Document :

Facile

(…) Les représentations de l'entreprise comme acteur de l'intérêt général et institution primaire de l'économie de marché se développent dans l'espace public de la Cité et ouvrent de nouvelles perspectives politiques en matière de démocratie industrielle. […] L'on a très souvent pu lire dans la presse soit que l'entreprise est un bien commun, soit qu'elle sert le bien commun. (…) Un bien commun au service du bien commun ? Cette réponse est peu satisfaisante d'un point de vue logique. (…) les travaux de deux économistes, Elinor Ostrom et Oliver Williamson, lauréats du Prix Nobel d'économie 2009, peuvent éclairer les termes du débat actuel. (…)

Pour Elinor Ostrom, un bien commun est un bien non-appropriable : personne ne possède l'entreprise d'un point de vue juridique. Et sa gouvernance - pour ne pas dire son auto-gouvernance - doit être assurée par la communauté des parties constitutives de l'entreprise de manière partagée pour en accroître son efficience et sa durabilité, donc sa préservation dans le temps. En d'autres termes, la firme en tant que bien commun serait une entité de création collective dont la gouvernance implique la participation de tous les acteurs qui font son existence. Ce qui inclut sans doute principalement les actionnaires, les dirigeants et les salariés. Si ces biens communs ne doivent pas être gouvernés par la main invisible du marché, ils ne peuvent pas non plus être gouvernés efficacement par la seule puissance publique. Dans un sens étendu, un bien commun peut donc être de nature privée.

Pour Oliver Williamson, qui a largement contribué au développement de l'économie de la firme, la raison d'être de l'entreprise est de créer un ordre privé interne spécifique. Encastré dans un ordre public mais basé sur des relations industrielles hiérarchiques, ce dernier peut ainsi insuffler l'ordre et la coopération, éviter les conflits organisationnels et accroître les gains mutuels issus de l'activité de production. Oliver Williamson considère alors que la logique privée de l'entreprise fondée sur ce qu'il nomme « un droit interne » en fait l'institution la plus efficace du capitalisme lorsque l'activité de production est complexe et spécifique. Si ces recherches nobélisées présentent certaines limites, elles s'avèrent néanmoins précieuses pour préciser la nature « collective » mais « privée » de l'objet « entreprise » que l'on souhaite aujourd'hui réformer et pour éviter les confusions conceptuelles qui accompagnent le débat. 

Dans mes travaux académiques, je montre ainsi que la firme est un « bien commun privé » qui, par essence, contribue à l'intérêt général de la Cité. Par conséquent, je reste favorable à la reconnaissance raisonnable de l'entreprise, dans le droit positif, comme acteur d'un intérêt supérieur, social, économique et environnemental. Avec l'idée de ne pas la résumer aux seuls apporteurs de capitaux et de ne pas la laisser dans les méandres de la spéculation court-termiste et des dérives actionnariales. Mais je reste aussi persuadé que le processus de refondation et de démocratisation de l'entreprise ne saurait être légitimé et effectif sans une réflexion sur les mécanismes d'organisation et de coordination de cet ordre privé interne (qui est propre à la communauté qu'elle incarne) : les dispositifs de gouvernance, de responsabilisation, de représentation, de rétribution et de participation. Partant, l'entreprise est un acteur de l'intérêt général, car elle participe des conditions de développement de la société par la production, mais aussi de la personne par de nouveaux droits et devoirs associés.

Virgile Chassagnon est professeur des universités à la (UGA, CREG) et directeur de l'Institut de recherche pour l'économie politique de l'entreprise.

Source : lesechos.fr, 8/03/2018

 

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements