Document 6. Classes préparatoires. La fabrique d'une jeunesse dominante

Facile

Classes préparatoires  
La fabrique d'une jeunesse dominante
(2015)

Muriel Darmon

Qui sait ce qui se passe réellement aujourd’hui derrière les murs des classes préparatoires ?

Accusées de tous les maux – fabriquer des crétins ou désespérer leur jeunesse – ou célébrées comme formation d’« élite » – dans l’oubli de sa contribution à la reproduction sociale –, les « prépas » sont en réalité très mal connues.

Au travers d’une analyse très originale de l’« institution préparatoire», Muriel Darmon nous montre quels types de sujets y sont « fabriqués ». Elle met ainsi au jour les dispositifs de pouvoir qui s’y exercent, la manière dont l’institution produit une certaine forme de violence envers les élèves tout en étant soucieuse de leur bien-être, comment elle opère en individualisant à l’extrême plutôt qu’en homogénéisant et comment, ce faisant, elle renforce sa prise sur les individus.

Une forme de socialisation de la jeunesse

Les classes préparatoires, écrivait Pierre Bourdieu dans La noblesse d’État, exercent une « fonction sociale d’exclusion rituelle » : elles sont une pièce maîtresse du système qui légitime la reproduction des inégalités sociales en l’appuyant sur des inégalités scolaires. L’objectif de Muriel Darmon n’est pas de s’opposer à cette analyse, mais de déplacer l’éclairage de la fonction sociale à la « fonction technique » des classes préparatoires, fonction laissée de côté par la sociologie française.

(…)

La première partie de l’ouvrage confronte au terrain de la classe préparatoire les approches de l’institution proposées par Michel Foucault et Erving Goffman. La classe préparatoire est une institution enveloppante et bienveillante. Elle se rapproche des institutions totales telles que l’asile et la prison en ce qu’elle prétend régir toute la vie des élèves. Elle les soumet à une règle de travail, maintient sur eux la pression, et exerce une discipline de tous les instants, à travers la répétition de petites sanctions. Elle couvre par ailleurs aussi bien la vie scolaire que la vie extra-scolaire : les sorties, les loisirs, ou encore les relations amoureuses sont explicitement subordonnées, dans le discours comme dans la pratique, à la formation. Cependant, l’institution est bienveillante : la violence qui peut s’exercer ailleurs est ici retenue, et la classe préparatoire accompagne les élèves autant qu’elle les guide, en insistant par exemple sur leur bien-être psychique ou sur l’importance d’une vie équilibrée. (…)

La seconde partie de l’ouvrage examine ce que l’institution fait à ses élèves. Un chapitre entier est consacré à l’apprentissage d’une disposition temporelle. La classe préparatoire enseigne dans et par l’urgence, et transmet ainsi un rapport au temps qui est, en définitive, celui des fractions des classes supérieures que rejoindront ces élèves, et dont la plupart sont issus. L’urgence devient un « mode normal d’écoulement du temps » et la porosité des frontières entre travail et loisir paraît tout aussi naturelle. (…) Le temps, par ailleurs, est la mesure de l’excellence. Réussir en classes préparatoires, c’est aller plus vite, gérer mieux son temps que les autres.

(…)

Les classes préparatoires enseignent par ailleurs deux dispositions apparemment contradictoires : l’une, pragmatique, consiste en recettes pour réussir les concours des grandes écoles, et l’autre, scientifique, en une vision abstraite du monde. (…)

Muriel Darmon oppose un ascétisme régulier, extra-mondain, celui des scientifiques pour lesquels les disciplines scolaires sont centrales, à un ascétisme séculier, intra-mondain, celui des commerciaux. Pour ces derniers, les loisirs, les sorties culturelles, l’habillement, la posture, deviennent autant de considérations scolaires. Les exercices d’entretien de personnalité, préparant aux épreuves orales des concours, donnent à voir ce travail de construction d’une hexis particulière, à travers les nombreuses remarques des examinateurs sur la confiance en soi, la posture, ou la manière de s’habiller des candidats. Les propriétés de l’excellence diffèrent également d’une filière à l’autre. Les classes préparatoires scientifiques valorisent ainsi la précocité, alors que leur pendant commercial cherche à construire des élèves adultes.

(…) Alors que la littérature retient surtout le Bourdieu sociologue de la reproduction, Muriel Darmon insiste sur une autre dimension de son travail, la « socio-genèse des habitus ». Économe en références, elle n’en produit pas moins une discussion serrée et particulièrement fertile des thèses de Foucault et Goffman sur l’institution, ou encore de Becker et Merton sur la socialisation. Il en résulte une approche originale de la fabrication et de la transformation des individus dont les leçons excèdent largement le seul cadre des classes préparatoires.

Samuel Coavoux, « Muriel Darmon, Classes préparatoires. La fabrique d’une jeunesse dominante », Lectures http://journals.openedition.org/lectures/12566

 

Muriel Darmon oppose un ascétisme régulier, extra-mondain, celui des scientifiques pour lesquels les disciplines scolaires sont centrales, à un ascétisme séculier, intra-mondain, celui des commerciaux. Pour ces derniers, les loisirs, les sorties culturelles, l’habillement, la posture, deviennent autant de considérations scolaires. Les exercices d’entretien de personnalité, préparant aux épreuves orales des concours, donnent à voir ce travail de construction d’une hexis particulière, à travers les nombreuses remarques des examinateurs sur la confiance en soi, la posture, ou la manière de s’habiller des candidats. Les propriétés de l’excellence diffèrent également d’une filière à l’autre. Les classes préparatoires scientifiques valorisent ainsi la précocité, alors que leur pendant commercial cherche à construire des élèves adultes.

(…) Alors que la littérature retient surtout le Bourdieu sociologue de la reproduction, Muriel Darmon insiste sur une autre dimension de son travail, la « socio-genèse des habitus ». Économe en références, elle n’en produit pas moins une discussion serrée et particulièrement fertile des thèses de Foucault et Goffman sur l’institution, ou encore de Becker et Merton sur la socialisation. Il en résulte une approche originale de la fabrication et de la transformation des individus dont les leçons excèdent largement le seul cadre des classes préparatoires.

Samuel Coavoux, « Muriel Darmon, Classes préparatoires. La fabrique d’une jeunesse dominante », Lectures http://journals.openedition.org/lectures/12566

 

 

Question 1 : Qu’est-ce qu’une institution ?

Question 2 : Recherchez la définition du concept « institution totale »

Question 3 : Expliquez la phrase : « La classe préparatoire est une institution enveloppante et bienveillante »

- Comprendre comment la diversité des configurations familiales modifie les conditions de la socialisation des enfants et des adolescents.

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Question 1 : Qu’est-ce qu’une institution ?

Émile Durkheim soulignait que la sociologie est « la science des institutions ». Une institution est un ensemble de pratiques, de règles de conduite et de représentations entre des personnes.

Pour l’économiste Douglass Cecil North (1920-2015) les institutions sont des « contraintes humainement conçues qui structurent les interactions politiques, économiques et sociales ». Faisant une analogie avec le sport, il précise que « Les institutions sont les règles du jeu, les organisations et leurs entrepreneurs en sont les joueurs » (North, 1994).

Question 2 : Recherchez la définition du concept « institution totale »

Le sociologue américain Erving Goffman (1922-1982) a proposé la notion d'institution totale ou «lieu de résidence et de travail où un grand nombre d'individus, placés dans la même situation, coupés du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées» pour mieux comprendre les asiles, les prisons, les couvents voire les internats.

Erving Goffman a d’ailleurs effectué une étude ethnologique des malades mentaux internés dans les hôpitaux psychiatriques (Asiles, 1968) dont le quotidien se comprend en considérant l’établissement thérapeutique comme une « institution totalitaire », c’est-à-dire d’un établissement investi, comme la prison ou le camp de concentration, de la fonction ambiguë de neutraliser ou de réadapter à l’ordre social un type particulièrement inquiétant de déviants.

Michel Foucault (1926-1984) soulignera leurs fonctions disciplinaires, notamment en détruisant l'identité des reclus.

Question 3 : Expliquez la phrase : « La classe préparatoire est une institution enveloppante et bienveillante »

La sociologue met au jour des dispositifs de pouvoir qui produisent une certaine forme de violence envers les élèves.

Les classes préparatoires est une « institution enveloppante » car, comme un asile ou une prison, elle suppose une certaine coupure avec le monde extérieure, une vie recluse pour travailler, une vie minutieusement réglée avec ses cours, ses khôlles, ses devoirs sur table, ses concours blancs, etc.

Toutefois, Muriel Darmon souligne aussi que l’institution reste soucieuse du bien-être des étudiants, elle reste bienveillante :

  • la violence est retenue ;
  • les élèves sont accompagnés ;
  • les professeurs et l’administration s’inquiètent de leur bien-être psychique ;
  • les discours soulignent l’importance d’une vie équilibrée.

Comprendre comment la diversité des configurations familiales modifie les conditions de la socialisation des enfants et des adolescents.

 

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