Document 3 : L’Europe sociale en chantier(s)

Facile

Nombreux sont les observateurs qui s’accordent, aujourd’hui, sur les faiblesses de l’Europe sociale. Sur ce point, peu de voix discordantes se font entendre. Elles divergent plus nettement lorsqu’il s’agit de déterminer l’origine et de mesurer l’ampleur de ces faiblesses. Les difficultés observées sont-elles avant tout conjoncturelles, dues aux effets de la crise actuelle ? Ou résultent-elles d’un abandon plus ancien des ambitions politiques et sociales des acteurs européens, qui remonterait au moins à la fin des années 1990 et au développement de l’Union économique et monétaire ? Ou bien manifestent-elles, plus fondamentalement, l’absence originelle d’une véritable dimension sociale du projet européen ? Ces divergences d’appréciations tiennent en partie au fait qu’elles s’appuient sur des conceptions différentes de ce qu’est – ou devrait être – l’Europe sociale. […]

Car les doutes sur l’existence même de l’Europe sociale se montrent récurrents, dans le débat public comme sur la scène académique. Pourtant, comme le souligne la juriste Marie-Ange Moreau, replacée dans le contexte de la mondialisation, l’Union européenne apparaît bien comme l’espace dans lequel les tentatives pour poser de nouveaux cadres collectifs concernant les relations de travail et d’emploi ont été, à ce jour, les plus ambitieuses. Comment dès lors expliquer que ces réalisations substantielles, et pour certaines innovantes, laissent le plus souvent la place aux constats inquiets ou désabusés sur la fragile dimension sociale de l’Europe ? Une des clés de compréhension réside dans le fait que l’Europe sociale reste une réalité sociale « méconnue », à l’instar du dialogue social européen qui en est l’une des manifestations […].

Plusieurs facteurs compliquent l’appréhension de l’Europe sociale. Le premier tient à la diversité des systèmes sociaux nationaux, qui rend délicate toute comparaison entre les développements communautaires et ceux, plus anciens, observés dans les États membres. La volonté de construire des règles européennes communes tout en respectant la foncière singularité des situations sociales nationales explique alors, en partie, le fait que l’Europe sociale s’est construite principalement sur la base d’une dynamique d’abord institutionnelle, moins perceptible que ne pourraient l’être des mobilisations collectives ou des mouvements sociaux de dimension européenne. Et c’est alors précisément l’absence ou la faiblesse de telles manifestations qui conduit, lors des échéances électorales notamment, à durcir l’opposition entre une Europe « économique », qui serait dominante, et une Europe « sociale », qui peinerait à voir le jour.

[…] En cohérence avec la volonté de ne pas homogénéiser des systèmes nationaux jugés très différents et de préserver le pré carré des gouvernements nationaux en la matière, la législation sociale européenne repose sur l’adoption de « directives » qui ont la particularité, contrairement aux « règlements » d’application directe, de devoir être d’abord transposées dans les ordres juridiques nationaux pour devenir effectives. Au final, c’est donc une loi ou un accord collectif national qui est appliqué : la directive européenne qui en est à l’origine tend ainsi à être masquée, ce qui contribue à rendre les réalisations de l’Europe sociale largement invisibles aux yeux du plus grand nombre.

 […] L’Europe sociale se caractérise, comme on l’a vu, par son évolution incrémentale, irrémédiablement inscrite dans le temps long et prise dans les incertitudes nées des tensions entre incitations supranationales et jeu des équilibres intergouvernementaux. Elle se distingue aussi largement par la dimension cumulative de ses réalisations, contribuant toujours à élargir et à approfondir le socle de normes et de droits ainsi érigé.

Béthoux, Élodie. « L’Europe sociale en chantier(s) », Idées économiques et sociales, vol. 179, no. 1, 2015.

Questions :

5) Quel est le paradoxe soulevé par Elodie Béthoux ?

6) Comment l’expliquer ?

Voir la correction

5) Quel est le paradoxe soulevé par Elodie Béthoux ?

Les réalisations de l’Europe dans le domaine social sont réelles et pourtant beaucoup affirment que l’Europe sociale n’existe pas.

6) Comment l’expliquer ?

Pour Elodie Béthoux, l’Europe sociale souffre avant tout d’un problème de visibilité. D’abord, la diversité des systèmes nationaux rend difficile à identifier ce qui relève ou non des avancées communautaires. Par ailleurs, ces avancées sont d’abord institutionnelles et se font par petits pas, ce qui les rend d’autant moins visibles, en comparaison à des changements survenus à l’issue de mouvements sociaux. Enfin, les mesures adoptées prennent principalement la forme de directives qui sont effectives après adoption dans la législation nationale. Tout cela masque les réalisations communautaires dans le domaine social aux yeux des citoyens européens. Il est donc nécessaire de relativiser l’idée selon laquelle l’Europe sociale n’existe pas.

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements