s’attachent à le transférer sur une gamme élargie d’acheteurs de titres à court terme renouvelables. Cette innovation a permis de faire progresser énormément la méthode de gestion du risque. Grâce à celle-ci, la finance s’est révélée capable d’écrêter « les pics et les creux » des variations de revenus, et a permis d’assurer l’indispensable accumulation du capital en finançant l’investissement, souvent bien au-delà de l’épargne disponible.

Sur un autre plan, la finance a contribué, dès les années 1970, à assurer la gestion  du double risque causé par les transformations de l’économie internationale : celui des taux de change flottants et celui de taux d’intérêt devenus très volatiles. Il est donc clair que la finance donne une impulsion vigoureuse au capitalisme contemporain et que l’on peut même considérer, et cela quelle que soit l’époque de référence, qu’il n’y a pas de progrès économique sans finance dynamique et saine.

Pourquoi la crise financière ?

La crise financière provient d’abord du fait que, 20 ans après les premières initiatives, la titrisation a conduit à repousser le risque de plus en plus loin et à le disséminer sur un nombre croissant d’agents acceptant de le prendre. Cette titrisation de la deuxième génération fractionne de plus en plus le risque découlant des ouvertures de crédit et, tout particulièrement dans l’immobilier, en sollicitant pour le porteur des entités de plus en plus diverses et éloignées du prêteur originel. On aboutit de la sorte à une chaîne d’opérations toujours plus longues et plus compliquées qui finissent par se révéler hors de tout contrôle. Si le subprime   est la cause principale de la crise financière de 2007/08, il s’est produit autre chose de beaucoup plus fondamentale au niveau des couches profondes de la finance et, pour le comprendre, il faut considérer la finance à l’image du vivant.

C’est l’enchaînement même des éléments du matériel génétique de la finance  (son génome)  qui a été touché par la crise de  2007/08. Comme pour les mécanismes de l’hérédité, ce sont les circuits permettant la transmission de l’information qui ont été sévèrement perturbés, et c’est donc en réalité d’une crise génétique qu’il s’agit.

Selon Henri Bourguinat et Eric Briys, un autre élément déclencheur de la crise financière, en dehors de la gourmandise dévorante pour les gains substantiels et rapidement acquis, est le rôle qu’a pu jouer la théorie financière elle-même. En s’appuyant sur un corpus théorique assez impressionnant, à savoir la théorie des marchés efficients qui postule que les prix des actifs financiers digèrent instantanément l’information pertinente et disponible, la théorie des choix de portefeuille d’Henry Markowitz, qui encourage les investisseurs à diversifier les placements (« ne pas mettre tous les œufs dans le même panier ») et les modèles d’évaluation à l’équilibre baptisés CAPM ( capital asset pricing model ), la finance moderne a pu faire croire que le risque était circonscrit, mesuré et, qu’en conséquence, tout actif financier était valorisable dès lors que l’on prenait les précautions nécessaires.

Finalement, en matière de finance comme en matière d’économie générale, on aboutit à la conclusion qu’il n’y a pas de réussite facile et que celle-ci est toujours le fruit d’un travail patient et opiniâtre. Comme le dit le professeur  John Hull ( Financial Times , 16 juin 2008), ce dont nous avons besoin, c’est  « de davantage de sens commun pour la gestion du risque, et nous ne devons pas laisser aux quants (personnes employées dans les banques en raison de leurs compétences en mathématiques, physique et informatique, pour développer des modèles quantitatifs d’évaluation des risques) et aux traders la bride trop large pour des profits à court terme ».

Les auteurs 

  • Henri Bourguinat , professeur émérite de sciences économiques à l'université Montesquieu-Bordeaux, est l'auteur de nombreux ouvrages dont, chez Dalloz, Les Intégrismes économiques. Essai sur la nouvelle donne planétaire (2006) et Finance internationale (collectif, 2007). Depuis 2004, il n'a cessé d'alerter sur les risques de rupture du système financier.
  • Eric Briys , professeur associé au CEREGMIA de l'université des Antilles et de la Guyane, a été professeur de finance à HEC pendant dix ans. Cofondateur de www.cyberlibris.com , il a passé plusieurs années chez Lehman Bothers, Merril Lynch et Deutsche Bank, où il a acquis une riche expérience des salles de marché. Il est l'auteur de huit livres consacrés à l'économie et à la finance.

Quatrième de couverture

La cause semble entendue : le krach financier d'octobre 2008 incombe aux crédits hypothécaires du marché immobilier américain, les fameux subprimes . En réalité, comme l'expliquent dans ce livre lumineux deux éminents spécialistes de la finance internationale, les racines du mal sont beaucoup plus profondes.
Mus par une sorte d'ivresse technique et une avidité pécuniaire démesure, les professionnels des marchés ont fait de la « finance pour la finance », comme on fait de l'« art pour l'art ». Encouragés par les économistes théoriciens de la finance, dont plusieurs prix Nobel, ils ont succombé à un véritable pêché d'arrogance. En apportant leur caution scientifique, aussi bien au travail des « quants » (les experts des modèles mathématiques d'ingénierie financière) qu'à celui des équipes de gestion des risques, les théoriciens ont conforté les praticiens dans le fantasme d'avoir dompté tous les risques. Or, comme le montrent les auteurs, contrairement à ses prétentions, la théorie financière est bien loin d'offrir cette garantie.


Errements des marchés, perversion du « génome théorique » de la finance et carences de la régulation ont produit une véritable dislocation du système financier. Seule une refonte profonde de celui-ci peut le guérir. Elle risque fort de se révéler longue et douloureuse pour l'« économie réelle » et ses agents, salariés et entrepreneurs.

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