«Figure en vue des cercles littéraires parisiens, il [G.Matzneff] a longtemps revendiqué son attirance sexuelle pour les enfants et adolescents jusque sur les plateaux de télévision.«Pourquoi n’a-t-on rien fait pendant toutes ces années?»,se demandait jeudi Vanessa Springora dans un entretien au quotidien Le Parisien.Depuis que les agissements de Gabriel Matzneff ont resurgi dans la presse à l’occasion de la sortie de ce livre témoignage, plusieurs voix ont expliqué la complaisance dont a longtemps bénéficié l’écrivain par la tolérance d’une époque où les mœurs étaient différentes. Les faits tombaient pourtant, déjà, sous le coup de la loi.Le terme «pédophilie», qui désigne l’attirance sexuelle d’un adulte pour les enfants prépubères ou en début de puberté, relève du domaine de la psychiatrie. Le mot n’apparaît pas dans le code pénal: on ne peut donc pas être jugé ni condamné pour «pédophilie».Toutefois, dès 1810,le code pénal introduit la notion d’attentat à la pudeur sur un mineur. La loi considère alors qu’en deçà d’un certain âge l’enfant n’est pas en mesure de fournir son libre consentement. Depuis 1945, ce palier était fixé à 15 ans.La réforme du code pénal de 1994 introduit une distinction entre les conditions dans lesquelles se déroulent l’acte sexuel et la prise en considération de la minorité. Il s’agit alors de mieux prendre en compte les cas commis par des majeurs sur des mineurs.L’attentat à la pudeur est remplacé par deux délits: l’«atteinte sexuelle», qui vise un acte sexuel commis par un majeur sur un mineur de 15ans (c’est-à-dire âgé de moins de 15ans), qu’il soit consenti ou que l’absence de consentement n’ait pu être établie; et l’«agression sexuelle», impliquant un contact physique dont il est établi qu’il était non consenti.Les relations sexuelles entre une personne majeure et une personne de moins de 15ans restent donc en toutes circonstances condamnées par le code pénal (article 227-25 et suivants). Lors d’un procès pour agression sexuelle ou viol, c’est à l’accusation, donc au ministère public, de présenter tous les éléments constitutifs de l’infraction, ce qui inclut de prouver que l’acte sexuel a été imposé.Une charge de la preuve parfois difficile à assumer pour les parties civiles quand les victimes sont mineures ou sous influence.«Comment admettre qu’on a été abusé quand on ne peut nier qu’on a été consentant? Quand, en l’occurrence, on a ressenti du désir pour cet adulte qui s’est empressé d’en profiter?», interroge dans son ouvrage Vanessa Springora ?[…]«Dans l’ambiance globale des années 1980, il y avait une négation que les enfants puissent être victimes de violences, y compris sexuelles», explique Jean-Pierre Rosenczveig. Une «complaisance», déplore le magistrat,«soi-disant dans l’esprit post-68».«On est au-delà du problème de consentement dans ce dossier, explique au Monde Mme Dourgnon. On a un adulte qui sait très bien ce qu’est une relation sexuelle face à une petite fille qui en ignore tout, qui a été donnée en pâture. Tout le monde savait… L’affaire Vanessa Springora est une question de société. Rappelons-nous qu’elle a été présentée à Gabriel Matzneff lors d’un dîner mondain.»D’après le récit de Mme Springora, l’écrivain était pourtant connu de la brigade de protection des mineurs et aurait même été convoqué plusieurs fois par les policiers. On ignore cependant pour quelles raisons et pourquoi aucune enquête n’avait alors été ouverte.«Sur cette absence de poursuites antérieures, il faut interroger l’inertie du parquet de Paris malgré des faits signalés plusieurs fois, estime Rodolphe Costantino, avocat de l’association Enfance et partage,interrogé par Libération. De toute évidence, la littérature, la notoriété et les multiples relations de Gabriel Matzneff ont conduit à une certaine complaisance. »Vanessa Springora a précisé dans son entretien au Parisien,jeudi, qu’elle n’envisageait pas de porter plainte. Mais le parquet de Paris a décidé de s’auto saisir de l’affaire dans le cadre d’une «enquête d’initiative» pour «viols commis sur mineur» de 15 ans.«Au-delà des faits décrits [dans le livre Le Consentement]»,les investigations «s’attacheront à identifier toutes autres victimes éventuelles ayant pu subir des infractions de même nature sur le territoire national ou à l’étranger», a précisé Rémy Heitz, le procureur de la République de Paris.Dans le cas de Mme Springora, aujourd’hui âgée de 47ans, les faits sont prescrits. Car si la loi de 2018 a allongé de vingt à trente ans le délai de prescription pour les crimes sexuels commis sur les mineurs, «les faits ont été perpétrés sous l’empire du code pénal abrogé en mars 1994, et les actes que Gabriel Matzneff a commis sont jugés en fonction des textes en vigueur à cette époque-là», souligne Laure Dourgnon.»
SOURCE:Aude Lasjaunias, «Consentement, viol, prescriptions...les questions soulevées par l 'affaire Matzneff»,Le Monde avec AFP, 3 janvier 2020
QUESTIONS :
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En repérant les termes soulignés, retrouvez les 3 arguments qui permettent de comprendre pourquoi l 'auteur de ces faits de délinquance n'a pas été sanctionné.
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Que traduit l'évolution du code pénal quant à cette forme de délinquance? montrez que les modifications du code pénal dépendent ici de la conception qu'a la société de cette déviance.
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Pourquoi existe t-il un débat autour du critère du consentement? Quelle perspective peut-on en tirer quant à la question plus générale de la définition et de la mesure de cette forme de délinquance?
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REPONSE :
1) En repérant les termes soulignés, retrouvez les 3 arguments qui permettent de comprendre pourquoi l 'auteur de ces faits de délinquance n'a pas été sanctionné.
Plusieurs aspects sont évoqués pour expliquer pourquoi l 'auteur n'a pas été poursuivi bien que l'acte délinquant soit qualifié. En premier lieu, la journaliste évoque une certaine «complaisance» de la société c'est à dire que l'acte n'est pas nécessairement perçu comme délinquant par la société. Cela est possible dans le contexte spécifique des années 80 car considéré avec tolérance, les mentalités étant différentes selon l'auteur. Deuxièmement, l'acte pour être délinquant doit être défini par le code pénal or avant 1994, celui ci est associé au fait d'attentat à la pudeur qui n'est pas un concept juridique. Enfin le délai de prescription ne permet pas aujourd'hui et malgré l'allongement à 30 ans depuis 2018 de mener une action en justice et d'autant plus que les faits antérieurs à 1994 doivent être jugés au regard de la loi à ce moment là.
2) Que traduit l'évolution du code pénal quant à cette forme de délinquance? montrez que les modifications du code pénal dépendent ici de la conception qu'a la société de cette déviance.
Lorsque la journaliste évoque ici un climat de complaisance à l 'égard de l 'agresseur il s'agit bien de souligner que l'acte n'est pas perçu comme déviant: c'est la définition interactionniste de Becker qui s'applique ici et jusqu'au fait, qu'au final, les poursuites contre l'auteur de ces faits n'ont pas été engagées. Les différentes mutations du code pénal vont accompagner les changements de mentalités: l'acte devient «intolérable» pour la société et cela se retrouve dans les textes juridiques par exemple on crée les délits d'atteinte sexuelle ou d'agression sexuelle en 1994 ou encore l 'allongement du délai de prescription à 30 ans pour les crimes commis sur mineurs. La notion de consentement illustre ce changement de perception sociale en plaçant au cœur de la réflexion juridique le fait que celui ci n'est pas nécessairement possible à donner en deçà d'un certain âge. C'est aussi sur ce critère que sont distingués les cas d'atteintes sexuelles et d'agressions ou de viols.
3) Pourquoi existe t-il un débat autour du critère du consentement? Quelle perspective peut-on en tirer quant à la question plus générale de la définition et de la mesure de cette forme de délinquance? Aujourd’hui, la loi ne définit pas le consentement en tant que tel mais son expression, qui est définie comme l’absence de :violences ou contraintes (recours à des pressions physiques ou morales, abus de sa position) ou menaces (annonces de représailles en cas de refus de la victime) ou surprise (recours à un stratagème pour surprendre la victime ou abuser de son état d’inconscience, d’alcoolémie, etc). En 2018, le gouvernement avait tenté de déterminer un âge de consentement en deçà duquel tout acte sexuel serait qualifié comme nécessairement contraint, ce qui le ferait entrer de facto dans le champ des agressions sexuelles et des viols, rendant caduque l’infraction d’atteinte sexuelle.L’exécutif a finalement renoncé à cette mesure potentiellement anticonstitutionnelle car reposant sur une présomption irréfragable (c’est-à-dire que le défendeur ne peut en apporter la preuve contraire) et donc à l’encontre de la présomption d’innocence.
Aussi on voit bien que la définition et la délimitation de ce type de délinquance sont loin d'être achevées et figées et on peut s'attendre à de nouvelles modifications juridiques;cela amène plus générallement,à une certaine prudence dans la mesure de la délinquance dont les contours sont en perpétuelle évolution.