Document 1-Vers une disparition des classes sociales ?

Facile

Dans les démocraties développées, la disparition des classes sociales semblerait un acquis et une évidence sur laquelle il est incongru de revenir. Cette question serait tranchée. Dans le discours politique, la chose semble évidente : lorsque les communistes parlent des “gens” et que les théoriciens du blairisme, comme Anthony Giddens et Ulrich Beck, nous dépeignent une société fragmentée et individualisée où tous, du manager à l’opérateur, nous faisons partie de la même équipe (team), les classes sociales désertent le débat. Dans le champ de la sociologie, la question des classes demeure importante. D’une part, d’un point de vue historique, elles sont nécessaires pour comprendre la dynamique des deux derniers siècles. D’autre part, aujourd’hui encore, la persistance d’inégalités structurées, liées à des positions hiérarchiquement constituées et porteuses de conflits d’intérêts dans le système productif, continue de poser question. Ici commence le problème spécifique aux classes sociales d’aujourd’hui : l’existence d’inégalités économiques structurées pourrait ne pas aller nécessairement de pair avec celle de classes sociales constituées [...]. Une telle tentative de démonstration systématique de la fin des classes sociales a été imaginée pour la première fois par Robert Nisbet (1959), selon qui cette fin provien(drai)t :

  • dans la sphère politique, de la diffusion du pouvoir au sein de l’ensemble des catégories de la population et de la déstructuration des comportements politiques selon les strates sociales ;
  • dans la sphère économique, de l’augmentation du secteur tertiaire, dont les emplois ne correspondent pour la plupart à aucun système de classe parfaitement clair, et de la diffusion de la propriété dans toutes les couches sociales ;
  • de l’élévation du niveau de vie et de consommation qui conduit à la disparition de strates de consommation nettement repérables, rendant peu vraisemblable l’intensification de la lutte des classes [...].

L’essentiel de l’argumentation des sociologues intéressés à montrer la disparition des classes sociales peut être résumée en un diagnostic simple : baisse des inégalités économiques et éducatives, affaiblissement des frontières sociales en termes d’accès à la consommation et aux références culturelles, mais aussi croissance de la mobilité, moindre structuration des classes en groupes hiérarchiques distincts, repérables, identifiés et opposés, moindre conflictualité des classes et conscience de classe affaiblie. Le schéma général de ce type de travail est le plus souvent une ligne causale qui va d’une baisse des inégalités économiques jusqu’à celle de la conscience de classe.

Source : Louis Chauvel, “Le retour des classes sociales ?”, Revue de l’OFCE, octobre 2001.

 

Questions

1.En quoi consiste la thèse de Robert Nisbet ?

2.Quels sont les mécanismes qui expliqueraient, selon les partisans de cette thèse, la disparition des classes sociales ?

3.Pourquoi l’existence d’inégalités économiques structurées pourrait-elle ne pas s’accompagner pour autant de l’existence de classes sociales constituées ?

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1.En quoi consiste la thèse de Robert Nisbet ?

Robert Nisbet estime que les classes sociales, après la Seconde Guerre mondiale, tendent à disparaître. Pour cela, il montre notamment que les comportements politiques sont de moins en moins déterminés par l’appartenance à un groupe social donné, que le pouvoir s’est “ouvert” aux différentes catégories de la population (avec des élus dont le profil sociologique se “démocratiserait”). La tertiarisation de l’économie amène à la création massive d’emplois qui ne “cadrent” plus avec l’opposition marxiste entre bourgeoisie capitaliste et prolétariat ouvrier. De plus, un processus d’enrichissement généralisé permet à une part plus importante de la société d’accéder à la propriété. Enfin, l’amélioration du niveau de vie conduirait à un effacement des particularismes de classes en termes de pratiques de consommation (par exemple, l’accès aux vacances se généralise).

2.Quels sont les mécanismes qui expliqueraient, selon les partisans de cette thèse, la disparition des classes sociales ?

En suivant la thèse de Nisbet, les sociogues partisans de l’idée d’une “moyennisation” de la société mettent l’accent sur la baisse des inégalités économiques, sur l’accès généralisé à l’éducation (et notamment aux études supérieures, suivant en cela un processus de démocratisation quantitative de l’instruction), sur l’effacement des différences de comportements culturels et de consommation, sur le développement de la mobilité sociale entre groupes sociaux. Tout cela déboucherait sur un recul à la fois des différences objectives entre classes sociales, mais aussi sur un affaiblissement de la conscience d’appartenir à des groupes sociaux différenciés et hiérarchisés (avec concomitamment une diminution de la conflictualité sociale “de classes”).

3.Pourquoi l’existence d’inégalités économiques structurées pourrait-elle ne pas s’accompagner pour autant de l’existence de classes sociales constituées ?

L’existence, ou la persistance, d’inégalités économiques dessinant des frontières entre des groupes privilégiés et d’autres qui le sont moins, peut ne pas déboucher, pour autant, sur une résurgence des classes sociales, si l’on envisage celles-ci dans un sens marxiste. En effet, si cela ne s’accompagne pas d’une conscience d’avoir des intérêts communs, les groupes sociaux n’accèderaient donc pas au stade de la “classe pour soi”, indispensable pour avoir, toujours au sens marxiste, reconstitution de véritables classes sociales.

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