Nous, enseignants-chercheurs en sciences politiques, ne comprenons pas la décision du ministre de l’intérieur de changer les règles de comptabilisation du rapport de forces politiques lors des prochaines élections municipales [dimanche 15 mars et dimanche 22 mars]. Par voie de circulaire, Christophe Castaner a donné pour injonction aux préfets de ne plus attribuer de nuance politique aux listes dans leur ensemble et aux candidats individuellement dans les communes de moins de 9 000 habitants. Nous ne comprenons pas cette décision, car elle porte gravement atteinte à un principe fondamental de notre démocratie municipale, à savoir la connaissance pleine et entière des affiliations politiques des candidats en lice pour le scrutin de mars. En effaçant cette connaissance publique, le ministre propose de limiter la lecture des résultats électoraux à l’aune des seules communes de plus de 9 000 habitants, c’est-à-dire 3 % de l’ensemble de nos municipalités françaises. Par voie de conséquence, 97 % des communes seraient officiellement gouvernées, à partir de mars, par des maires sans affiliation partisane ou dont on ne veut rien savoir. Rapporté à la population, c’est 53 % du corps électoral qui serait privé d’une information cruciale sur l’identité politique de leurs candidats, puis de leurs élus et donc aussi sur la nature de la volonté des électeurs.
Nous observons que c’est dans les communes de plus de 9 000 habitants que la République en marche (LRM) a obtenu ses meilleurs scores lors des précédents scrutins. Lors de la présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait recueilli 24 % des suffrages dans la France entière alors que son score glissait à 22,4 % dans les communes de moins de 9 000 habitants. (…)
Passons maintenant aux explications avancées parfois par les membres de la majorité présidentielle. Les communes de moins de 9 000 habitants seraient apolitiques ? C’est méconnaître les réalités de la vie locale. Rappelons que seules 13 % des listes présentées en 2014 portaient l’étiquette « divers » pour les communes de 3 500 à 9 000 habitants contre 27 % pour celles de 1 000 à 3 500 habitants. Les autres disposaient bien d’une nuance politique. (…) Enfin, nous dit-on, l’application de nuances politiques aurait, par le passé, conduit certains candidats à ne pas se reconnaître dans l’affichage attribué par les préfectures. Cet argument peut avoir sa part de vérité. Mais la solution serait d’abord de redoubler d’efforts pour éviter ce reproche et d’utiliser, en cas de réelle impossibilité de classement, la catégorie « divers ». Et – pourquoi pas ? – de garantir l’accès public, en toute transparence, à deux informations : la nuance politique attribuée par les services préfectoraux et l’étiquette revendiquée par le candidat en cas de désaccord de sa part. (…)
La règle usuelle de codification des listes pour les municipales est de classer politiquement les listes en fonction de l’orientation politique de la tête de liste. En l’état actuel, la circulaire y déroge gravement en créant une catégorie « divers centre » dans laquelle rentrerait automatiquement « toute liste soutenue par la majorité présidentielle sans être pour autant investie par elle ». Il y aurait là un artifice électoral qui, s’il était maintenu, serait de nature à décrédibiliser les statistiques électorales que le ministère de l’intérieur a pour mission de fournir à l’issue des deux tours de scrutin. En persistant, le ministre priverait la communauté académique, et au-delà l’ensemble des citoyens, d’un outil précieux d’analyse sur un temps long des évolutions politiques locales et effacerait la mémoire de la carte électorale municipale. (…)
Source : tribune d’un collectif de politistes, Christophe Castaner doit réviser sa circulaire sur les municipales, Le Monde, 24 janvier 2020
Questions :
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Quels sont les reproches que le collectif de 44 chercheurs en sciences Politiques adresse à la circulaire Castaner du 10 décembre 2019 ?
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Quels sont les reproches que le collectif de 44 chercheurs en sciences Politiques adresse à la circulaire Castaner du 10 décembre 2019 ?
Trois reproches principaux sont adressés par ces 44 politistes à la circulaire Castaner :
- elle limite la lecture et la compréhension des résultats électoraux aux élections municipales dans les communes de moins de 9000 habitants (97% des communes, 53% du corps électoral) ;
- elle avantage la majorité présidentielle en masquant le faible ancrage des partis qui la composent dans les zones rurales (communes inférieures à 9000 habitants), donc en instrumentalisant les règles du jeu ;
- elle crée un artifice électoral, la catégorie « Divers Centre », qui a vocation à regrouper très largement des listes qui n’auraient pas été investies officiellement par les partis LREM et MODEM. De ce fait, les résultats de la majorité présidentielle paraissent amplifiés.
Expliquez la phrase soulignée.
L’artifice électoral présenté dans la réponse précédente fausse la présentation des résultats électoraux, car cette règle ne s’appliquait pas aux « nuances politiques » de droite et de gauche, seulement à celle « Divers Centre ». Or, les chercheurs en sciences politiques ont besoin de données fiables pour développer des analyses scientifiques et les citoyens pour avoir les ressources d’un « électeur stratège ».