À toutes les époques, les marqueurs d’un statut élevé semblent naturels, c’est-à-dire évidents et inaltérables. Pourtant, la lecture de l’histoire laisse voir la fragilité temporelle de ces marqueurs inaltérables de statut. (…) L’ère du capitalisme industriel bourgeois se caractérisait par une nette distinction entre, d’une part, les arts qui étaient perçus comme des symboles ennoblissant de vertu, de vérité et de beauté et, d’autre part, les divertissements populaires grossiers en dehors de sa classe.
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Dans l’ensemble, les sociologues n’ont pas remis en question ou analysé l’hégémonie du snobisme intellectuel avant 1979, année où Pierre Bourdieu a publié sa monographie avant-gardiste La distinction. Critique sociale du jugement. Ce livre ainsi que les autres ouvrages de Bourdieu et de ses collègues sont importants pour deux raisons. Tout d’abord, la théorie complexe que les auteurs intègrent à leurs travaux se centre pour la première fois sur les notions de capital culturel, habitus, goût, domination et violence symbolique, et elle fournit une base théorique pour conceptualiser les liens entre le goût, le statut et la classe sociale incarnés par l’intellectuel snob du capitalisme bourgeois et sa contrepartie, le rustre vulgaire du prolétariat. En deuxième lieu, l’ouvrage ne se fonde pas sur des hypothèses et sur l’observation de petits groupes, mais sur le questionnaire complexe d’une enquête menée en 1963 et à nouveau en 1967-1968 auprès de 1 217 répondants de Paris, de Lille et d’une « petite ville de province ». Parce que Bourdieu avait documenté avec soin le plan de son enquête, il a été assez facile de la reproduire par la suite.
Au départ, la thèse de Bourdieu a été fortement contestée, mais depuis quelques décennies des chercheurs l’ont testée dans différents pays afin de voir si elle s’appliquait ailleurs que dans la France de la fin des années 1960. Dans cet article, je m’attache à un aspect, celui de la composition du capital culturel en dehors de cette période et de ce pays. Je montrerai que même si les caractéristiques du snobisme intellectuel reposent sur la glorification des arts et le dédain des divertissements populaires, le capital culturel apparaît de plus en plus comme une aptitude à apprécier l’esthétisme différent d’une vaste gamme de formes culturelles variées qui englobent non seulement les arts, mais aussi tout un éventail d’expressions populaires et folkloriques. Parce que cette règle du goût se caractérise notamment par la capacité d’apprécier une vaste gamme de formes culturelles, mes collègues et moi l’avons appelée « l’omnivorité ».
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Nous avons constaté que, comme prévu, les emplois supérieurs étaient associés à la musique classique et à l’opéra et qu’il y avait une plus grande probabilité que ces répondants de statut élevé participent à toutes les activités artistiques. Toutefois, à notre grande surprise, ceux qui occupaient des emplois supérieurs avaient également tendance à s’intéresser plus souvent que les autres à une vaste gamme d’activités de statut inférieur, tandis que ceux qui occupaient des emplois inférieurs avaient une gamme d’activités culturelles limitée. Ces résultats, qui contredisaient la distinction courante entre l’exclusivisme de l’intellectuel snob et le manque de discrimination du rustre vulgaire, nous ont amenés à penser que les répondants de statut élevé avaient peut-être des goûts plus « omnivores », tandis que ceux qui se situaient au bas de la hiérarchie sociale étaient plus « univores ». (…)
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En fait, notre théorie elle-même, c’est-à-dire l’opposition omnivore-univore, n’est pas immuable. De tels néologismes durent rarement longtemps, mais ils ont l’avantage de montrer que cette façon de conceptualiser le goût présente des aspects novateurs et mérite l’attention. (…)
La notion d’un goût non limité convient à la situation que nous avons décrite ; pourtant, même si le cosmopolitisme fait référence à un goût qui transcende les frontières nationales, le mot omnivorité nous semble plus approprié, car il sous-entend des goûts qui franchissent non seulement les frontières des nations, mais aussi celles des classes sociales, des sexes, des ethnies, des religions, des âges ou d’autres frontières similaires.
Le passage à des goûts omnivores
Richard A. Peterson
Question 1 : Recherchez. Qui est Pierre Bourdieu ?
Question 2 : Quels liens peut-on faire entre goût et la classe sociale ?
Question 3 : Qu’est-ce que « l’omnivorité ». Donnez un exemple.
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Question 1 : Recherchez. Qui est Pierre Bourdieu ?
Réponse 1
Question 2 : Quels liens peut-on faire entre goût et la classe sociale ?
Réponse 2
La Distinction. Critique sociale du jugement (1979) propose une analyse novatrice de la structure sociale en interrogeant les conditions sociales de production du goût. L’enquête sur les pratiques culturelles qu’il mène permet de relier l’alpinisme et la fréquentation des musées, l’écoute de l’Art de la fugue et le goût pour les cuisines exotiques… aux groupes sociaux dotés d’un fort capital culturel (cf. professeurs d’université, professions libérales, etc.).
La consommation culturelle, les « style de vie », les goûts et les dégoûts, sont liés à la position dans l’espace social.
Question 3 : Qu’est-ce que « l’omnivorité ». Donnez un exemple.
Réponse 3
Pour Richard A. Peterson, « l’omnivorité » est la capacité d’apprécier une vaste gamme de formes culturelles.
Le concept est associé à la consommation de toutes sortes de biens et d’activités par ceux qui appréciaient et fréquentaient le monde des arts. Par exemple, la capacité à écouter de la musique classique et aller à l’opéra et, en même temps, écouter du rap et aller à un concert de rock.