Grandes écoles : quelle « ouverture » depuis le début des années 2000 ?

Note de l’IPP n°61 (janvier 2021)

 

Le profil des étudiants des grandes écoles n’a pas changé depuis le début des années 2000 en termes de composition sociale, d’origine géographique et de répartition filles / garçons. La multiplication des dispositifs d’«ouverture » sociale n’a pas permis de diversifier leur recrutement malgré une hausse importante des effectifs depuis plus de 20 ans. Elles sont restées très fermées aux élèves issus de milieux défavorisés, la part des étudiants non franciliens n’a pas progressé et les filles y sont toujours sous-représentées.

 

Mots-clés : Grandes écoles, méritocratie, inégalités d’accès, performance scolaire, dispositifs d’ouverture sociale

L’idée que les concours reflètent la méritocratie structure depuis longtemps le système éducatif français. La persistance et l’ampleur des inégalités sociales d’accès aux filières les plus sélectives interroge cependant quant à sa pertinence. Cela explique pourquoi depuis le début des années 2000, plusieurs grandes écoles ont mis en place des dispositifs d’ « ouverture » sociale afin de diversifier leur recrutement : en amont mise en place de programmes de parrainage et d’accompagnement de lycéens d’origine sociale défavorisés et de voies d’admission parallèles, et en aval mis en œuvre de dispositifs d’aide financière et de soutien en faveur des étudiants sur critères sociaux. Parmi les dispositifs les plus emblématiques, il est possible de citer la mise en place des conventions d’éducation prioritaires (CEP) en 2001 à Science Po qui ont concerné une centaine d’étudiants par an sur les 1500 de l’école ou les « Cordées de la réussite » lancées en 2008 qui ont bénéficié à 1,5 % des élèves de second degré.

L’étude porte sur 234 grandes écoles (d’ingénieur, de commerce, IEP et ENS essentiellement) qui sont des « établissements d’enseignement supérieur qui recrutent ses élèves par concours et assurent une formation de haut niveau ». Le cadre large retenu par l’étude induit une grande hétérogénéité de l’échantillon. En 2016 -2017, 74 % des étudiants des 10 % des écoles les plus sélectives ont obtenu la mention « Très bien » au baccalauréat, alors que ce n’est le cas que de 1 % des 10 % les moins sélectives (on notera que dans la moitié des écoles les moins sélectives, sur 100 étudiants, moins de 10 ont une mention « Très bien »). Environ 1 grande école sur 3 se trouve en Île de France et 1 sur 5 à Paris (1 sur 3 pour les 10 % les plus sélectives).

Ces écoles présentent une base de recrutement très étroite. En 2016-2017, 23 % des jeunes de 20 à 24 ans appartenaient aux professions et catégories socioprofessionnelles très favorisées* alors que 47 % des étudiants de niveau bac+3 à bac+5 et 64 % des étudiants de grandes écoles étaient issus cette catégorie (85 % pour ENS Ulm, HEC et Polytechnique). A l’opposé, seulement 9 % des élèves des grandes écoles appartenaient aux PCS défavorisés alors la cohorte des jeunes de 20-24ans en est composée à 36 %. De plus, 8 % des étudiants de grandes écoles ont passé leur baccalauréat à Paris et 22 % dans des lycées franciliens (hors Paris) alors qu’ils ne représentent que 3 % et 16 % de l’ensemble des bacheliers. Les chiffres s’élèvent respectivement à 26 % et 25 % pour l’ENS Ulm, HEC et Polytechnique. Peu de lycées fournissent l’essentiel des étudiants des grandes écoles : la moitié des effectifs est originaire de 17 % des lycées. Enfin, les filles représentent 42 % des effectifs des grandes écoles (33 % pour ENS, Ulm et Polytechnique ou 26 % pour les écoles d’ingénieur) alors qu’elles forment la moitié de la cohorte (49 %) et 55 % des étudiants de niveau bac+3 à bac+5.

Les résultats montrent donc que les étudiants de catégories défavorisées et les filles sont sous-représentées dans les grandes écoles et que le recrutement y est très concentré géographiquement au bénéfice des lycées de la région parisienne. Ces inégalités sont prédéterminées par des inégalités d’accès classes préparatoires et aux écoles post-bac qui sont les formations de premier cycle qui y préparent. Les premières représentent 8 % des effectifs de niveau bac+1 et bac+2 et les secondes 5 %. Les élèves de troisième appartenant à une PCS très favorisée ont près de 10 fois plus de chances de les intégrer que ceux de PCS défavorisés, les parisiens 3 fois plus de chances que les autres et les garçons 1,3 fois plus de chance que les filles.

Ces inégalités ne s’expliquent cependant que marginalement par des écarts de performances scolaires. La moitié de l’écart de taux d’accès aux grandes écoles entre PCS favorisés et PCS défavorisés est expliquée par des performances scolaires moindres des seconds en fin de troisième et par le fait que les premiers sont sur-représentés dans les départements où on accède en moyenne moins souvent, à performance scolaire identique, à une grande école. L’autre moitié de l’écart n’est pas expliquée par ces deux facteurs. De plus, alors que les différences de performance scolaire en fin de collège selon l’origine sociale expliquent près de 60 % des inégalités d’accès aux classes préparatoires, elles n’expliquent qu’environ 30 % des inégalités d’accès aux écoles post-bac. La sélectivité sociale est donc beaucoup plus grande pour les secondes que pour les premières. En ce qui concerne les inégalités géographiques d’accès aux grandes écoles, seule une partie très faible de celles-ci peut être attribuée à l’origine sociale ou aux performances scolaires. L’explication se trouve plutôt dans la forte concentration des classes préparatoires et grandes écoles en Île de France qui favorise nettement les élèves qui y habitent. En ce qui concerne les filles, leurs résultats scolaires étant en moyenne meilleurs que ceux des garçons à la fin du collège, elles devraient présenter un taux d’accès aux grandes écoles supérieur à celui de ces derniers. Il est en réalité inférieur, ce qui montre que les performances scolaires ne permettent pas d’expliquer les inégalités d’accès aux grandes écoles selon le genre.

Depuis les années 2000 et malgré les dispositifs d’ « ouverture » mis en œuvre, les inégalités décrites plus hauts sont restées stables. Ces derniers n’ont donc pas atteint leur objectif. A performances scolaires comparables, les choix d’orientation des élèves demeurent différenciés selon l’origine sociale, le genre et l’origine géographique. Pour remédier à ce problème, les auteurs rappellent que la recherche a mis en lumière depuis plusieurs années des solutions efficaces. Les politiques visant à renforcer l’estime de soi et le sentiment d’efficacité chez les filles et les catégories défavorisées permettent par exemple de « casser » les stéréotypes associés à l’origine sociale ou au genre. L’intervention en classe de modèles de réussite féminins dans les filières scientifiques incite les filles à s’y engager. Une autre piste pour réduire l’autocensure des lycéens à fort potentiel de milieux défavorisés consiste à fournir à tous une information transparente sur les perspectives professionnelles associés aux différentes formations, comme le taux d’emploi ou les rendements salariaux. Réduire le coût de la scolarité en augmentant le montant des bourses ou développer une offre de formation de proximité permettrait aussi d’élargir le recrutement des grandes écoles. Enfin, une politique de discrimination positive approfondie devrait constituer une piste de réflexion selon les auteurs. Le point le plus important semble être cependant de substituer à toutes les initiatives locales des mesures volontaristes à grande échelle fondées sur les résultats de la recherche et donnant lieu à des évaluations rigoureuses de leurs effets.

* PCS très favorisées : cadres et assimilés, chefs d’entreprise, professions intellectuelles et professions libérales

PCS favorisées : professions intermédiaires
PCS moyennes : employés, agriculteurs, artisans, commerçants

PCS défavorisées : ouvriers et personnes sans activité professionnelle

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