Europe et intégration sociale

L'identité est ce qui rend chacun tout à la fois semblable à lui-même et différent des autres, ce par quoi il se définit et se sent reconnu par autrui. Elle est également constituée des éléments grâce auxquels une communauté se rassemble. L'identité d'un peuple se fonde ainsi sur la conscience d'une civilisation et d'un destin communs. Or, définir l'identité européenne apparaît comme une entreprise difficile, dans la mesure où l'Europe elle-même renvoie à une réalité équivoque, malaisée à cerner. Percevoir une culture ou des valeurs communes semble pourtant primordial pour l'édification harmonieuse de l'Union européenne, qui ne peut fonder sa construction uniquement sur l'économie. Alors même qu'elle s'élargit à dix nouveaux membres, comment peut-on qualifier le regard que portent sur elle ses citoyens ? Et grâce à quels éléments peut-on tenter de renforcer sa cohésion sociale ?

Où en est le sentiment d'appartenance à l'Europe ?

L'attachement à la nation, toujours et avant tout

 

    Mesure du sentiment d'appartenance


Les enquêtes réalisées par Eurobaromètre permettent de cerner avec une certaine précision le regard des citoyens sur l'Union. Le sentiment d'appartenance est l'expression d'un attachement, nourri par la confiance en l'institution. Or, des différences notables apparaissent entre les pays. En 2003, 76% des Luxembourgeois se disaient attachés à l'Europe, 68% des Italiens, mais seulement 41% des Anglais. Traditionnellement, le Luxembourg et l'Italie apparaissent comme les plus fervents soutiens de la construction européenne, quand la Suède et la Grande-Bretagne sont les plus suspicieux. Par ailleurs, quand on demande à la population de définir son identité – européenne, européenne puis nationale, nationale puis européenne, ou nationale –, elle cite largement son pays d'origine, six pays (dont cinq fondateurs) sur quinze privilégiant cependant la rubrique"nationale puis européenne". Il semble bien que la socialisation de l'individu soit avant tout nationale, que l'on s'identifie d'abord aux cercles les plus restreints, comme l'atteste le sondage réalisé fin 2003 : 91% des Quinze se disent très ou assez attachés à leur pays, 89% à leur ville ou leur village, 87% à leur région et 58% à l'Europe. Enfin, la fierté nationale l'emporte : 59% des Français sont ainsi très ou assez fiers d'être Européens contre 86% d'être Français.
 

    La citoyenneté


Le concept de citoyenneté européenne est apparu dans le traité de Maastricht. Il consacre en particulier le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales et européennes pour les membres résidant dans un autre pays de l'Union, et la liberté de circuler et séjourner librement dans les États. Il s'agit ainsi de consacrer le passage d'une communauté économique à une union politique, mais les mesures semblent insuffisantes. De fait, il n'existe guère d'opinion publique européenne, et la population reste passive, comme l'atteste le taux de participation aux élections. L'abstention aux européennes de 1999 a ainsi atteint 70% aux Pays-Bas, 77% en Grande-Bretagne. Par ailleurs, les résidents étrangers profitent peu de leur nouveau droit : à peine 5% en 1994 a ainsi voté dans son lieu de résidence, l'essentiel préférant retourner voter dans son pays natal. Et 50% seulement des Européens sont favorables au droit de vote pour les étrangers citoyens de l'UE aux municipales.
 

Des citoyens entre attentes et craintes

 

    Des connaissances floues


Les Européens démontrent également leur attachement relatif à l'Union par l'intérêt limité qu'ils lui portent. Conséquence : leurs connaissances sont peu étendues, tant sur les institutions – si 91% en 1999 disent avoir déjà entendu parler du Parlement européen, ils ne sont que 31% à connaître le médiateur européen – que sur leurs droits. Et même si le niveau d'études ou l'âge introduisent des différences sensibles, c'est bien le vague qui prédomine dans les esprits. Les institutions sont perçues comme un pouvoir abstrait, lointain, bureaucratique. On craint le manque de transparence et la multiplication des réglementations : 74% aimeraient ainsi que l'Union soit plus proche des citoyens et les informe davantage.
 

    Attentes et craintes


Pour que les Européens se sentent plus attachés à l'UE et s'y intéressent davantage, sans doute faudrait-il qu'ils puissent constater qu'elle participe effectivement à l'amélioration de leurs conditions de vie. Leurs attentes sont en effet très claires : 90% voient comme priorité de l'Europe la lutte contre le chômage, 89% la préservation de la paix et de la sécurité sur le continent. L'accueil de nouveaux membres arrive bon dernier, loin derrière les autres préoccupations (27% en 2003).

Les craintes sont également assez semblables d'un pays à l'autre. Avec la construction européenne, on appréhende le développement du crime organisé, ou des difficultés grandissantes pour les agriculteurs nationaux. Les peurs liées à une perte d'identité, si elles recueillent aussi des pourcentages importants, n'arrivent qu'ensuite : 46% craignaient ainsi la disparition de leur culture nationale en 1999, et 39% redoutaient que leur langue soit de moins en moins utilisée.
 

La question de l'élargissement

 

    Les Quinze et l'élargissement


En 1999, le soutien des Quinze à l'élargissement variait beaucoup en fonction du pays candidat : Malte remportait la plus forte adhésion (49%), tandis que la Slovénie arrivait bonne dernière avec 34% – seule la Turquie donnait alors lieu à davantage de suspicion. Et si, globalement, les Européens voient dans l'élargissement un moyen de donner davantage d'importance à l'UE sur la scène internationale (72%) et de l'enrichir culturellement, ils sont plus circonspects à l'égard des conséquences économiques : ils pensent dans l'ensemble que l'élargissement coûtera cher à leur pays, et que celui-ci recevra moins d'aides. À six mois de l'entrée des Dix, 47% des Quinze étaient favorables à leur arrivée, et 36% contre. La Grèce était la plus enthousiaste, quand la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France formaient le peloton de queue. Enfin, 23% des Européens souhaitaient que l'Union arrête là son élargissement, cette moyenne tombant à 6% en Espagne, mais atteignant 41% en France, qui se distingue encore par ses réticences particulièrement fortes.

  Sentiment d'appartenance chez les nouveaux membres


Fin 2003, 52% des personnes interrogées estimaient que leur appartenance prochaine à l'Union était une bonne chose, et 12% désapprouvaient cette entrée. Ces résultats sont donc proches de ceux des Quinze, 57% de ceux-ci étant alors contents de leur propre appartenance à l'Union, et 11% non. Les réponses ne diffèrent pas fondamentalement non plus sur la définition de l'identité – européenne et/ou nationale –, et ce d'autant plus que l'on retrouve la même hiérarchisation dans l'attachement : pays/ville/région/Europe. Des différences véritables sont néanmoins à noter entre les pays.

Si les Dix peuvent paraître aussi attachés que leurs voisins à l'UE, leurs connaissances en la matière sont en revanche encore bien plus limitées. Ainsi, 22% ignorent que l'Union était, jusqu'à leur arrivée, composée de quinze pays, et 35% qu'il n'y a pas de frontières entre eux. Un gros effort va donc devoir être fait par les autorités pour combler ces lacunes ; sans ces connaissances de base en effet, il sera bien difficile de permettre une intégration sociale.

 

 

Sur quoi fonder une possible identité européenne ?

Un héritage commun ?

 

    "L'Europe, c'est la Bible et l'Antiquité" (Jaspers)


Histoire et religion représentent deux composantes majeures dans la constitution d'une identité. Or, l'on s'accorde habituellement pour définir l'héritage européen comme étant le résultat des influences grecque, romaine et chrétienne. La Communauté européenne a souligné ce point dès 1976. L'on considère ainsi que la civilisation grecque a légué à l'Europe la philosophie, tandis que Rome est à l'origine de son système de droit. Le christianisme, enfin, a placé l'individu au centre de son système, introduisant en Europe les idées d'égalité et de liberté. Or, avoir conscience d'une identité culturelle commune peut se révéler important pour la constitution d'un sentiment européen et d'une cohésion sociale. Cela contribue en effet à découvrir l'autre en partie semblable à soi, et permet ainsi un regroupement, fondé sur le passé, mais tourné vers l'avenir. Maurice Blin note ainsi :"“Si c'était à refaire, je commencerais par la culture''. Cette phrase qu'on a prêtée à Jean Monnet (…) n'a sans doute jamais été prononcée. Elle n'en souligne pas moins une évidence. L'Europe se définit moins par la géographie que par la communauté de culture qui unit ses peuples" (L'Europe et la culture, Les Rapports du Sénat, 2000-2001).
 

    Les limites


Certains ne sont pourtant pas satisfaits par cette idée. Anne Morelli ("Citoyenneté européenne et culture", Cahiers internationaux du symbolisme, 1995) souligne ainsi que l'Europe n'a jamais été uniquement chrétienne, comme l'attestent certains de ses plus grands penseurs comme Spinoza. De même, le monde romain s'est étendu à l'Afrique du Nord et à la Palestine, mais non à l'est du Rhin. Philonenko souligne quant à lui que faire du latin un patrimoine commun est impossible, dans la mesure où cela ne règle pas le problème de la Russie, à ses yeux partie intégrante de l'Europe. Voilà pourquoi celle-ci"est, primordialement, le continent de la métaphysique. Toute autre définition se révèle trop étroite ou trop large" (L'Archipel de la conscience européenne, Bayard Éditions/Centurion, 1997). Il ne semble pas toutefois qu'il faille négliger le patrimoine antique et chrétien, car s'il ne peut englober l'ensemble des pays de l'UE, il est sans doute celui qui correspond à la plus large part.
 

Des sociétés structurellement proches

 

    Les spécificités sociales de l'Europe


Pour Hartmut Kaelble (Vers une société européenne, Belin, 1987), l'intégration européenne ne relève pas uniquement de la haute politique et des marchés économiques, mais s'appuie sur l'histoire de ses sociétés, dotées de caractéristiques propres, distinctes de celles des États-Unis ou du Japon. En voici quelques-unes :
 

-    la famille est essentiellement nucléaire, ce qui explique la nécessité d'une protection sociale plus développée ;

-    le"réseau des milieux sociaux" ne s'estompe que dans les années 1960 et l'Europe conserve un retard dans le domaine de la mobilité sociale ; en revanche, les inégalités sociales sont moins fortes ;

-    le secteur industriel a longtemps prédominé dans la répartition de la population active.


De plus, les sociétés européennes se caractérisent par leur ancienneté et leur répartition en un très grand nombre d'États indépendants.
 

    L'intensification des échanges


Depuis la Seconde Guerre mondiale, les sociétés européennes ont intensifié leurs relations, en particulier grâce à l'internationalisation des économies, qui a développé les échanges de main-d'œuvre et la maîtrise des langues, à l'évolution des transports et à la diffusion de la démocratie. En 1994, 80% du commerce international des pays européens se faisait entre pays européens, 4/5 des voyages d'affaires et du tourisme en Europe étaient le fait d'Européens. Quant aux mariages entre étrangers, il s'agit souvent d'unions entre Européens.
 

Valeurs européennes ou occidentales ?

 

    La garantie des droits fondamentaux


Si le Conseil de l'Europe, créé en 1949, garantit la démocratie et les droits de l'homme, ces notions restent absentes des traités fondateurs, résolument économiques. Un pas décisif est donc franchi avec le Traité sur l'Union européenne :"L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme (…), principes qui sont communs aux États membres". Grâce à cet article,"l'Union s'insère désormais dans un modèle de société démocratique et non plus seulement dans le cadre de l'établissement du marché unique. Les contours de l'identité européenne sont tracés" (Inès Trépant, Pour une Europe citoyenne et solidaire, De Boeck, 2002). Et il est vrai que, à la suite des Lumières, l'on a tendance à présenter les cultures européennes comme"fondées notamment sur une tradition séculaire d'humanisme laïc et religieux, source de leur attachement inaliénable à la liberté et aux droits de l'homme" (résolution 885 de la Communauté, 1987).
 

    La recherche d'une spécificité


Or, définir avec précision quelles sont les valeurs de l'Europe est important dans la mesure où celles-ci constituent un idéal que la société propose à ses membres, et qui doit guider leurs pensées et leurs actes. Toutefois, dans quelle mesure ces valeurs peuvent-elles véritablement servir de fondement identitaire à l'Europe ? Pour l'être, il faudrait que l'Union seule les prône. L'identité implique en effet une négation de ce qu'elle n'est pas, une prise de conscience de la différence. L'identité européenne doit donc reposer sur une conscience d'être Européen, par opposition à ce qui ne l'est pas. Or, les valeurs reconnues pour siennes par l'Union ont vocation à l'universalité. En cela, elles ne peuvent véritablement fonder une identité séparée. Bien plus, ces valeurs sont l'apanage d'autres sociétés démocratiques et non européennes, à commencer par les États-Unis. Or, les peuples européens ont d'autant plus besoin d'avoir à l'esprit leurs différences avec ceux-ci que la disparition du bloc soviétique a privé l'identité européenne de son principal référent d'opposition. L'Europe n'est pas l'Occident, et elle le démontre bien par son refus de certaines influences américaines. Aux yeux de certains, elle accorde une place prépondérante à la vie humaine, comme en témoignent l'abolition de la peine de mort ou la législation rigoureuse sur la détention d'armes ; parallèlement, l'État social implique une communauté de destin qui entraîne une responsabilité collective et non seulement individuelle. Le passé de l'Europe est enfin celui d'une histoire déchirée par bien des antagonismes récents : impérialisme, totalitarisme, nationalisme. Cependant, la manière dont a été célébrée le soixantième anniversaire du débarquement en juin 2004 montre une volonté de transcender les clivages du passé qui est un gage pour l'avenir. 
 

Comment développer l'intégration sociale en Europe ?

Exposé de quelques mesures

 

    Les symboles


Dès 1975, le rapport Tindemans souligne que la construction européenne doit être ressentie dans la vie quotidienne. La Commission des Communautés européennes prend cet aspect en compte en 1984, en évoquant la question du franchissement des frontières, qui est,"pour le citoyen européen, l'expression symbolique la plus visible de la non-existence de l'Europe". Un an plus tard, le rapport Adonnino propose l'adoption d'une série de symboles. Parmi eux, le choix d'un drapeau et d'un hymne. Toutefois, ceux-ci sont bien mal connus, si ce n'est par les Quinze, du moins par les nouveaux arrivants : fin 2003, si 87% des personnes interrogées étaient en mesure de dire que le drapeau était bleu avec des étoiles dorées, elles n'étaient que 13% à savoir qu'il ne contenait pas quinze étoiles.
 

    La place particulière de l'euro


L'euro bénéficie d'une place particulière, dans la mesure où son existence se trouve d'abord légitimée par des raisons économiques, et où il peut dès lors sembler étrange de le réduire à un symbole. Mais la monnaie est depuis longtemps associée au pouvoir régalien et à la puissance d'un pays, et y renoncer n'était donc pas chose aisée. L'euro est ainsi susceptible de jouer un rôle dans le développement d'un sentiment européen ; il établit en effet un lien social entre les pays. Il délimite par ailleurs l'espace européen – du moins en partie – et un euro fort peut apparaître comme un moyen d'affirmer l'identité européenne. Là encore cependant, le soutien à l'euro varie beaucoup d'un pays à l'autre.

  Le rôle des médias


Avec le développement du câble et du satellite, l'on a pu noter l'apparition de programmes destinés à renforcer le sentiment d'appartenance. En 1992 est créée Arte – Association relative aux télévisions européennes –, chaîne née d'une association franco-allemande. Trois ans plus tôt était mise en place la directive"Télévision sans frontières", visant la création d'un marché commun de radiodiffusion et la promotion des œuvres européennes par l'instauration de quotas. Mais celle-ci s'appuyait sur des motivations économiques et non seulement culturelles ou identitaires. Son rôle apparaît cependant d'actualité alors que des pays de l'Est rejoignent l'Union. Depuis l'effondrement du bloc soviétique, ceux-ci ont en effet donné une grande place aux productions américaines. Enfin, les médias jouent aussi un rôle au plan national, par la diffusion des informations concernant l'Europe. En 2003, 37% des Européens jugeaient que les médias accordaient trop peu de place à ce sujet, 44% qu'ils en parlaient suffisamment et 11%, trop.
 

Des pistes à explorer

 

    Développer la citoyenneté européenne


Si les droits accordés par Maastricht peuvent fortifier un sentiment d'appartenance, ils sont insuffisants pour fonder la citoyenneté européenne, qui reste"épisodique, limitée à des périodes ou à des situations particulières" (Paul Magnette, La Citoyenneté européenne, éditions de l'Université de Bruxelles, 1999). En comparaison avec les droits et devoirs liés à la citoyenneté d'un État, celle de l'UE apparaît peu développée. A cet égard, la carte européenne d'assurance-maladie est un progrès ambigu. C'est un progrès dans la mesure où chaque citoyen pourra se faire soigner dans chacun des vingt-cinq pays de l'Union Européenne et être remboursé selon les modalités propres à son régime d'affiliation ; c'est une ambiguïté dans la mesure où le degré de solidarité sociale n'est pas élargi à l'Europe. Cette dernière idée est peut-être une illusion dans la mesure où nombre de Français bénéficient d'un régime particulier qu'ils ne voudraient pas voir fondre dans le régime général ! A la limite, l'Europe de la Sécurité Sociale ressemble à l'Europe de l'assurance ou du téléphone où des compagnies (publiques ou privées) échangent des droits acquis par leurs sociétaires ou leurs clients. C'est pratique, mais cela ne contribue que modestement à un sentiment d'appartenance communautaire. 

Parallèlement, la citoyenneté européenne est davantage compromise que soutenue lorsque des hommes politiques, au niveau national, utilisent l'Europe comme un bouc émissaire. Il en est ainsi en matière de politique économique lorsque l'on estime que la France a renoncé à la maîtrise de sa politique monétaire au bénéfice de l'Europe alors même que l'indépendance de la Banque de France devait, de toutes façons, la mettre à l'abri des pressions politiques directes. Il en est encore ainsi lorsque l'on reproche à Bruxelles un Pacte de stabilité pourtant avalisé par la représentation politique nationale. Même les élections européennes sont transformées en test national lorsque, le 6 juin 2004, F. Hollande déclare sur Europe 1 :"Ce que nous mesurerons, c'est ce que représente la gauche de gouvernement, ce que représente la droite de gouvernement. C'est vrai que si la gauche fait davantage que la droite, le problème est posé quant à l'avenir de ce gouvernement" (Le Monde du 8 juin 2004, p. 12).
 

    Le rôle du sport


Depuis la victoire des"bleus" dans le"Mondial 1998", il est devenu manifeste que le sport concrétise un sentiment d'appartenance. Les compétitions sportives européennes se multiplient ou s'élargissent (Tournoi des 6 nations). Pourtant, il n'y a pas de représentation sportive européenne dans les compétitions internationales. L'idée même que les Jeux olympiques puissent connaître une participation européenne est contraire à la pratique courante de comparer les médailles obtenues par les différentes nations qui la composent comme signal de l'efficacité de leurs politiques sportives. En France, Hubert Curien et Alain Lempereur en ont fait la proposition 19 de leurs"propositions pour renforcer le sentiment d'identité dans le projet européen" (Rapport pour le Ministre délégué aux affaires européennes, 1997)
 

    Le rôle des entreprises


L'une des principales craintes des Quinze devant l'élargissement est la multiplication des délocalisations dans les pays de l'Est, où les coûts de fabrication comme les charges salariales sont réduits. Les entreprises ont pourtant tendance à souligner le bénéfice qu'elles peuvent en tirer, ainsi que l'impact positif de leur implantation sur l'économie des nouveaux membres. Bien plus, certains mettent en avant le croisement des cultures opéré à cette occasion. Les expatriés forment en effet les autochtones à leurs méthodes de travail et perçoivent en retour les spécificités d'un pays. S'établir sur un nouveau marché exige qui plus est de s'être interrogé sur les besoins et les goûts propres à la population, et implique donc de mieux la connaître. Bien que poussées par des impératifs économiques, les implantations dans d'autres pays de l'Union peuvent donc contribuer à renforcer le sentiment d'appartenance, et ce d'autant plus qu'elles nécessitent une harmonisation des politiques sociales.
 

Le statut particulier de l'enseignement comme instance d'intégration

 

    Promouvoir les langues et l'histoire


Si les systèmes éducatifs se sont bien rapprochés au cours des dernières décennies, des différences notables persistent : il suffit pour s'en convaincre de songer aux Public Schools anglaises ou aux Grandes Écoles françaises. Les diplômes de fin d'études n'ont par ailleurs fait l'objet d'aucune harmonisation (contrôle continu ou final, centralisé ou non). Certains évoquent cependant l'importance d'un programme commun minimal, en particulier en histoire, et soulignent que la Troisième République a forgé l'identité nationale et républicaine de la France en instituant l'école gratuite et obligatoire. L'on se rapproche alors de la vision durkheimienne de l'éducation, à la fonction essentiellement sociale. Un meilleur enseignement de la grammaire est par ailleurs préconisé, dans la mesure où elle facilite la traduction des langues. Enfin, revaloriser les études humanistes dans leur ensemble peut sembler un moyen de favoriser le développement d'une véritable culture européenne.
 

    Les programmes d'échange


L'Union a tenté de renforcer la mobilité des enseignants et étudiants par la création de différents programmes. Le plus connu est Erasmus, créé en 1987, et rattaché depuis 1995 au programme Socrates. Sa création repose sur l'idée que la mobilité est essentielle pour l'édification de l'Europe, en permettant le brassage des idées, des connaissances. Il obéit au principe suivant : reconnaissance des études effectuées dans un autre État et aide apportée par l'exonération des frais d'inscription ainsi que par l'octroi d'une bourse. En 2002, la barre du million d'étudiants est franchie, mais les résultats sont encore insuffisants, dans la mesure où trois pays représentent l'essentiel du contingent : France, Allemagne, Espagne. Le pourcentage d'étudiants anglais, longtemps élevé, tend pour sa part à décroître. Une harmonisation des diplômes s'avère nécessaire pour que le programme puisse prendre toute sa mesure (voir la réforme"LMD" des universités françaises à l'automne 2003).
 

    La question des langues régionales


En juin 1992 est signée la Charte européenne des langues régionales et minoritaires."La protection et la promotion" de celles-ci représentent en effet pour l'Union"une contribution importante à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle". Les signataires s'engagent, entre autres, à promouvoir ou aider le développement de leur enseignement et de leur diffusion. Ces langues n'ont cependant pas toutes le même poids. Si l'on prend l'exemple du catalan, ce dernier est de nouveau considéré comme une langue officielle depuis 1980. Environ 93% des Catalans le comprennent et 68 % le parlent. Utilisé par plus de 7 millions de personnes, il l'est davantage que certaines langues des nouveaux pays. Pourtant, il est peu reconnu hors de Catalogne, et sa pratique peut se révéler problématique pour les autres membres de l'Union (voir le film de Klapisch, L'Auberge espagnole).
 

Conclusion

"Communauté de valeurs et de principes avant d'être une communauté d'intérêts", comme le rappelait récemment le président de la République, l'Union européenne est aussi constituée de pays unis par un héritage culturel, et qui peuvent à ce titre déceler un fondement commun à leur identité dans le legs des siècles passés. Toutefois, cette évolution des mentalités peut apparaître comme un défi et faire naître certaines appréhensions, dans des pays qui continuent avant tout à célébrer leur mémoire nationale. Le développement des échanges, certes économiques, mais aussi culturels, ainsi qu'une meilleure information devraient néanmoins faire doucement progresser le sentiment d'appartenance à l'Europe. Enfin, l'élaboration d'une Constitution commune apparaît aujourd'hui comme une réalisation primordiale pour la consolidation de ce lien social, les constitutions nationales à l'époque moderne ayant montré par leur passé leur dimension fédératrice du niveau national.

Liste des documents

1.    Comment définir l'Europe ?
2.    Mesures du sentiment d'appartenance des Quinze et des Dix
3.    Les jeunes et l'Europe
4.    Les Français et l'élargissement
5.    Les principaux symboles européens
6.    Les Quinze et l'euro
7.    La directive"Télévision sans frontières"
8.    Les élections européennes : un test national ?
9.    Extraits d'Éducation et sociologie de Durkheim
10.    Conférence de presse du président Chirac sur l'Europe


Les sondages"Eurobaromètres" sont disponibles à partir de l'entrée suivante :http://europa.eu.int/comm/public_opinion/index_en.htm 

Le site incontournable sur l'Europe : http://www.robert-schuman.org/ 
 

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