A partir de cet arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) du 14 mars 2013, précisez les différentes étapes qui ont conduit à son jugement (dans l’arrêt, examiner « les faits » et « l’appréciation de la Cour ») : les faits, l’application de la règle de droit français, l’application de la règle de droit européenne, le verdict de la CEDH.
Remarque : cette affaire a été résumée ici par le quotidien Le Figaro le 14 mars 2013.
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a) Les faits :
Lors d’une visite au Salon de l’Agriculture de 2008, l’ancien président N.Sarkozy, en exercice, invective une personne refusant sa poignée de main par un : « Eh ben casse-toi alors, pauv' con ! ». L’identité du visiteur en question est restée inconnue.
Largement relayée par les médias et commentée, cette phrase est reprise sur une pancarte brandie par un militant du parti socialiste, Hervé Eon, à Laval lors d’une visite du même président.
b) L’application de la règle de droit français :
Interpelé par la police, ce militant sera poursuivi en justice par le ministère public (ou parquet) qui est chargé de défendre l'intérêt de la collectivité et l'application de la loi devant les juridictions judiciaires.
Il lui est reproché l’offense au chef de l’État selon l’article 26 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui concerne le délit contre la chose publique, alors en vigueur : « « toute expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire qui, à l'occasion tant de l'exercice de la première magistrature de l'État que de la vie privée du président de la République antérieure à son élection, sont de nature à l'atteindre dans son honneur ou dans sa dignité ». Ce délit est passible de 45 000 € d’amende. Le contrevenant devra en réalité verser 30 € symboliques.
Plus précisément en 2009, la cour d’appel d’Angers, saisie à la suite de la première décision, justifie à nouveau la culpabilité du militant sous deux aspects :
- La matérialité des faits : article 23 de la loi sur la liberté de la presse
La pancarte était bien visible et exposée au public.
« Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d'effet. »
- L’élément intentionnel : même si la phrase est devenue formule, il a été jugé que le prévenu a prononcé intentionnellement cette phrase afin d’offenser. Il ne peut pas se prévaloir de la « bonne foi », situation dans laquelle l’individu n’a pas conscience de la portée de ses actes.
Le prévenu n’a pas pu se pourvoir en cassation, faute de moyens financiers.
c) L’application de la règle de droit européenne :
Soutenu par Jean-Luc Mélenchon, situé à gauche de l’échiquier politique, Hervé Eon décide de saisir en 2010 la CEDH au motif de l’article 10 sur la liberté d’expression.
Les 7 juges de cette cour lui donnent raison en considérant qu’il y a bien une volonté d’offenser le président français mais dans un cadre politique et sur un registre satirique (c’est la propre phrase de la victime qui est reprise) autorisant l’exagération. La pancarte utilise en outre une formule devenue très médiatique, parfois utilisée comme slogan dans les manifestations.
En outre, un homme politique, de par sa fonction, s’expose nécessairement davantage qu’un simple citoyen et doit faire preuve d’une tolérance accrue envers la critique de ses faits et gestes.
Enfin, maintenir la condamnation peut avoir un effet dissuasif sur d’autres prises de position ultérieures, jugées saines pour le débat démocratique.
d) Le verdict : « la Cour juge que le recours à une sanction pénale par les autorités compétentes était disproportionné au but visé et n’était donc pas nécessaire dans une société démocratique ». Il y a eu violation de la liberté d’expression institué à l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme. Cette décision, émanant d’une institution juridique supranationale, s’impose à la France.
Par la suite, le délit d’offense au chef de l’État a été abrogé en France en 2013 et l’article 26 de la loi sur la liberté de la presse a été supprimé.