Inégalités des chances : ce qui compte le plus

Note d’analyse 120, France Stratégie (avril 2023)

 

Les inégalités des chances demeurent fortes en France par rapport aux autres pays. Quelles sont alors les caractéristiques qui jouent le plus pour expliquer celles-ci ? Le rapport de France Stratégie montre que ce sont l’origine sociale et le sexe puis dans une moindre mesure l’ascendance migratoire et le territoire d’origine qui influencent le plus les écarts de revenu d’activité perçus la première année de la vie active. Cela peut s’expliquer par les différences de parcours éducatif et de situations professionnelles.

 

Mots clés : inégalités des chances, origine sociale, sexe, ascendance migratoire, territoire, parcours éducatif, situation professionnelle

L’enquête s’attelle à montrer quelles sont les caractéristiques qui influencent le plus le niveau de revenu d’activité perçu pendant la première année de la vie active sur un échantillon de trentenaires et quarantenaires avec souvent un premier enfant. Tous les individus d’une même classe d’âge sont concernés quelle que soit leur situation sur le marché du travail. L’origine sociale et le sexe sont plus déterminants sur le revenu que l’ascendance migratoire et le lieu de résidence à l’adolescence. L’écart est de 1200 euros par mois en moyenne entre le quart d’individus d’origine sociale favorisée et le quart d’individu d’origine sociale modeste. L’écart est de 620 euros entre les femmes et les hommes et tombe à 600 euros entre les personnes ayant grandi en Ile de France (région la plus riche) et dans le Nord Pas de Calais et le Languedoc-Roussillon (régions les plus pauvres). Enfin, les 7 % de descendants d’au moins un parent immigré d’Afrique présents dans l’échantillon gagnent en moyenne 400 euros par mois de moins que les 84% d’individus de l’échantillon sans ascendance migratoire. Ces écarts bruts selon l’origine sociale reflètent aussi des différences au niveau du territoire d’origine ou de l’ascendance migratoire. Par exemple, les personnes qui grandissent en Ile de France ont plus souvent des parents cadres que ceux qui ont grandi dans d’autres régions ou les descendants d’immigrés ont plus souvent des parents ouvriers et employés. Les écarts entre hommes et femmes ne sont pas concernés car les environnements familiaux et territoriaux sont comparables.

Il faut donc passer par un raisonnement toutes choses égales par ailleurs pour mieux saisir l’ampleur et les sources des inégalités des chances. A caractéristiques comparables (à sexe, région et type de territoire de résidence à l’adolescence et ascendance migratoire comparables), l’écart de revenu entre les personnes issues d’une origine favorisée et celles d’origine modeste est de 1080 euros par mois en moyenne contre 1200 euros pour l’écart brut (voir tableau ci-dessous). 90% de l’écart brut provient donc de l’effet net de l’origine sociale, ce qui est considérable en comparaison des effets nets des autres variables.

 

On peut noter que ces écarts de revenus entre catégories n’ont que peu baissé entre 2010 et 2018.

L’enquête se propose ensuite d’analyser les écarts de revenus d’activité selon l’origine sociale et le sexe à ascendance migratoire et territoire de jeunesse comparables. Les hommes d’origine sociale favorisée gagnent un revenu d’activité moyen plus de deux fois supérieur à celui des femmes d’origine modeste. Il y a une très grande hétérogénéité des revenus au sein de chaque catégorie mais il n’y a pas toujours de déterminisme social puisque certaines femmes d’origine modeste perçoivent des revenus élevés et certains hommes d’origine favorisée ont des revenus faibles. Par exemple, 11 % des femmes d’origine modeste ayant les revenus les plus élevés gagnent davantage que la moitié des hommes d’origine favorisée. Les écarts moyens de revenu entre hommes et femmes sont d’un peu plus de 25 % quelle que soit l’origine sociale (voir tableau ci-dessous). Le fait d’avoir grandi dans un environnement familial favorisé ne protège pas des disparités de revenus entre les sexes. L’écart moyen de revenu d’activité entre le quart de personnes d’origine favorisée et le quart de personnes d’origine modeste est de 37 % et est identique quel que soit le sexe.

 

Les écarts de revenus entre catégories viennent de deux facteurs : les écarts de participation au marché du travail et les écarts de revenus perçus par ceux qui travaillent. Or, cela varie selon le parcours éducatif (les individus plus éduqués ont un taux de participation au marché du travail et une productivité plus élevée en moyenne) et le parcours professionnel des individus. Pour l’origine sociale, les écarts de revenus sont essentiellement liés aux parcours éducatifs. Entre deux personnes d’origine sociale opposée, les écarts de revenus proviennent à 70 % du parcours éducatifs, à 15 % des écarts de temps de travail et de poste occupé et 15 % demeurent inexpliqués par le modèle. Les personnes d’origine favorisée gagnent plus car leur parcours éducatif leur permet une meilleure insertion dans l’emploi et de meilleurs salaires. L’effet diplôme explique près des 2/3 de l’écart total de revenu d’activité. A parcours éducatif donné, les différences observées sur le marché du travail sont beaucoup moins déterminantes que le parcours éducatif d’où l’importance de l’éducation dans la production d’inégalités de revenus. Ces conclusions restent valables quel que soit le sexe.

 

Pour le sexe, les situations professionnelles sont différentes et des écarts inexpliqués persistent (voir tableau ci-dessous). Les femmes sont plus diplômées que les hommes mais dans des filières moins favorables en termes de revenus. Ces deux effets se compensent et il y a donc peu de lien entre le parcours éducatif et les écarts de revenus constatés selon le sexe. A parcours éducatif donné, environ 45 % des écarts de revenus sont liés à des situations différentes sur le marché du travail. Les femmes sont souvent plus à temps partiel ce qui compte pour 24 % des écarts de revenus, elles sont moins en emploi (6 % de l’écart total) et occupent des postes moins bien rémunérés (13 % de l’écart total). Cependant, 68 % des écarts de revenu restent inexpliqués par le modèle, ce qu’on pourrait rattacher aux caractéristiques des entreprises où les femmes travaillent, aux comportements différenciés des employeurs notamment avec la maternité et à la discrimination. Cette dernière et l’effet de l’arrivée des enfants sur la situation des femmes augmentent les écarts de revenus entre les sexes et marginalement selon l’origine sociale. Les femmes réduisent leur activité ou vont vers des entreprises ou des carrières compatibles avec la prise en charge des enfants ce qui fait baisser leur rémunération. L’arrivée des enfants fait baisser le revenu d’activité des femmes de 20 % cinq ans après leur naissance alors qu’elle n’a pas d’impact sur celui des hommes. Cet effet « enfant » explique près de 60 % des écarts de revenu entre femmes et hommes. L’augmentation est plus mesurée entre les personnes d’origine sociale différente suite à l’arrivée des enfants. Le revenu des mères d’origine favorisée baisse moins que celui des mères modestes tandis que le revenu des pères d’origine favorisée augmente de 10 % (pas de changement pour les pères d’origine modeste) et ce, même avant la naissance, ce qui montre leur capacité d’investissement professionnel en prévision de cet évènement.

 

L’enquête propose enfin une analyse de l’impact des deux facteurs (parcours éducatif et situation professionnelle) pour expliquer les écarts de revenus selon l’ascendance migratoire et la région d’origine, même si ces écarts sont beaucoup plus faibles que ceux liés à l’origine sociale et au sexe. Entre les personnes d’origine modeste avec ou non une ascendance migratoire, l’écart est peu dû au parcours éducatif. C’est principalement le taux d’emploi moindre qui explique l’écart ainsi qu’une partie qui reste inexpliquée et que l’on peut relier à la discrimination. Parmi les personnes d’origine favorisée, l’écart entre les personnes nées en région francilienne et celles nées dans les deux régions les plus pauvres est lié au type de poste occupé et à la région de résidence à l’âge adulte mais peu au parcours éducatif.

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