Document 5. Monnaie marchandise ou monnaie de crédit ?

Facile

La monnaie marchandise

Typiquement, la monnaie marchandise est caractérisée par le fait que le support monétaire présente une valeur intrinsèque égale à sa valeur monétaire [ou valeur faciale]. Elle est généralement considérée comme la forme la plus « primitive » ; on parle également de paléo-monnaie. Ainsi, de nombreuses sociétés marchandes antiques utilisent le bétail, des céréales, des coquillages ou encore des barres de sel, comme dans le cas des Baruya de Nouvelle-Guinée. Dans tous ces cas de figure, il s’agit de marchandises qui sont produites par le système économique : elles impliquent des coûts de production et disposent d’une valeur d’échange. Les paléo-monnaies sont utilisées pour remplir la fonction d’unité de compte et/ou celle d’intermédiaire des échanges. Compte tenu du caractère parfois périssable de la marchandise qui prend le statut de monnaie, la fonction de réserve de valeur était le plus souvent peu prise en compte.

De ce strict point de vue, la monnaie métallique peut être considérée comme une sorte particulière de monnaie marchandise. En effet, la monnaie métallique prend la forme de pièces de monnaie fondues à partir de métaux précieux (cuivre, bronze, argent, or, etc.) et, le cas échéant, frappées de symboles divers. Elle peut également prendre la forme de lingots ou de plaques de métal pour exprimer des valeurs plus importantes. Par conséquent, il ne faut pas confondre la monnaie métallique avec l’actuelle monnaie divisionnaire (les pièces de monnaie modernes, qui sont produites à partir d’alliages métalliques sans grande valeur intrinsèque) : la monnaie métallique est bien caractérisée par le fait qu’elle repose sur une marchandise singulière (le métal précieux) qui dispose d’une importante valeur intrinsèque dans la société considérée.

La monnaie de crédit

Le second type idéal de forme monétaire est celui de la monnaie de crédit. Selon la définition proposée par Pierre-Bruno Ruffini, la monnaie est dite de crédit « dès lors que le support du moyen de paiement est constitué par une créance sur une institution émettrice » (Ruffini, 1996, p. 21). En économie, une créance est un élément de l’actif du bilan d’un agent, c’est-à-dire une richesse qui a une valeur positive pour lui ; elle est nécessairement la contrepartie

d’une dette et elle donne le droit au créancier d’exiger auprès du débiteur, au terme prévu par le contrat passé entre les deux agents, le remboursement de cette dette. S’agissant de la monnaie, cette créance peut prendre diverses formes : soit être écrite sur du papier et devenir un billet de banque par exemple ; soit être écrite dans les livres de comptes de l’institution émettrice (on parle dans ce cas de monnaie scripturale) ; mais également être représentée par un symbole politique ou religieux apposé sur une pièce métallique. Ainsi, pour un agent économique, avoir un droit de propriété sur de la monnaie, comme c’est le cas avec la détention d’un billet de banque ou d’une somme inscrite sur un compte au nom de l’agent dans une banque de second rang, c’est être propriétaire d’une créance sur la banque centrale dans le premier cas (l’institution monétaire qui a le monopole de création des billets de banque aujourd’hui), sur une banque de second rang dans le second. Symétriquement, cela signifie que la banque centrale a une dette envers l’agent qui est propriétaire du billet qu’elle a émis : cette dette consiste à garantir au porteur la valeur inscrite sur le billet dès lors que celui-ci fera valoir son droit d’utiliser le billet comme moyen de paiement (la créance consiste pour le porteur à faire valoir ce droit pour la valeur inscrite sur le billet). De manière analogue, la banque de second rang a une dette envers l’agent qui est propriétaire de la somme inscrite sur le compte bancaire. La monnaie est toutefois une créance particulière, puisqu’elle est dotée d’un pouvoir libératoire général. Cela permet d’aboutir à une autre composante essentielle de la définition de la monnaie : c’est une dette qui permet de s’acquitter de toutes les dettes.

La différence entre monnaie marchandise et monnaie de crédit

[…] Il importe de préciser que le dispositif institutionnel qui produit la confiance dans la monnaie repose sur des bases radicalement différentes dans chaque cas. S’agissant de la monnaie marchandise, le socle de la confiance dépend d’une convention collective construite par la communauté de paiement selon laquelle la marchandise ou le métal précieux sélectionné est socialement reconnu comme digne de confiance : les agents acceptent l’actif choisi comme monnaie parce qu’ils savent que les autres agents, mais aussi les autorités politiques et monétaires ne peuvent s’affranchir de cette contrainte fondée sur la valeur intrinsèque de l’actif, ni influencer le volume de monnaie disponible du simple fait de leur volonté. S’agissant de la monnaie de crédit, le socle de la confiance repose sur un dispositif au sein duquel les institutions politiques et monétaires (État, banque centrale, banques de second rang notamment) occupent une place fondamentale : les agents acceptent la monnaie parce qu’ils sont convaincus du fait que les autorités politiques et monétaires ne peuvent s’affranchir des règles essentielles, c’est-à-dire des conventions, qui ont été élaborées au sein de la communauté de paiement (missions de la banque centrale, règles qui encadrent les opérations de monétisation de créances conduites par les banques de second rang, règles prudentielles pour encadrer le comportement des banques en matière d’activité financière, etc.).

[…] S’il existe bien un processus historique de marche [de la monnaie-marchandise] vers la monnaie de crédit, et donc de dématérialisation de la monnaie, celui-ci n’est en aucun cas linéaire et repose sur une évolution complexe du contexte institutionnel. Cette évolution a été émaillée de crises monétaires nombreuses qui ont parfois profondément affecté la confiance dans la monnaie. C’est notamment du fait de ces crises ainsi que des besoins croissants en liquidités afin de financer l’activité économique au début du XXe siècle que les systèmes monétaires reposant sur le socle de la monnaie-marchandise-métallique et en particulier sur la monétisation de l’or ont été progressivement abandonnés.

Beitone, Rodrigues, Economie monétaire : Théories et politiques, Cursus, Armand Collin, 2017

Questions :

1) La monnaie existe-t-elle à l’état naturel ? Quelle conséquence cela a-t-il ?

2) Rappelez ce qu’est une monnaie-marchandise.

3) Par quel processus une marchandise devient-elle une monnaie-marchandise ?

4) Pourquoi les métaux précieux ont-ils été préférés aux coquillages, bétails et autres barres de sel ?

5) Quelle différence doit-on faire entre monnaie métallique et monnaie divisionnaire alors qu’il s’agit dans les deux cas de pièces de monnaie ?

6) Quelles sont les deux sortes de banques dont il est question ici ?

7) Pourquoi définit-on la monnaie comme « une dette qui permet de s’acquitter de toutes les dettes » ?

8) Quelle est la différence fondamentale entre une monnaie-marchandise et une monnaie de crédit ?

9) Sur quoi est fondée la confiance dans les monnaies-marchandises ?

10) Sur quoi est fondée la confiance dans la monnaie de crédit ?

11) Pourquoi les monnaies-marchandises ont-elles été abandonnées au profit de la monnaie de crédit ? Cette évolution a-t-elle été linéaire ?

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