L'insistance de Weber à parler d' « action » de « sens subjectif », l'amène à qualifier sa sociologie non seulement d'individualiste, mais aussi de « rationaliste ». Dans son esprit, ces deux qualificatifs sont étroitement associés. En effet, l’individu wébérien est pourvu d'un certain nombre d'attributs - notamment, celui de combiner des moyens et des fins, et d'évaluer les éventualités qui se présentent à lui. C'est en ce sens qu'il est rationnel.
Naturellement, ce terme ne signifie nullement pour Weber que les acteurs (agents) sociaux sont tous, toujours et partout, pourvus d'une échelle de préférences explicite, qu'ils disposent d'une information complète et d'une maîtrise parfaite de leurs ressources et leurs environnements, ni que la somme ou la résultante des actions individuelles satisfasse aux exigences de la rationalité collective. Le rationalisme sociologique de Weber consiste simplement à supposer que le sens de nos actions se détermine par rapport à nos intentions et par rapport à nos attentes, concernant les intentions et les attentes des autres. [...].
Parmi les, fondateurs, de la sociologie moderne, Weber est celui qui s'est le mieux immunisé contre la propension au « réalisme totalitaire » (Piaget) qui fait de la société « une entité transcendante et distincte des individus ». Pour lui, la trame de la vie sociale est constituée par les actions d'individus capables d'anticiper, d'évaluer, de se situer les uns par rapport aux autres. Mais, à la différence des « individualistes », ou des « idéalistes » dont Durkheim s'était fait des plastrons, Weber a très bien vu le caractère « émergent » des faits sociaux. Il établit une distinction très claire entre les intentions et les motivations des acteurs d'une part, et l'effet agrégé de leur action au plan social et culturel d'autre part. Ainsi, les puritains croient, en conformant leur conduite à la lettre des commandements divins, exprimer leur obéissance au Dieu terrible qui les jugera ou les condamnera par un acte de son insondable justice. Pourtant, au regard de l'historien et du sociologue, ils contribuent à légitimer des vertus séculières comme l'épargne, l'abstinence, la diligence qui constituent des ingrédients indispensables à la discipline des sociétés industrielles. La « sociologie compréhensive » n'est donc en aucune façon un psychologisme qui réduirait les conduites sociales au « sens subjectif » que leur attribuent les acteurs. Elle est mieux définie comme un effort pour saisir les processus de combinaison et de composition à partir desquels émergent types sociaux et individualités historiques.
Source : R. Boudon, F. Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie, PUF, 3' édition, 1990, pp. 681-682.