5 - Vers une société de services ?

Facile

Document 1

Document 2

Dès 1948, avant même les Trente Glorieuses, Jean Fourastié, cet économiste visionnaire avait pressenti qu’après le monde industriel adviendrait une société de services. L’homme ayant travaillé la terre pendant des millénaires, puis la matière pendant des siècles, allait travailler l’homme lui-même. Et « le grand espoir du XXe siècle », titre de son livre, était que l’humanité allait enfin s’humaniser dans des relations de service, où chacun s’occuperait des autres. Cela signifiait la fin de l’aliénation. Il pointait le fait que cette économie engendrerait une croissance plus lente : puisque le bien que je vends est le temps que je passe avec autrui, comme soignant, comme enseignant, et que le temps n’est pas extensible, la croissance est par définition limitée. Mais cette économie plus lente était pour lui une bonne nouvelle. C’était le prix à payer pour une économie enfin humanisée.

Le problème est que l’essence du capitalisme reste, toujours et partout, la recherche obsessionnelle de la réduction des coûts. La mondialisation a permis de réduire les coûts des produits industriels, avec une main-d’œuvre toujours moins chère qu’on est allé chercher toujours plus loin. Mais comment réduire les coûts des services ? On a trouvé la solution : en numérisant les personnes, et les relations de face à face ! Le capitalisme numérique semble aujourd’hui être une réponse implicite, silencieuse, donnée à Jean Fourastié. Arrivera un moment où votre état de santé, vos goûts, vos passions, toute votre vie aura été numérisée, vous serez géré à distance par des algorithmes. La société numérique, dans un certain sens, industrialise la société de services. Et ce qui est en train de se passer, c’est tout simplement un nouveau tour de manivelle. La crise actuelle me semble porter les germes d’une formidable déshumanisation. Comment faire fonctionner une société quand on ne peut plus se voir les uns les autres ? L’économie du numérique a résolu l’équation. […]

Deux scénarios sont possibles. Dans le premier, le numérique prend la main sur nos vies. La télé-médecine, la télé-éducation, le télé-divertissement se développent et un nombre croissant d’activités sont remplacées par des algorithmes. Cela ne signifie pas la fin du travail, parce que les Bill Gates et les Mark Zuckenberg savent que c’est tout de même mieux d’avoir des gens pour s’occuper de soi plutôt que des algorithmes. Eux auront toujours des cuisiniers, des avocats, des médecins. Mais plus on s’éloignera du cœur du système, moins il y aura de travail, moins il sera rémunéré, et plus il y aura d’algorithmes pour s’occuper des personnes…

Et le second scénario ?


C’est celui où les technologies ne serviraient pas à remplacer les médecins ou les enseignants, mais à les aider à mieux s’occuper des personnes. Ce qui m’inquiète, c’est que la façon dont les technologies sont produites et inventées favorisent le premier scénario. Les jeunes gens de la Silicon Valley sont loin de la réalité du monde, leur « business model » est de faire advenir des technologies qui se substituent aux personnes, qui éliminent des métiers, afin que chacun, tout seul, avec l’application qu’ils ont créée, soit capable de s’autogérer... Amazon et Netflix sont sortis grands gagnants du confinement. Mais le jour où Amazon aura fait fermer toutes les librairies, et Netflix toutes les salles de cinéma, on sait qu’on aura perdu quelque chose d’essentiel dans la respiration de notre civilisation urbaine.

Source : Daniel Cohen : “Lorsque toute notre vie aura été numérisée, nous serons gérés à distance par des algorithmes”, Telerama, 27/05/20

 Questions :

1-    Vrai-Faux à partir du document 1

2-  Résumer la thèse de Jean Fourastié (document 2)

3-  Quels aspects positifs et négatifs Fourastié voyait-il aux transformations qu’il a analysées.

4-  Quel regard Daniel Cohen porte-t-il sur l’impact du numérique sur l’économie de services aujourd’hui ?

5-  Mais ces progrès techniques conduisent-ils nécessairement à une déshumanisation de la société ?

 

Voir la correction

1-    Vrai-Faux à partir du document 1

2-  Résumer la thèse de Jean Fourastié (document 2)

Jean Fourastié présente une analyse de l’évolution des structures économiques selon laquelle une économie fondée sur les services succèderait à une économie fondée sur l’industrie. Il allait même plus loin en présentant ces transformations économiques comme de véritables mutations sociales vers une société de services.

3-  Quels aspects positifs et négatifs Fourastié voyait-il aux transformations qu’il a analysées.

D’un côté, selon Fourastié, ces transformations constituent ce qu’il appelle « le grand espoir du XXe siècle », titre de son livre, puisque l’humanité allait s’occuper d’elle-même, des besoins humains, du bien-être …

Mais il prévoyait aussi le fait que cette économie de services génèrerait une croissance plus lente : il postulait ainsi que, par nature, les gains de productivité sont moindres dans les activités de services que dans les activités industrielles.

4-  Quel regard Daniel Cohen porte-t-il sur l’impact du numérique sur l’économie de services aujourd’hui ?

L’auteur explique que le numérique est le moyen de réduire les coûts des services et de résoudre le problème soulevé par Jean Fourastié. Selon D. Cohen, le numérique permet d’industrialiser la production de services.

5-  Mais ces progrès techniques conduisent-ils nécessairement à une déshumanisation de la société ?

Cela dépend, selon D. Cohen, des choix sociaux qui seront mis en œuvre. Soit, on privilégie les algorithmes pour remplacer les médecins, les enseignants, etc. Soit, on comprend que ces outils numériques peuvent constituer un soutien pour ces métiers de services et peuvent permettre de mieux répondre aux besoins.

 

Newsletter

Suivre toute l'actualité de Melchior et être invité aux événements