La production de génériques et l'accès des pauvres aux médicaments : le rôle des brevets et de l'OMC

Alors qu'en 2000 les leaders mondiaux ont fait de la santé une priorité des Objectifs du millénaire pour le Développement (1), la situation sanitaire des pays en développement (PED) est toujours aussi préoccupante et l'accès aux médicaments, en particulier, toujours très limité pour les populations des pays pauvres. 
S'il a été admis que les droits de propriété intellectuelle, en particulier le droit des brevets tel qu'il est énoncé dans l'Accord sur les Droits de Propriété Intellectuelle de l'Organisation mondiale du Commerce  adopté en 1995 (Accord ADPIC), ont un impact important en matière d'accès aux médicaments, l'adoption de la « Déclaration de Doha sur l'Accord ADPIC et la santé publique » en novembre 2001 (Déclaration de Doha), qui place les besoins de santé publique avant les intérêts commerciaux, n'a pas permis jusqu'à présent un plus large accès aux médicaments. Face à cette situation et depuis 2003 l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) a engagé un large débat portant sur les liens entre le droit des brevets, l'innovation et la santé publique, qui devrait aboutir à l'adoption d'un plan d'action mondial.
Si l'accès aux médicaments doit constituer un élément clé des politiques de santé publique, il faut pour autant rappeler que les activités d'innovation et de recherche et développement pharmaceutiques sont indispensables pour la mise au point de nouveaux traitements. De fait, il apparaît que le système des brevets doit être géré de façon à satisfaire aussi bien l'accès aux médicaments dans les PED que l'intérêt des entreprises pharmaceutiques qui dépensent en moyenne 800 millions de dollars, voire plus, pour la mise au point de nouveaux médicaments.

Conflit opposant accès aux médicaments et brevets pharmaceutiques

Etat de la situation sanitaire et charge financière de l'achat des médicaments dans les PED

 

Le virus du VIH/SIDA continue à se propager avec plus de 20 millions de nouvelles contaminations depuis 2001. On compte aujourd'hui 33,2 millions de personnes vivant avec le VIH/SIDA dans le monde, dont 22,5 millions pour la seule Afrique sub-saharienne (2). D'autres maladies infectieuses, comme la tuberculose et l'hépatite C, frappent sévèrement de nombreux PED. Des maladies non transmissibles (MNT), autrefois considérées comme le « fléau des riches», affectent de plus en plus les populations des PED, avec plus de 80% des décès causés par des MNT qui surviennent dans le monde en développement (3). De plus, on prévoit le doublement des taux de cancer entre 2002 et 2020, avec 60 % des cas de cancer qui devraient toucher les PED. Par ailleurs, les cas de diabète sont passés de 30 millions à 230 millions au cours des deux dernières décennies et la plupart des nouveaux cas touchent le monde en développement (4). 
Face aux crises sanitaires qui sévissent dans les PED, l'accès à des médicaments de bonne qualité et à prix abordable est essentiel pour les populations pauvres. Or, l'achat de médicaments représente pour ces populations la part la plus importante des dépenses de santé : en effet, contrairement à beaucoup de pays riches, la plupart des PED ne disposent pas d'une assurance santé universelle. Ainsi, les dépenses en médicaments représentent environ entre 10-20 % des dépenses de santé dans les pays les plus riches contre 20-60 % dans les pays les plus pauvres (5). En Asie, les médicaments représentent 20 à 80 % des dépenses de santé payées par les patients eux-mêmes. Au Pérou, où 70 % des médicaments sont payés directement, 52% seulement de la population dispose d'une assurance santé, le reste de la population vit en majorité au-dessous du seuil de pauvreté. Si la majorité des populations des pays pauvres paient eux-mêmes leurs médicaments, cela signifie qu'une augmentation même minime des prix les rend inabordables malgré leur caractère vital. Il est saisissant que les PED, où vivent plus de 80 % de la population mondiale, ne représentent qu'environ 10 % des ventes mondiales de produits pharmaceutiques.

 

La mise à l'épreuve des fondements du système de brevets dans les PED

 

Pour mieux comprendre pourquoi le système de brevets tel qu'il est appliqué dans le cadre de l'Accord ADPIC est au cœur du débat actuel sur la question de l'accès aux médicaments, il est nécessaire de rappeler la définition du brevet et quelle en est la justification fondamentale. Le brevet d'invention est un titre juridique créateur, pour son détenteur, d'un monopole temporaire d'exploitation. Cette protection dure 20 ans en moyenne, période pendant laquelle il est interdit aux tiers de fabriquer, vendre ou utiliser son invention sans son autorisation. Une fois le brevet tombé dans le domaine public au-delà de sa période de protection, chacun est libre de fabriquer des médicaments génériques (copies du médicament d'origine), de les utiliser et de les vendre sans avoir à demander à l'inventeur son autorisation. Le monopole d'exploitation créé par le brevet est justifié par le fait qu'il permet de récompenser l'entreprise pour son investissement en recherche et développement, ce qui est la condition même de réalisation de tout investissement. D'autre part, comme le monopole temporaire accordé au déposant doit être compensé par la publication des savoirs techniques apportés par l'invention, les Offices de brevets publient des bases de données qui permettent à chacun de s'informer des dernières inventions afin de leur permettre d'innover à leur tour sur la base des savoirs publiés. 
Négocié au cours du cycle d'Uruguay qui s'est tenu de 1986 à 1994, l'Accord ADPIC introduit pour la première fois des règles relatives à la propriété intellectuelle, notamment au droit des brevets, dans le système de commerce international. Il le fait en fixant des niveaux minimums de protection de la propriété intellectuelle que chaque Etat-membre de l'OMC doit assurer, indépendamment de son niveau de développement. L'article 27.1 de l'Accord ADPIC interdit les discriminations quant au domaine technologique, ce qui inclut de fait les produits pharmaceutiques dans le champ de brevetabilité. Jusqu'alors, de nombreux PED arguaient du motif de la santé publique pour ne pas respecter les règles de la propriété intellectuelle. C'était notamment le cas de l'Inde, de l'Afrique du Sud, de Cuba et du Brésil, tous dotés de fortes capacités technologiques pour la production de médicaments génériques. 

Cependant, si le système des brevets tel qu'il est appliqué aujourd'hui permet certainement de promouvoir l'innovation dans les pays développés, il est de plus en plus apparu qu'il n'était pas adapté aux besoins des pays pauvres dont les capacités technologiques sont insuffisantes pour accéder au dépôt de brevets et dont les populations souffrent de budgets trop limitées pour accéder aux derniers médicaments, c'est-à-dire aux inventions encore protégées par des brevets. 
Parallèlement, et pour amplifier ce phénomène, les facteurs qui stimulent l'innovation aboutissent rarement à la prise en considération des pathologies qui touchent proportionnellement davantage les populations des PED. Par exemple, sur les 1325 nouveaux médicaments lancés entre 1975 et 1977 (6), 11 seulement étaient spécifiquement destinés au traitement des maladies tropicales. Le processus de mise au point d'un nouveau médicament étant long, coûteux et risqué, les firmes pharmaceutiques ne s'aventurent dans les activités de recherche et développement que sous la double condition d'un environnement favorable à l'innovation et de l'existence d'un marché lucratif.
Ainsi, loin d'encourager les activités de R&D et d'innovation dans ces pays, le système de brevets y limite au contraire l'accès aux nouvelles technologies, notamment les innovations pharmaceutiques. Cet échec du système de brevets dans les PED s'explique fondamentalement par le manque d'infrastructures technologiques et scientifiques qui ne permet ni la diffusion ni la promotion de l'innovation, et surtout par la faible capacité financière de la population qui n'assure pas aux entreprises pharmaceutiques un marché lucratif pour la conduite d'activités de R&D portant sur la mise au point de traitements spécifiques à leurs besoins sanitaires ni ne permet à ces populations d'avoir accès aux médicaments brevetés, dont le prix est fixé dans une logique de monopole de marché et non pas dans un logique de marché concurrentiel.
On aboutit ainsi à une sorte de cercle vicieux qui veut que, si la pauvreté entretient la crise sanitaire, la crise sanitaire entretient à son tour la pauvreté. Ce cercle vicieux se double d'un dilemme quant aux priorités stratégiques : d'un côté, le développement technologique et économique des PED nécessite la conduite d'actions d'ordre structurel sur le long terme, de l'autre, l'urgence de la situation sanitaire impose des actions à court et moyen terme pour assurer au plus vite un meilleur accès de la population aux médicaments. Dans cette perspective, l'utilisation des flexibilités inscrites dans l'Accord ADPIC est d'une importance capitale.

 

Les flexibilités de l'Accord ADPIC pour la santé publique

Les périodes de transition

 

Si chaque Etat-membre de l'OMC doit assurer le respect des dispositions de l'Accord ADPIC, des dispositions transitoires ont été adoptées pour les pays en développement et les pays les moins avancés. Ainsi, les pays en développement avaient jusqu'au 1er janvier 2000 pour se mettre en conformité avec les dispositions de l'Accord ADPIC, mais ceux d'entre eux qui n'accordaient pas de protection par brevet aux produits pharmaceutiques à la date où l'Accord est entré en vigueur disposaient d'un délai de dix ans pour assurer cette protection, soit jusqu'au 1er janvier 2005. C'était notamment le cas de l'Inde, qui est l'un des rares pays en développement à disposer d'une capacité de production qui lui permet de fabriquer des médicaments essentiels. L'Inde a donc du adopter une nouvelle loi sur les brevets le 1er janvier 2005 qui reconnaît pour la première fois la brevetabilité des produits pharmaceutiques. Jusqu'à l'application de l'Accord ADPIC en 2005, les producteurs indiens de génériques ont pu commercialiser aussi bien sur le marché domestique que dans de nombreux pays en développement qui dépendent de l'Inde pour leur approvisionnement en médicaments, des antirétroviraux (ARV) beaucoup moins chers que ceux des entreprises multinationales : 360 $ contre 10.000 $ par patient et par année. Par la suite, les prix ont encore chuté, pour atteindre le prix actuel de 136 $. Grâce à cette baisse des prix des ARV, encouragée par la concurrence des génériques, le nombre de personnes bénéficiant d'un traitement a augmenté de manière significative, atteignant 1,6 million en 2006 dans les pays en développement (7). Au total, plus de 50 % des médicaments utilisés dans les PED pour traiter les malades du VIH/sida proviennent d'Inde.

Quant aux pays les moins avancés, ils avaient à l'origine jusqu'au 1er janvier 2006 mais une décision du 30 novembre 2005 a permis de reculer la date limite au 1er juillet 2013. Cette période a été prolongée jusqu'au 1er janvier 2016 en ce qui concerne la brevetabilité des seuls produits pharmaceutiques.

 

Les flexibilités inscrites dans l'Accord ADPIC

 

Les mécanismes d'exception au droit des brevets prévus par l'Accord ADPIC visent à permettre un accès plus aisé des populations des PED aux médicaments. Les exceptions au droit des brevets sont régies par l'article 30 de l'Accord ADPIC, qui stipule que « les membres pourront prévoir des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par le brevet à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière injustifiée à l'exploitation normale du brevet ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts légitimes de chacun ». En particulier s'agissant des produits pharmaceutiques, l'article 8(1) de l'Accord ADPIC stipule que, au nom de la santé publique, les médicaments peuvent faire l'objet des exceptions prévues par l'article 30. Tout en rappelant ces exceptions, la Déclaration de Doha de 2001 a comme principe fondamental que l'Accord ADPIC « peut et devrait être interprété et mis en œuvre d'une manière qui appuie le droit des Membres de l'OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l'accès de tous aux médicaments ». La Déclaration confirme le droit des Membres de l'OMC de recourir aux flexibilités de l'Accord, telles que les licences obligatoires et les importations parallèles.

 

Les licences obligatoires

 

Les licences obligatoires visées par l'Accord ADPIC (article 31) interviennent lorsque les pouvoirs publics autorisent un tiers à fabriquer le produit breveté ou à utiliser le procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet. L'Accord ADPIC ne mentionne pas expressément les raisons qui pourraient être invoquées pour justifier l'utilisation des licences obligatoires. Cependant, la délivrance de licences obligatoires et l'utilisation d'un brevet par les pouvoirs publics sans l'autorisation de son titulaire ne sont possibles que moyennant un certain nombre de conditions visant à protéger les intérêts légitimes du détenteur du brevet. Ainsi, le candidat utilisateur du brevet doit s'être préalablement efforcé d'obtenir, sans succès, l'autorisation du détenteur (licence volontaire) pour fabriquer le produit breveté ou utiliser le procédé breveté à des conditions commerciales « raisonnables ». Néanmoins, il peut être dérogé à cette obligation dans les « situations d'urgence nationale ou d'autres circonstances d'extrême urgence ou en cas d'utilisation publique à des fins non commerciales ». Le titulaire du brevet conserve ses droits sur le brevet, y compris un droit à rémunération pour les copies autorisées des produits brevetés. En prenant pour exemple la Thaïlande, un rapport de la Banque mondiale (8) indique qu'« en utilisant une licence obligatoire pour réduire le coût des thérapies de seconde ligne de 90%, le gouvernement royal de Thaïlande diminuerait ses charges budgétaires à venir de 3,2 milliards de dollars en valeur actualisée d'ici à 2025 ».

 

L'importation de licences obligatoires

 

L'Accord ADPIC ne traite pas des pays qui n'ont pas de capacités de fabrication propres, et qui ne peuvent donc pas utiliser d'eux-mêmes le système des licences obligatoires. En effet, l'article 31f) de l'Accord sur les ADPIC prévoit que les produits fabriqués dans le cadre de licences obligatoires doivent être utilisés “principalement pour l'approvisionnement du marché intérieur”. Si cette disposition s'applique aux pays qui disposent de capacités de production pharmaceutique suffisantes, elle a une incidence certaine sur les pays qui n'ont ni le savoir-faire ni les moyens matériels, humains ou financiers pour fabriquer des médicaments génériques, et qui se trouvent donc dans la nécessité de les importer. Pour résoudre ce problème, une décision a été adoptée le 30 août 2003 par le Conseil ADPIC qui permet aux pays qui ne sont pas en mesure de fabriquer eux-mêmes les médicaments, en dérogation à l'article 31f) de l'Accord ADPIC, d'importer sur leur territoire des produits génériques fabriqués dans le cadre de licences obligatoires. La décision du 30 août 2003 étant provisoire, une autre décision adoptée en décembre 2005, qui reprend les dispositions relatives à l'importation de licences obligatoires, vise à amender l'Accord ADPIC de façon permanente. Cependant, cet amendement n'entrera en vigueur que lorsque 2/3 des Etats-membres, soit 100 membres au total, l'auront accepté, et ce avant la date limite qui, de décembre 2007 à l'origine, a été repoussée à 2009. Aujourd'hui, seuls 41 membres (dont les 27 Etats-membres de l'Union européenne ainsi que la Commission européenne) l'ont ratifié – soit environ 27% des membres.

L'esprit de Doha dans la pratique

Le maniement du système de brevets contraire à l'esprit de Doha

 

Les critères essentiels de brevetabilité tels qu'énoncés par l'Accord ADPIC sont la nouveauté, l'inventivité et l'application industrielle des inventions. Si l'Accord ADPIC rend ces critères obligatoires pour l'octroi d'un brevet d'invention, il n'en donne cependant aucune définition, ce qui laisse une certaine marge de manœuvre aux Etats-membres.  
Dans la pratique, on remarque que, bien que le nombre de brevets octroyés pour de réelles innovations pharmaceutiques soit très limité et tend même à diminuer très sensiblement (le nombre de nouvelles molécules approuvées par la Food and Drugs Administration aux Etats-Unis a baissé de 53 en 1996 à 17 en 2002), des milliers de brevets pharmaceutiques sont pourtant délivrés chaque année. La plupart de ces brevets portent sur des modifications mineures d'anciens médicaments (modifications des formulations galéniques, combinaisons de principes actifs déjà connus, nouveaux dosages de médicaments déjà connus). Ainsi, selon le National Institute for Health Care Management des Etats-Unis, entre 1989 et 2000, seuls 153 brevets pharmaceutiques délivrés par l'USPTO, soit 15% du nombre total des brevets pharmaceutiques octroyés sur cette période, ont visé des médicaments réellement innovants qui démontrent une amélioration clinique sensible. 
Ce constat met en évidence une certaine faiblesse des procédures d'examen de brevets ainsi que des normes de brevetabilité qui a pour effet, contrairement à l'esprit de Doha qui souhaite promouvoir la santé publique, de prolonger la période de protection du médicament et de retarder d'autant la pénétration sur le marché de médicaments génériques moins chers.  

Il y a donc une certaine marge de manœuvre que les PED peuvent exploiter pour encourager le développement des génériques une fois la période de protection par brevet expirée. L'exemple le plus récent d'un Etat qui a exclut de la brevetabilité certaines formes de médicaments est celui de l'Inde dont l'article 3(d) de la loi sur les brevets de 2005 stipule que les nouvelles formes ou les nouvelles utilisations de substances déjà connues ne sont pas des inventions. Elles ne peuvent donc pas faire l'objet d'un brevet sauf si la preuve est apportée que « l'efficacité de la substance en est améliorée ». En mai 2006, Novartis a contesté cette disposition après que son brevet sur le Glivec® (imatinib mesylate), médicament anticancéreux, ait été rejeté en janvier 2006 au motif que ce médicament était une nouvelle formulation d'un médicament existant déjà et n'était donc pas brevetable en Inde. Selon Novartis, l'article 3(d) est contraire à l'Accord ADPIC et doit donc être déclaré anticonstitutionnel. En août 2007, la Cour suprême indienne s'est déclarée incompétente pour décider de la conformité de cette disposition avec l'Accord ADPIC et s'en est remise au Conseil ADPIC de l'OMC. Novartis vend Glivec® au prix de 1.44 million de Roupies (26 000 dollars US) par patient par année. Les versions génériques du médicament coûtent en Inde environ 96 000 Roupies (2 100 dollars US) par patient par année.

 

La position des pays industrialisés au regard des flexibilités de l'Accord ADPIC

 

Les pays développés, poussés par l'industrie pharmaceutique, ont tenté, du moins au début, d'empêcher l'utilisation par les PED des flexibilités de l'Accord ADPIC. Le premier cas qui a sensibilisé fortement l'opinion publique mondiale au problème de l'accès aux médicaments dans les PED est survenu en 2001, lorsque 39 entreprises pharmaceutiques ont intenté ensemble un procès contre l'Afrique du Sud. Le procès visait le Medicine Act de 1997 qui permettait l'octroi de licences obligatoires pour faciliter l'accès aux médicaments dans un pays qui, avec ses 5,5 millions de personnes infectées par le VIH/SIDA, détient le triste record du plus grand taux de prévalence du virus au monde. Face à la vague d'émotion inattendue suscitée partout dans le monde, les entreprises pharmaceutiques ont finalement été contraintes de retirer leur plainte.  
Pour tenter de limiter l'usage par les PED des flexibilités de l'Accord ADPIC, les Etats-Unis, usant de pression commerciale, ont négocié de nombreux accords de libre-échange bilatéraux et régionaux qui comportent des règles de propriété intellectuelle plus strictes que celles de l'Accord ADPIC, nommées pour cette raison «ADPIC-plus», et qui retardent d'autant la mise à disponibilité des médicaments génériques abordables. Ce type d'accord de libre-échange a déjà été conclu avec la Jordanie (2000), le Chili (2003), Singapour (2003), l'Australie (2004), le Bahreïn (2004), cinq pays d'Amérique latine (2004), le Maroc (2004) et le Pérou (2005). 
Le Canada a été le premier pays industrialisé, en mai 2004, à adopter une législation qui autorise l'octroi de licences obligatoires pour la fabrication de produits pharmaceutiques destinés à l'exportation vers les PED ne disposant pas de capacités de production propres. En Europe, le Règlement (CE) N° 816/2006 adopté le 17 mai 2006 et directement applicable au sein des Etats-membres de l'Union européenne, autorise également l'octroi de licences obligatoires destinées à l'exportation. Les Etats-Unis, quant à eux, n'ont adopté aucune législation en la matière. En octobre 2007, la Commission européenne s'est engagée à ne pas inclure, dans les accords de partenariat économique négociés avec environ 80 pays d'ACP, de dispositions relatives à la propriété intellectuelle qui limiteraient l'accès aux médicaments

 

Bilan sur l'utilisation effective des licences obligatoires

 

Jusqu'à présent, seuls l'Afrique du sud, la Zambie, le Zimbabwe, la Malaisie, le Ghana, l'Indonésie, Swaziland, la Thaïlande et le Brésil ont émis des licences obligatoires. Récemment, la Thaïlande a émis, sur la base de l'article 51 de la loi thaïlandaise sur les brevets, trois licences obligatoires : le 26 janvier 2007 pour le clopidogrel (Plavix, produit par Sanofi-Aventis), utilisé dans le traitement de maladies cardio-vasculaires, et pour la formulation lopinavir/ritonavir (Kaletra, produit par Abbott), utilisée dans le traitement contre le VIH/SIDA ; le 29 novembre 2006 pour l'éfavirenz (Stocrin, produit par Merck Sharp & Dohme), utilisé également dans le traitement contre le VIH/SIDA. La Thaïlande avait auparavant tenté de négocier des baisses de prix avec les trois entreprises, avant de recourir au mécanisme des licences obligatoires. L'efivarenz produit par Merck Sharp & Dohme coûtait auparavant 41 US$ pour une bouteille de 30 pilules contre 16 US$ pour la version générique. Le prix du médicament princeps a par la suite été abaissé à 22 US$. Par ailleurs, le Gouvernement thaïlandais a déclaré qu'environ 15% des médicaments brevetés en Thaïlande pourraient faire l'objet de licences obligatoires, sur la base de motifs sociaux solides justifiant l'octroi de telles licences et à défaut d'obtenir une baisse des prix. A noter qu'en janvier 2008, la Thaïlande a renoncé à recourir à une licence obligatoire sur le Glivec (imanitib), un médicament anticancéreux produit par Novartis, après que l'entreprise ait accepté de le fournir gratuitement dans le cadre d'un programme d'assurance santé universelle qui bénéficie à 48 millions de personnes. Environ 1000 patients auront accès chaque année au Glivec, dont la version brevetée est commercialisée à environ 109$ pour un comprimé de 400 mg. En moyenne un patient prend un comprimé par jour, ce qui coûterait environ 39 800$ par an. Le Brésil a émis une seule licence obligatoire, le 6 mai 2007, pour le traitement anti-SIDA éfavirenz (Stocrin, produit par Merck Charp & Dohme), utilisé par 38% des patients atteints du VIH-SIDA au Brésil. 

Le Rwanda est le seul pays à avoir utilisé la possibilité d'importer une licence obligatoire. Ainsi, le laboratoire canadien Apotex a été autorisé en août 2007 par GlaxoSmithKline à utiliser deux de ses molécules antirétrovirales pour produire un médicament générique contre le SIDA, le TriAvir, à destination du Rwanda. Le gouvernement rwandais avait au préalable notifié à l'OMC son intention d'importer 260 000 boîtes de TriAvir sur deux ans. 

Le fait que la première – et seule – utilisation des importations de licences obligatoires ne soit survenue que quatre ans après l'adoption de l'amendement de 2003 est la preuve, pour beaucoup de PED, de la complexité de sa mise en œuvre ainsi que des pressions exercées par les pays industrialisés, Etats-Unis en tête, dont ils font l'objet. L'urgence sanitaire dans les pays pauvres impose pourtant un usage équilibré du système des brevets et la promotion des flexibilités inscrites dans l'Accord ADPIC.

 

(1)  Sur les huit OMD, trois concernent la santé : la réduction de la mortalité infantile, l'amélioration de la santé maternelle et la lutte contre le VIH et le SIDA, la malaria et d'autres maladies.
(2) ONUSIDA, Rapport sur l'Epidémie mondiale de SIDA, 2007.
(3)  OMS, “Chronic diseases and their common risk factors”,  disponible sur le site de l'OMS
(4)  “Poor nations struggle to cope with diabetes surge”, Detroit Free Press, 11 juin 2006.  
(5) OMS, “The World Medicines Situation”, Chapitre 5, 2004. disponible sur le site de l'OMS
(6) Droits de propriété intellectuelle, innovation et santé publique, Rapport du Secrétariat, OMS, 2003
(7) ONUSIDA, Rapport sur l'Epidémie mondiale de SIDA, 2006. 
(8) « Expanding Access to antiretroviral treatment in Thailand », WB, 2005

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