Document 2 : L’Europe sociale n’existe pas

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La politique sociale est longtemps restée à l’écart du projet européen qui fut d’abord et surtout un projet économique. Il faut attendre la fin des années 1980 pour voir les premières avancées dans le domaine social. En 1987, l’Acte unique étend les compétences communautaires à la santé et à la sécurité au travail. Les traités de Maastricht (1992) et d’Amsterdam (1997) renforcent, quant à eux, la politique sociale européenne, la question de l’emploi devenant « d’intérêt communautaire » avec la mise en œuvre d’une stratégie de coordination. Le Conseil européen de Lisbonne (mars 2000) fixe comme objectif le plein-emploi à l’horizon 2010 et la modernisation du modèle social européen.

En décembre 2000, le Conseil européen de Nice adopte une Charte des droits fondamentaux, qui rassemble des droits politiques, économiques et sociaux. Même si ces droits y ont gagné en force juridique, la charte n’a pas de valeur contraignante pour les États membres. Un agenda social européen a également été signé qui constituait la feuille de route de la politique sociale de l’UE pour cinq ans. Mais, à chaque fois, l’Europe sociale a été limitée par la volonté des États de rester maîtres de leur politique en matière de droit du travail et de fiscalité.

Lors des présidences autrichiennes et finlandaises en 2006, une réflexion européenne a été lancée sur la « flexisécurité » (qui combine flexibilité du travail et sécurité de l’emploi) et sur la question de l’adaptation des salariés et des entreprises à la mondialisation. La France a, de son côté, demandé à plusieurs reprises que la dimension sociale soit davantage prise en compte dans la construction européenne, notamment par toutes les institutions au cours des différentes étapes du processus législatif. Mais ces aspirations pour une Europe plus sociale ont été suivies de peu d’effets pratiques.

Il est clair que les vingt-sept États membres de l’Union européenne font face à un ensemble de défis sociaux qui leur sont communs : vieillissement démographique, réformes des systèmes de protection sociale, conséquences de la mondialisation. Confrontés à ces défis communs, une réponse commune devrait être construite et une convergence accrue des politiques sociales pourrait s’avérer nécessaire. Pour autant, la règle sociale européenne reste largement l’exception nationale.

Premier constat, de nombreux espaces de la protection sociale échappent au champ communautaire. C’est le cas pour tout ce qui concerne la formation des salaires, les négociations collectives, le salaire minimum, le droit d’association et de grève. Dans tous ces domaines et dans bien d’autres encore, la règle européenne est celle de l’exception nationale. La volonté des États a toujours été de maintenir ces espaces de décision hors du champ d’intervention communautaire conformément au principe de subsidiarité. Ainsi, une déclaration interprétative du traité de Lisbonne prévoit explicitement que les domaines de l’emploi, le droit au travail et les conditions de travail, la formation professionnelle, la sécurité sociale, les droits syndicaux « relèvent essentiellement de la compétence des États membres. Les mesures d’encouragement et de coordination revêtent un caractère complémentaire. Elles servent à renforcer la coopération […] et non pas à harmoniser des systèmes nationaux ». Les États membres de l’Union peuvent chercher à harmoniser certains aspects de leur législation sociale, dans le domaine des systèmes de sécurité sociale par exemple, mais leur objectif partagé n’est certainement pas d’unifier les politiques sociales.

Deuxième constat, les réalisations de l’UE en matière d’Europe sociale ne concernent qu’un petit nombre de domaines circonscrits : la libre circulation des travailleurs et la coordination des régimes de sécurité sociale (tout ressortissant de l’UE a le droit de travailler, sans discrimination, dans un autre pays membre et d’y être assuré socialement ; il peut bénéficier du niveau de protection sociale et de protection de l’emploi du territoire où le travail est exécuté) ; l’égalité entre hommes et des femmes (treize directives ont été prises depuis 1975 pour garantir l’égalité de traitement au travail, de rémunération et de sécurité sociale) ; le droit du travail (protection des droits individuels, collectifs et garantie de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail) ; enfin, la lutte contre les discriminations.

Troisième constat, lorsque le législateur européen intervient, c’est, le plus souvent, seulement pour édicter des prescriptions minimales. Les États ont la liberté de prévoir des règles plus strictes, comme par exemple en matière de durée du travail (voir encadré et tableau). Mais s’il existe une durée maximale du travail, il n’y a ni de salaire minimum européen ni d’harmonisation des systèmes de prélèvements sociaux.

L’Horty, Yannick. « L'Europe sociale n'existe pas », Idées économiques et sociales, vol. 154, no. 4, 2008.

Questions :

3) Quelles sont les réalisations de l’Europe en matière de politiques sociales ?

4) Pourquoi affirmer que l’Europe sociale n’existe pas ?

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3) Quelles sont les réalisations de l’Europe en matière de politiques sociales ?

La politique sociale de l’Europe se met en place progressivement. L’UE institutionnalise ses objectifs sociaux avec la signature de l’Acte unique européen (1986). Dans les années 1990, le plein emploi devient une préoccupation majeure de la politique sociale et accompagne la stratégie de croissance de l’UE. Dans les années 2000, elle adopte une charte des droits fondamentaux autour de 3 axes : droits civils, droits politiques et droits économiques et sociaux.

4) Pourquoi affirmer que l’Europe sociale n’existe pas ?

 Si les réalisations dans le domaine social sont indéniables, l’UE est encore loin de l’Europe sociale comme projet politique ou de l’adoption d’un modèle social européen commun. D’abord, de nombreux domaines de la politique sociale relèvent encore de la compétence quasi-exclusive des Etats membres, à l’instar du droit du travail. Ensuite, la coordination de ces politiques ne se fait pas de manière contraignante mais repose davantage sur une méthode ouverte de coordination (MOC) qui laisse la possibilité ou non aux Etats de modifier leurs lois ou d’en introduire de nouvelles. Enfin, même si les Etats membres font face à des défis communs, ils souhaitent conserver leur souveraineté nationale en matière de politique sociale.

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