Du taylorisme au Lean* en passant par le fordisme, les modèles d’organisation du travail ont toujours suscité des questions. Car ils se présentent souvent comme des promesses de jours meilleurs dans les entreprises. Jours meilleurs pour la performance (gains de productivité) mais aussi pour les salariés. Et c’est là l’une des grandes ambitions du Lean Déployé à partir des années 1980 dans l’industrie, puis des années 2000 dans l’ensemble des secteurs, le Lean s’est largement propagé en se revendiquant de l’amélioration des conditions de travail.
[…] Aujourd’hui, sa mise en œuvre fait débat. D’une part, il est porteur d’opportunités qui peuvent faire levier sur les conditions de travail, comme l’importance accordée au terrain ou l’implication des salariés à travers leur participation à la résolution de problèmes. D’autre part, il implique des risques, puisque ses principes de réduction des coûts, de chasse aux temps « inutiles », d’intégration systématique des besoins des clients très en amont du processus de production (devenant ainsi des prescripteurs qui imposent des délais et un cahier des charges éloignés des réalités du travail) accélèrent le rythme de travail. L’augmentation des cas de troubles musculosquelettiques (TMS) ou de risques psychosociaux (RPS) a déjà été observée par des médecins du travail après la mise en place d’une organisation Lean.
Un lien causal entre la mise en œuvre du Lean et la dégradation de la santé des salariés n’est pourtant pas facile à établir, notamment dans des contextes où les mutations sont nombreuses. Au-delà des risques d’intensification du travail, il est important de se préoccuper des effets potentiels du Lean sur la transformation des métiers pour comprendre les problèmes concrets qu’il pose à l’activité des salariés. Car, au quotidien, il contient des paradoxes : il prétend mettre sous tension sans mettre la pression, faire appel à l’expertise des salariés mais pour mieux la standardiser, compter sur leur autonomie mais dans un cadre très formalisé. Or améliorer réellement des conditions de travail ne peut s’opérer dans le cadre d’une performance exclusivement tirée par la satisfaction du client et reposant sur un processus de travail hyper-rationalisé.
Béatrice Sarazin, « Les méthodes d’organisation du travail : le Lean en question », Travail et changement (n°351), 2013.
*Lean management : système d’organisation du travail initié dans les usines Toyota. Il s’agit de « produire au plus juste » en évitant les gaspillages (production à flux tendu ou lean production) avec pour fondement l’amélioration continue des méthodes de travail grâce à la participation des salariés dans le cadre d’une organisation apprenante.
Questions
1. Que sont les troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux ?
2. Quel est l’ambition du « Lean management » ? En quoi peut-il permettre de réduire les TMS et risques psychosociaux ?
3. L’organisation post-taylorienne permet-elle toujours d’améliorer les conditions de travail ?
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Réponses
1. Que sont les troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux ?
On appelle troubles musculosquelettiques l’ensemble des pathologies et traumatismes physiques liés à l’accomplissement d’une tâche répétitive. Les risques psychosociaux du travail désignent l’ensemble des affections induites par le travail en lui-même où générées par l’organisation du travail, parmi elles on trouve principalement le stress, la fatigue, l’anxiété, ou la dépression.
2. Quel est l’ambition du « Lean management » ? En quoi peut-il permettre de réduire les TMS et risques psychosociaux ?
Le Lean s’inscrit dans la lignée des formes d’organisation post-taylorienne du travail. Il s’agit d’accroître l’autonomie et la participation des salariés tout en flexibilisant le travail. La recomposition des tâches y est également centrale, le travailleur gagne ainsi en polyvalence. Contrairement au modèle d’organisation taylorien, l’absence d’une totale spécialisation prônée par le Lean réduit le risque de TMS induit par la répétition continue d’un même geste. Par ailleurs, l’autonomie et l’implication du travailleur doivent augmenter le bien-être au travail.
3. L’organisation post-taylorienne permet-elle toujours d’améliorer les conditions de travail ?
Les effets positifs du modèle post-taylorien sur les conditions de travail sont parfois controversés. Une autonomie accrue peut s’avérer source de stress et d’anxiété. De même, l’augmentation de la flexibilité peut réduire les frontières entre vie professionnelle et vie privée.