Concurrence fiscale et réforme des systèmes fiscaux européens

Concurrence fiscale et réforme des systèmes fiscaux européens

Résumé

La construction progressive du marché intérieur permet, aujourd'hui, aux entrepreneurs qui le souhaitent d'installer leur entreprise dans n'importe quel Etat de l'Union européenne. Dans ce contexte, et parmi beaucoup d'autres facteurs, le niveau des prélèvements obligatoires tient une place particulièrement importante. Ainsi, les Etats ont intérêt à afficher les taux d'imposition les plus attractifs pour attirer les investisseurs : c'est le principe de la concurrence fiscale qui s'opère "par le bas", c'est-à-dire par la baisse du taux d'imposition.

Cette concurrence a un effet de système immédiat : le pays qui ouvre le feu attire les capitaux ce qui accroît et l'activité et les recettes fiscales. Mais les autres pays sont amenés à réagir en pratiquant la même politique. A l'arrivée, aucun Etat n'a plus les moyens d'assurer les politiques publiques nécessaires au bon fonctionnement de la société.

Concrètement, les Etats de l'Union européenne souhaitent garder leurs compétences en matière de fiscalité de sorte que les réformes en ce domaine passent toujours par un vote à l'unanimité au sein du Conseil de l'Union européenne. Pour éviter une réduction des ressources fiscales nationales et, par là même, une baisse de la qualité des infrastructures publiques, des initiatives ont été prises en vue d'une harmonisation fiscale européenne ("paquet fiscal"…). Celles-ci sont actuellement insuffisantes et de nombreux états membres ont été amenés à réformer leur système fiscal afin de s'adapter aux contraintes crées par la concurrence.

L'intégration communautaire et l'internationalisation de l'activité économique se traduisent progressivement par une réduction des barrières à la mobilité des entreprises. La chute des obstacles aux échanges, qu'ils soient tarifaires ou non tarifaires, la création d'un grand marché, puis d'une monnaie unique, le développement de moyens de communication et l'internationalisation de nombreuses carrières professionnelles facilitent en effet le déplacement des firmes.

Dans ce contexte, l'existence de l'euro prive les gouvernements de la possibilité d'exercer leur souveraineté en matière monétaire et de manipuler les taux de change pour améliorer leur compétitivité. Par conséquent, la fiscalité reste le seul instrument directement accessible aux gouvernements pour renforcer l'attractivité de leur territoire économique national et de ce fait, ceux-ci se sont montrés peu enclins à faire de la fiscalité une compétence de l'Union européenne. Ce choix politique pour la concurrence fiscale a cependant un revers pour les Etats européens, puisqu'il les contraint à adapter leurs systèmes fiscaux afin de rendre leur territoire plus attractifs pour les investisseurs.

Harmonisation de la fiscalité et localisation des entreprises

Le rôle spécifique de la fiscalité parmi les déterminants de la localisation des entreprises

Les déterminants de la localisation des entreprises.

Toute entreprise souhaitant accéder aux marchés étrangers doit choisir entre produire dans l'économie nationale et exporter, ou s'implanter à l'étranger pour vendre sur place. Elle peut à l'inverse s'implanter à l'étranger pour y produire et réimporter dans l'économie d'origine ( délocalisation ). Comment s'explique, dans tous ces cas, le choix du lieu d'implantation de la firme ?

La taille des marchés semble un déterminant primordial de l'investissement à l'étranger : on investit essentiellement aux Etats Unis ou en Europe, non pour produire à bas coûts, mais pour accéder aux marchés nationaux. Dans ce schéma, la taille du marché pertinent, pour un investisseur potentiel, est le potentiel marchand (Harris, 1954). Par exemple, une implantation en France donne accès à un grand marché ne se limitant pas au marché français, mais correspondant à la demande accessible plus facilement depuis une localisation en France, compte tenu des coûts de transport entre régions européennes et du niveau d'activité de ces régions.

Dans le même ordre d'idées, les travaux théoriques et empiriques récents en économie géographique suggèrent que les firmes ont une tendance naturelle à s'agglomérer et que les schémas d'agglomération peuvent se caractériser par une grande inertie. A cet égard, peut être rappelé l'exemple bien connu de la Sillicon Valley en matière de haute technologie. Il existe de nombreuses sources d'effets d'agglomération. Parmi celles-ci, les effets d'agglomération liés à la proximité du lieu d'implantation des firmes avec le lieu d'origine des innovations technologiques (effet de spillover technologique) semblent particulièrement importants. De ce fait, certains économistes comme Krugman et Veanbles ont pu affirmer que l'intégration européenne se traduirait par un accroissement des spécialisations et une augmentation des asymétries entre pays européens. En effet, selon Krugman, les économies d'échelle sont source d'effets d'agglomération et favorisent, dès lors, le regroupement géographique. De ce fait, l'intégration européenne -qui est à l'origine de telles économies d'échelle - favorise la concentration de certains types d'entreprises dans certaines régions, et, partant, la spécialisation de ces régions par secteur d'activité. A l'opposé, le rapport Maurel de 1999 conclut à la persistance des effets frontières entre les pays européens et met en avant le rôle dissuasif des coûts de transaction en matière économique (notamment, des coûts de transport). Dès lors, les conditions ne sont pas réunies pour l'enchaînement décrit par Krugman puisse se réaliser.

Enfin, très classiquement, on notera encore les facteurs d'implantation suivant : le nombre d'heures travaillées, la qualité de la main d'œuvre, la stabilité de l'environnement réglementaire ou encore l'existence de subventions publiques…

Le rôle spécifique de la fiscalité

C'est seulement après la prise en compte de tous ces paramètres que la fiscalité peut avoir une influence sur la localisation. Encore faut-il remarquer qu'une partie de la pression fiscale est restituée sous forme d'investissements publics et de dépenses sociales. Evidemment, l'entreprise aura tendance à comparer la pression fiscale qui pèse sur elle avec les biens publics qui lui sont utiles (infrastructures, investissements éducatifs… en faveur de la qualité de la main-d'œuvre) tandis que les personnels compareront leur propre pression fiscale aux biens collectifs dont ils disposent.

L'évaluation de la charge fiscale supportée par chaque entreprise est très complexe. Au-delà des effets d'affichage et d'image de telle ou telle mesure, il est en effet très difficile d'évaluer in fine quelle sera la fiscalité supportée.

Ainsi, si l'évaluation la plus directe consiste à comparer le rapport entre les recettes d'impôt sur les sociétés et l seront faibles, d'autres impôts doivent être pris en compte, notamment la taxe professionnelle en France.

A côté du régime de droit commun en matière de fiscalité sur les sociétés, les régimes fiscaux spécifiques jouent également un rôle en matière de localisation des entreprises (il peut, par exemple, s'agir de dispositifs prévoyant un allègement d'impôt pendant la période qui suit l'installation, de crédits d'impôts accordés pour favoriser l'investissement...). Ces régimes particuliers peuvent concerner une zone géographique délimitée ou une activité déterminée. Le régime fiscal des holdings ou des centres de coordination s'inscrit dans cette perspective, tout comme les mesures de déductibilité des dépenses de recherche et développement (la déductibilité de ces dépenses était totale, aux Etats-Unis, jusqu'en 1986).

Quels que soient les contours exacts de la fiscalité sur les entreprises, il est désormais avéré qu'elle influence les choix de localisation des entreprises. A titre d'exemple, l'étude de Ederveen et Mooij (2002) affirme qu'une hausse de un point sur la fiscalité des entreprises réduirait l'investissement direct étranger entrant d'un montant compris entre 0 et 5%, le haut de la fourchette s'appliquant aux investissements greenfield et le bas aux comportements de fusions acquisitions (Ederveen S. et R. Mooij Taxation and foreign direct investment: a meta analysis ,CBP Report 2002/1 La Haye). A cet égard, la comparaison entre les taux d'imposition sur les sociétés des 15 pays européens peut se révéler intéressante:

La fiscalité sur les hauts revenus est un des facteurs pris en compte dans le choix de la localisation au même titre que celle sur les sociétés : le travail très qualifié, comme le capital, est désormais très mobile et il est devenu difficile d'attirer l'un sans l'autre. Cet aspect du débat est d'ailleurs périodiquement médiatisé lors de l'expatriation de sportifs de haut niveau dans des pays à faible fiscalité. A ce titre, les entreprises tiennent compte à la fois de la fiscalité pesant sur les revenus élevés et des dispositifs spécifiques, s'ils existent, relatifs aux stock options.

Le caractère déterminant de la fiscalité dans son ensemble (fiscalité sur les sociétés et sur les personnes) dans le choix de la localisation des firmes a été mis en avant par plusieurs études. La chambre de commerce et d'industrie de Paris a notamment commandé en 1998 une étude destinée à identifier les raisons qui, au cours des cinq dernières années, avaient poussé les entreprises multinationales a priori intéressées par une implantation en Ile de France à s'installer à l'étranger (17 au Royaume Uni ou en Irlande, 14 aux Pays-Bas, 6 en Belgique, 8 en Allemagne) (Chambre de commerce de Paris, 1999). Parmi les facteurs influençant l'implantation, la fiscalité est un des plus fréquemment évoqués. Une étude similaire de la Délégation aux investissements internationaux (1998) souligne également le rôle de la fiscalité.

La fiscalité joue donc un rôle déterminant dans le choix de localisation des entreprises. De plus, elle est dotée d'une valeur symbolique forte et constitue le cœur de la souveraineté des Etats. Ces éléments expliquent la réticence des Etats européens à transférer la compétence fiscale à l'Union.

Le faible degré d'harmonisation fiscale au sein de l'Union européenne

Des systèmes fiscaux très hétérogènes

Les compétences de la communauté en matière fiscale sont limitées et passent toujours par un vote à l'unanimité au sein du Conseil de l'Union européenne. Le Royaume Uni s'est, notamment, toujours opposé à l'application aux questions fiscales de la règle de la majorité qualifiée.

Ainsi, seul le rapprochement des législations en matière de fiscalité indirecte ( TVA , droits d'accises...) est évoquée dans le Traité (article 93 TCE). Pour les impôts directs (impôts sur le revenu, sur les sociétés…) aucune disposition ne prévoit d'harmonisation mais les législations nationales doivent respecter les quatre libertés qui ont permis la construction du marché intérieur : liberté de circulation des personnes, des capitaux et des marchandises, liberté d'installation. De plus, certaines dispositions générales des traités (notamment l'article 94 sur le rapprochement des législations) pourraient s'appliquer aux matières fiscales mais toujours à l'unanimité. Du fait de ces compétences limitées, l'Europe présente une disparité très forte dans le niveau global comme dans la structure de la pression fiscale.

En ce qui concerne la TVA, l'encadrement des taux imposé par la sixième directive TVA de 1977 a permis d'obtenir une relative convergence des taux au sein de l'Union même si des écarts importants subsistent : le taux normal variant entre 6 et 17%. Pratiquement, le système est toujours celui de la taxation dans le pays de destination (pour les entreprises) avec des mécanismes de compensation fondés sur les déclarations des entreprises.

Par ailleurs, l'hétérogénéité des systèmes de taxation des bénéfices des sociétés est grande entre les pays de l'Union européenne. Pour ce qui est des taux nominaux, ils varient de 28% pour la Finlande et la Suède à plus de 40% pour la France, l'Allemagne et la Belgique (ces taux additionnant l'ensemble des impositions pesant sur le bénéfice des sociétés). Dans d'autres cas (Irlande, Royaume Uni, Luxembourg), le taux d'imposition dépend du montant imposable.

L'imposition des revenus de l'épargne (intérêts, dividendes, plus values) est elle aussi caractérisée par une grande diversité au sein de l'Union européenne. A titre d'exemple, certains pays connaissent une imposition générale des plus values (France, Irlande, Royaume Uni) tandis que d'autres les exonèrent (Danemark, Grèce, Portugal).

Les comparaisons concernant la taxation du facteur travail (revenu et cotisations sociales) sont délicates en raison du partage variable suivant entre financement public et privé des systèmes de santé. Il reste néanmoins certain que la diversité est grande dans ce domaine, aussi bien en ce qui concerne les taux que les modalités de calcul de l'impôt.

La relance de l'harmonisation et l'adoption progressive du "paquet fiscal"

Tout au long des années 1980 et 1990, la Commission européenne a fait des propositions techniques visant à harmoniser les systèmes fiscaux des Etats membres et, notamment, l'imposition du bénéfice des sociétés. Cependant, ces propositions ont presque systématiquement été bloquées par la règle de l'unanimité.

De ce fait, la Commission s'est lancée dans une autre phase de l'harmonisation en inscrivant les questions liées à l'impôt sur les sociétés dans une discussion générale consacrée à la fiscalité. L'idée était de contourner la règle de l'unanimité en trouvant un gentleman agreement sur un "paquet fiscal", dont un code de conduite prévoyant la suppression de 66 mesures fiscales préjudiciables identifiées dans le rapport Primarolo.

Conformément au calendrier et aux conditions définis par le Conseil européen de Feira (juin 2000), la Présidence française devait tenter d'obtenir un accord de l'ensemble des Etats membres sur l'architecture général des directives faisant partie du paquet fiscal.

Cela a été les cas en ce qui concerne la directive épargne. L'objectif de ce texte est de garantir une imposition effective des intérêts perçus par les ressortissants européens sur l'épargne qu'ils ont placée dans un autre Etat membre que celui de leur résidence et, par conséquent, de limiter les risques d'évasion fiscale. En dépit de la sensibilité du sujet et du caractère marqué de la position de certains Etats membres (le Luxembourg par exemple), un accord a pu être trouvé sur les principales modalités d'imposition des intérêts : taux de retenue à la source, partage des recettes entre les Etats membres, champ d'application de la directive.

Le moyen retenu pour permettre l'imposition effective des paiements d'intérêts dans l'Etat membre où le bénéficiaire a sa résidence fiscale est l'échange automatique d'informations entre les Etats membres concernant ces paiements d'intérêts. La question du partage des recettes a été résolue de la manière suivante : 75% du montant en cause doit revenir à l'Etat membre dans lequel réside l'épargnant concerné et les 25% restants à l'administration fiscale du pays dans lequel se situe la banque.

Enfin, il a été prévu par souci de compromis que la Belgique, le Luxembourg et l'Autriche (pays très opposés au principe de cette directive) peuvent s'abstenir d'échanger l'information sur les revenus de l'épargne s'ils appliquent un système de retenue à la source aux mêmes revenus. En ce qui concerne le taux de retenue à la source, un système progressif a été mis en place : le taux de taxation sera de 15% pendant les trois premières années d'application de la directive et de 20% pendant les quatre suivantes. La directive épargne est entrée en vigueur le 3 juin 2003 et constitue une avancée majeure en matière de coopération fiscale.

Cela ne doit pas faire oublier que de nombreuses dispositions fiscales entraînant une concurrence dommageable identifiées par le groupe Primarolo n'ont en effet pas encore disparu de la législation des Etats membres. Ainsi, par exemple, les Etats ne sont pas parvenus à s'accorder sur un taux minimum d'imposition des sociétés, pas plus que sur le principe de la taxation dans le pays d'origine ne matière de TVA. Même en matière de taxation liée à l'environnement (écotaxes), où les habitudes fiscales n'étaient pas spécialement anciennes et où la concurrence fiscale des uns est dommageable à tous, les Etats membres de sont pas parvenus à s'entendre !

Les conditions caractéristiques d'une situation de concurrence fiscale sont donc réunies. La tentation pour les Etats de pratiquer le dumping fiscal est d'ailleurs d'autant plus grande que la monnaie unique et les règles issues du pacte de stabilité et de croissance les privent des leviers traditionnels de la politique économique.

Les risques de la concurrence fiscale

La situation actuelle de concurrence fiscale est porteuse de risques

La notion de concurrence fiscale

La concurrence fiscale est rendue possible grâce à la mobilité des assiettes taxables d'un pays à l'autre. Cette dynamique des bases d'imposition peut résulter d'une part de la délocalisation d'activités productives – dont les facteurs de production et les bénéfices seront naturellement imposés dans le pays d'accueil – et d'autre part du transfert par les entreprises nationales ou par les particuliers de leur assiette taxable dans un autre pays.
Ainsi, l'enjeu de la concurrence fiscale est double :

  1. La concurrence sur la localisation des activités et de l'emploi : c'est la problématique de l'attractivité du territoire,
  2. La concurrence sur la localisation de l'imposition : c'est la problématique de l'optimisation et de l'évasion fiscale.

Pourquoi la concurrence fiscale est-elle dangereuse en elle même ? Cela tient principalement au fait que niveau des prélèvements obligatoires et niveau des infrastructures publiques (biens publics notamment) sont étroitement liés.

Dès lors, le risque majeur pour les Etats à niveau élevé de fiscalité est de voir les nationaux délocaliser leurs activités productives ou leur épargne tout en continuant à profiter en passager clandestin (c'est-à-dire sans en payer le prix) des infrastructures existantes dans le pays (système de santé, d'assurance). A terme, une telle situation aboutit à une production sous optimale de biens publics qui nuit à l'ensemble de la société et notamment, à ceux qui n'ont pas les mêmes facilités en termes de mobilité géographique (salariés peu qualifiés, personnes âgées…). C'est ce processus que résume l'économiste Lionel Stoléru en écrivant que : " la concurrence fiscale entre les Etats conduit à la catastrophe et voici pourquoi : les capitaux financiers sont beaucoup plus mobiles que les travailleurs. Ils peuvent rapidement passer d'un pays à l'autre et la crainte qu'ils ne le fassent pas a déjà forcé les gouvernements à déréglementer les marchés financiers… Or les travailleurs ne peuvent pas échapper à l'impôt de la même façon parce qu'ils se déplacent moins vite. Il faudra leur en faire payer davantage, d'autant plus que les besoins du financement public vont augmenter…: les travailleurs surchargés d'impôts pour que les capitalistes leur échappe n'accepteront pas longtemps cette iniquité inouïe… "

Il est vrai que cette position n'est pas partagée par les courants libéraux qui voient en l'impôt un prélèvement distorsif et inefficace. Les économistes de ce courant affirment également, qu'à terme, la baisse des impôts sur le capital profitera aux travailleurs sous forme de hausses de salaire. En effet, si les prélèvements baissent, l'entreprise verra ses profits augmenter et le surplus sera distribué aux salariés sous forme de hausse des salaires. Dans le même sens, il peut être soutenu que la baisse des prélèvements, en réduisant les montants mis à la disposition de l'Etat pour financer les services public, incitera à une gestion plus efficace et à une meilleure affectation des sommes collectées. En ce sens, la concurrence fiscale bénéficierait donc aux citoyens.

D'autres économistes ont étudié le phénomène de la concurrence fiscale sous l'angle de la théorie des jeux. La concurrence fiscale est alors généralement modélisée sous la forme d'un jeu non coopératif entre Etats, chacun d'eux souhaitant attirer le plus de capital physique possible. Un certain nombre de travaux (Bucovetsky,1991 et Wilson,1991 cités dans le rapport du Sénat de 1998 relatif à la concurrence fiscale) démontrent également que si la concurrence fiscale s'exerce entre pays de taille différente, les petits pays n'ont pas intérêt à coopérer car ils verraient leur bien être se détériorer. Cela s'explique notamment par le fait que les délocalisations sont d'autant plus importantes qu'un pays est petit.

Sans trancher ces débats, de nature largement idéologique, l'observation des faits permet d'affirmer que de nombreux Etats européens ont entamé dans les années récentes la réforme de leurs systèmes fiscaux.

La concurrence fiscale contraint les Etats à adapter progressivement leurs systèmes fiscaux

Les principaux pays européens ont mené des réformes fiscales significatives au cours des quinze dernières années.

S'agissant de l'imposition sur le revenu : la baisse des prélèvements sur les revenus du travail a été très marquée dans les Etats où la pression fiscale était très supérieure à la moyenne européenne. Cela est notamment le cas de la Belgique (la loi du 10 août 2001 a supprimé les deux dernières tranches d'imposition afin que plus aucun revenu ne soit taxé à un taux supérieur à 50%), de l'Espagne (la réforme de 1998 a simplifié l'impôt sur le revenu et baissé les taux marginaux supérieurs). D'autres réformes ont eu une portée plus radicale, comme celle qui a été réalisée en Allemagne : à l'issue de la réforme, en 2005, les taux minimum et maximum d'imposition auront en effet décru de 10,9 et 8 points. Parallèlement à cette refonte de l'imposition des revenus du travail, de nombreux pays ont abaissé la taxation des plus values mobilières réalisées par les particuliers (Allemagne, Portugal, Autriche). Quant à l'impôt sur la fortune, il a été supprimé par l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie et le Danemark. Seuls 6 pays européens ont conservé cet impôt.

S'agissant de l'imposition sur les sociétés, le même mouvement à la baisse peut être observé : réduction du taux d'impôt sur les sociétés à 25% en Allemagne, réduction du taux réservée aux PME en Espagne.

Il faut également souligner que certains pays ne se sont pas contentés de réformes au coup par coup de leur système fiscal mais ont profondément refondu celui-ci. Cela est notamment le cas des Pays Bas. Avant la réforme de 2001, l'architecture des prélèvements obligatoires était un handicap lourd pour la croissance néerlandaise en raison de la conjonction de taux marginaux élevés et de prélèvements sociaux importants. La réforme de 2001 a remédié à ces dysfonctionnements en réformant les taux et les modalités de mise en œuvre de l'impôt sur le revenu et des autres prélèvements.  Désormais, les revenus sont imposés à des taux simplifiés variant en fonction de leur origine. Ainsi, seuls les revenus du travail continuent à être imposés de manière progressive; les revenus du capital sont - quant à eux - imposés à un taux unique et proportionnel, inférieur au taux d'imposition sur le revenu du travail afin d'alléger la taxation des  bases les plus mobiles.Les pays d'Europe du Nord (Suède, Finlande) ont également profondément remanié leur fiscalité.

Enfin, quelques Etats ont mis en œuvre des réformes "agressives", caractérisées par des baisses très importantes des taux d'imposition. Cela concerne l'Irlande et certains nouveaux pays de l'Union européenne (Estonie, Pologne, Hongrie). Mais qu'en est-il de la France. 

Le cas de la France : Réforme fiscale ou pas ?

En termes d'imposition sur les sociétés, la situation française, médiane jusqu'en 1995, s'est dégradée depuis. Le taux légal d'impôt sur les sociétés (33,3%) était en 2001 le deuxième taux le plus élevé d'Europe, derrière la Belgique. De manière plus nuancée, la fiscalité sur les sociétés est plutôt avantageuse pour les activités très capitalistiques en raison des règles d'amortissement fiscal, mais désavantageuse pour les PME. Le régime fiscal de distribution des dividendes présente en revanche de nombreux défauts, sur le plan technique (mécanisme de l'avoir fiscal) comme sur le plan économique puisque l'imposition des dividendes s'est alourdie depuis 1995.

Concernant la fiscalité locale, les comparaisons ne sont pas à l'avantage de la France puisque le poids de la taxe professionnelle est souvent stigmatisé par les entreprises. Cependant, il faut préciser qu'une étude récente effectuée par Dexia crédit local a rappelé que dix autres pays membres de l'Union européenne possédaient l'équivalent de la taxe professionnelle, même si l'assiette retenu peut varier selon les pays.

En ce qui concerne la fiscalité sur les revenus, la fiscalité française est plutôt compétitive même si le taux marginal supérieur de l'impôt sur le revenu reste l'un des plus élevés du monde. Ainsi, jusqu'à 300 000 euros par an de revenu brut imposable, la France est bien placée en termes de compétitivité fiscale. Cependant, le régime est moins favorable pour les cadres impatriés, qui ne bénéficient pas des nombreux abattements et dérogations dont profitent les nationaux. Le rapport Charzat relatif à l'attractivité de la France constate à ce sujet que de nombreux dirigeants de société ont des difficultés à maintenir certaines activités à haute valeur ajoutée en France parce qu'ils s'estiment incapables, dans l'état actuel du système fiscal français, d'offrir le package de rémunération propre à convaincre un dirigeant de renommée internationale à choisir Paris plutôt que Londres ou New York. Par ailleurs, l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) exerce de manière certaine un effet défavorable sur l'image de la France, c'est pourquoi les auteurs du rapport Charzat préconisaient de rétablir le système de plafonnement du montant de cet impôt supprimé par Alain Juppé en 1995. Par contre, le régime français de fiscalité sur les stock options est cependant assez favorable (semblable aux régimes existant en Allemagne ou aux Pays-Bas).

Finalement, le coin socio-fiscal reste très élevé en France, mais les comparaisons sont difficiles puisque le calcul du taux de pression fiscal (charges sociales comprises) français inclut des cotisations obligatoires à des régimes sociaux publics alors que la cotisation est à caractère volontaire dans certains pays.

De manière générale, la position relative de la France par rapport à ses voisins européen semble s'être dégradée depuis les dernières années. De fait, l'image de la France est médiocre dans les enquêtes qualitatives auprès des investisseurs. Ainsi, dans le rapport annuel 2003 du World Economic Forum , la France est classée au 26ème rang pour le growth competitiveness index sur les 102 pays classés. Ce mauvais résultat peut être mis sur le compte du fort déficit d'image dont souffre la France en matière de fiscalité. Outre le cas particulier de la fiscalité, les investisseurs interrogés situent les points faibles de la France dans les domaines de l'environnement administratif et de l'instabilité du cadre réglementaire.

Dans l'ensemble de ces domaines, des mesures récentes ont cependant été adoptées.

Dans le domaine de la fiscalité, plusieurs mesures méritent d'être citées : la baisse d'un point de taux normal de TVA en avril 2000, la réforme progressive de la taxe professionnelle (suppression progressive de la part salariale entre 1999 et 2004, exonération des investissements réalisées entre janvier 2004 et juin 2005), l'introduction d'un taux réduit d'imposition sur les sociétés de 15% pour les petites entreprises, la baisse du taux d'imposition sur les revenus depuis 1999 (baisse cumulée de 3,5% pour les deux premières tranches, de 2,5% pour les deux suivantes et de 1,5% pour les deux dernières). Enfin, un statut fiscal spécifique a été créé pour les cadres impatriés (recommandation du rapport Charzat) - et ce, malgré les risques d'atteinte au principe d'égalité devant l'impôt inhérents à une telle mesure - et les règles de calcul de l'assiette de l'ISF modifiées dans un sens favorable à l'activité économique (loi sur l'initiative économique).

Cependant, certaines mesures proposées par les différents rapports parlementaires n'ont pas été retenues : cela est notamment le cas de la simplification des règles de calcul de l'impôt sur le revenu des ménages et de la baisse de l'impôt sur les sociétés. De plus, des mesures d'alourdissement de la fiscalité ont également été prises pendant cette période. Ainsi, les lois de finances pour 1998, 1999 et 2001 ont alourdi la fiscalité des valeurs mobilières. Dès lors, et en l'absence de message explicite des pouvoirs publics sur le fondement des réformes entreprises (volonté d'améliorer la compétitivité du site France, relance de l'investissement et de la consommation en période de faible croissance?), celles -ci ne sauraient constituer une réforme fiscale de grande ampleur.

En résumé, l'absence de réforme fiscale lisible et de grande ampleur (comparable à celles qui ont été menées en Allemagne ou aux Pays Bas) pénalise de manière certaine l'attractivité fiscale de la France.

Dans les autres domaines (simplification de la réglementation, amélioration de l'image de la France auprès des investisseurs, accueil des entreprises étrangères..), de nombreux rapports récents (rapport parlementaire de Didier Migaud, rapport Lavenir sur "l'entreprise et l'hexagone", rapport Charzat, rapport au Premier ministre de Sébastien Huygue ) ont proposé des mesure susceptibles de rendre le territoire français plus attractif . Très récemment et à la suite de l'une de ces recommandations, un conseil stratégique de l'attractivité réunissant 20 chefs d'entreprise a été mis en place en France, en même temps qu'un tableau de bord de l'attractivité.

Le choix politique entre l'harmonisation de la fiscalité et l'existence d'une concurrence fiscale n'est pas neutre pour les Etats qui l'effectuent. Accepter la concurrence fiscale implique en effet, pour un pays, de réformer son système fiscal afin de rendre son territoire plus attractif. Cependant, cette contrainte peut être vue comme une chance pour certains Etats de réaliser une réforme fiscale jusque là retardée. Le cas de la France est à cet égard particulièrement significatif.

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