Certes, les générations récentes manifestent et pétitionnent plus, mais elles sont aussi marquées par une citoyenneté distante . Leurs membres ne sont pas nécessairement indifférents aux affaires de la cité, mais ils se méfient plus des responsables politiques et de la démocratie représentative, et leur rapport aux partis s’est considérablement distendu. Dans ce cadre, nous supposons que leur rapport au vote est décentré. Pour ces citoyens, au mieux le vote est un moyen parmi d’autres d’actions politiques et pas forcément le plus efficace quand il s’agit de se faire entendre. Leur rapport à cet acte est plus marqué par le vote de droit : je vote si ça m’intéresse. Dans ce cadre, on est au-delà de « l’abstention dans le jeu » qu’Anne Muxel avait repéré à partir des élections législatives de 1997. Elle la définit comme le résultat « d’une insatisfaction face à l’offre électorale proposée [...] un symptôme visible de la crise de la représentation politique, dont on peut penser que, bien qu’elle persiste depuis une bonne vingtaine d’années, elle est circonstancielle et périodique». Nous suggérons que pour les générations post-baby- boom, l’acte de vote n’a plus l’importance ou la charge normative qu’il avait pour les générations précédentes. Leur abstention n’est donc plus simplement un refus du choix qu’on leur propose à un moment donné, elle est devenue plus banale que cela. (…)
En résumé, nous formulons trois hypothèses : 1/ L’électeur ne vote pas seul et une partie des différences entre cohortes tient à des effets d’entourage. 2/ Les générations anciennes votent, même en n’étant pas intéressées par la politique, par devoir et remise de soi, tandis que les cohortes récentes votent de manière intermittente, quel que soit leur intérêt pour la chose publique, et n’accordent plus au vote la centralité qu’il a pour les cohortes anciennes. 3/ Ce changement de rapport au vote dépasse les années de jeunesse et va devenir durablement une donnée du rapport aux urnes parmi ces générations et donc ne peut s’assimiler à un effet conjoncturel.
Source : Vincent Tiberj , Le vote décentré ? Renouvellement générationnel et rapport à la participation électorale en France, Revue française de science politique, Presses de Sciences Po, 2018/5 Vol. 68
Question : Montrez en quoi l’analyse générationnelle de l’auteur remet simultanément en cause deux explications de la volatilité électorale, celle d’une recomposition de variables sociologiques lourdes (doc.5) et celle d’une montée en puissance de l’électeur stratège.