Question 1. Comment se forme et s’exprime l’opinion publique ?

Sommaire

L’opinion publique, un terme polysémique

La difficulté première d’avoir à travailler sur le terme d’ « opinion publique » vient de la polysémie de l’expression. Celle-ci a en effet connu d’importants glissements sémantiques, qui affectent aussi les connotations y étant attachées.

De la fin du XVIème siècle au milieu du XVIIIème siècle, l’opinion publique se cantonne à l’examen et à l’appréciation de phénomènes privés (document 1). Elle revêt dès lors dans ces premiers temps une connotation largement péjorative, dont l’acception est assez proche de celle de « préjugé ». 

Une rupture a lieu en France au milieu du XVIIIème siècle (document 1). L’opinion publique se met alors à désigner le jugement éclairé formulé de manière publique par une élite cultivée (philosophes, hommes de lettres par exemple), dans de nouveaux lieux de délibération et d’expression que sont les clubs, les salons, la presse. Cela ne vise plus les affaires privées, mais bien les manières de gouverner. Durant la seconde moitié du XVIIIème siècle et jusqu’au milieu du XIXème l’opinion populaire reste encore largement illégitime et la définition largement acceptée de l’opinion publique à l’époque la distingue de l’ « opinion commune » du Peuple, considérée alors comme inarticulée et pulsionnelle.

Il faut attendre la seconde partie du XIXème siècle pour que le terme d’opinion publique comme opinion du public -Peuple y compris- sur les questions politiques et d’intérêt public devienne recevable. Elle supplante l’acception élitiste de l’opinion publique dans les années 1950 (document 2)

Mesurer, convaincre, domestiquer l’opinion publique, un incontournable en démocratie

À mesure que le Peuple intervient de plus en plus en politique, et, plus particulièrement, depuis qu’il devient la source de la légitimité en démocratie, il apparaît de plus en plus nécessaire de se doter d’outils qui permettent de connaître ses inclinations, mais aussi, de développer des stratégies qui permettent d’emporter son assentiment (document 3)

a

En effet, face à l’extrême incertitude dans laquelle les hommes et femmes politiques se trouvent concernant la pérennité de leurs postes - puisque dépendant de l’issue d’élections régulières au suffrage universel- ils ressentent le besoin de se rassurer par le recours à des instruments de mesure des mouvements de l’opinion publique. 

Les sondages, ou la fabrique d’un outil privilégié de mesure de l’opinion publique

Dans les années 1930, aux États-Unis, une poignée d’acteurs issus du monde du marketing commencent alors à développer une nouvelle technique, inspirée des études de marché : les sondages d’opinion. 

Leur grande force est d’intégrer les avancées de la statistique. Ils sont ainsi basés sur l’idée d’interroger un échantillon représentatif de la population. Les techniques pour les sélectionner sont diverses et l’on peut schématiquement opposer deux méthodes (document 4). La première est celle de l’échantillonnage par quotas. Il s’agit de sélectionner un ensemble de critères supposés cruciaux (âge, genre, profession, niveau de diplôme par exemple) et de s’assurer que les individus constituant l’échantillon reproduisent « en miniature » la structure de la population globale pour ces critères. Cette technique a l’avantage d’être la plus facile et la moins coûteuse à mettre en place. Cependant, elle n’a pas la faveur des statisticiens, qui la jugent moins fiable que l’autre méthode, celle de l’échantillonnage aléatoire. Il s’agit ici de « tirer » au hasard, d’une base de données exhaustive de la population, un échantillon d’individus suffisamment grand pour qu’il assure la représentativité de la population globale, sans avoir à se préoccuper de déterminer au préalable des critères dont rien n’assure qu’ils soient véritablement déterminants dans la formulation des opinions des individus. Cette technique, qui donne des résultats statistiquement plus solides, reste parfois difficile à utiliser car lourde et supposant l’existence de ces fameuses listes de population. 

La réussite politique et médiatique des sondages est telle qu’elle finit par délégitimer les apports d’autres techniques (document 5). Par ailleurs, les partisans des sondages les vantent comme permettant une revitalisation de la vie polique (document 9). En effet, en faisant intervenir régulièrement l’opinion supposée des citoyens dans le jeu politique, les sondages seraient un moyen de se rapprocher d’un idéal de démocratie directe. Ainsi, les citoyens auraient la possibilité de plus peser sur la sélection des gouvernants et de mieux contrôler l’action des gouvernants.

Un outil objet de nombreuses critiques

  • Les sondages présentent en tout premier lieu un ensemble de limites techniques : constructions parfois défaillantes des échantillons (surtout quand il y a recours à la technique par quotas), sensibilité des réponses recueillies à la formulation des questions (type de questions, ordre des questions, personnalité de l’enquêteur), difficile prise en compte des non-réponses. 
  • En second lieu, les sondages recueillent une opinion publique « artificielle », qui n’existe pas « en soi » (document 6).
  • Enfin, cette opinion publique sondagière génère des « effets de consensus », qui rendent particulièrement difficile de soutenir une opinion contraire à celle qui a été construite comme « dominante ». Cela perturbe le processus électoral en donnant certains candidats ou partis comme favoris ou perdants avant même le scrutin (document 7). Enfin, cela peut contribuer à la mise en place d’une « démocratie d’opinion » dans laquelle les gouvernants finiraient par ne prendre de décisions qu’en fonction des mouvements d’une opinion par essence très volatile (document 8)

Documents et exercices

Document 1. Quelques repères historiques sur la notion d’ « opinion publique »

Facile

"Cette recherche a mis en lumière la profonde transformation sémantique qui affecte la locution « opinion publique » à partir de la seconde moitié du XVIIIème siècle et l’évolution vers le politique d’un usage de la notion jusque-là circonscrit au domaine des comportements et des attitudes privés […]. Dans son acception première, à partir de la fin du XVIème siècle, la locution s’emploie en effet pour désigner l’ensemble des idées et des jugements partagés par un groupe social ou une partie de ce dernier […]. Dans le vocabulaire des Lumières, l’opinion publique renvoie encore largement à cette instance de contrôle social, juge de la conformité des mœurs […]. Le concept, associé à la tradition, à l’honneur, à l’estime, aux mœurs, aux préjugés s’emploie le plus souvent de manière péjorative […]. Ce n’est qu’à partir du milieu du XVIIIème siècle que cette juridiction civile et morale de l’opinion va s’étendre aux affaires publiques […]. En France, cette conception de l’opinion publique apparaît aux alentours de 1750 […]. L’opinion publique n’englobe pas le peuple, lequel reste la « multitude aveugle et bruyante »* […]. L’opinion publique ne désignerait alors que l’opinion de la fraction supérieure et « éclairée » de la société, distincte du reste du peuple incapable de raisonner et maintenu dans l’aveuglement et le préjugé depuis des siècles [...]"

Source : Loïc Blondiaux, La fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, 1998. 

*Condorcet, Réflexions sur le commerce des blés, 1776

a

1-À quelle période historique apparaît la locution « opinion publique » selon Loïc Blondiaux ? Quel sens revêt-elle alors ?

2-Selon le texte, comment évolue la notion d’opinion publique à partir du milieu du XVIIIème siècle ?

Document 2. Les mutations de l’opinion publique au cours du XIXème siècle

Facile

[…] Avec l’instauration du suffrage universel (masculin)* et le développement corrélatif, durant la deuxième moitié du XIXème siècle, de nouvelles formes d’actions collectives encadrées par des organisations « de masse » comme les partis politiques ou les syndicats, on assiste à une lente transformation de la notion d’ « opinion publique ». Jusqu’alors, celle-ci était de façon quasi exclusive celle d’une élite de citoyens, en principe les mieux informés et les plus qualifiés par leur intelligence et leur moralité, qui, après une discussion rationnelle, devaient faire entendre publiquement et faire respecter, face à l’ « opinion commune » et « vulgaire », une opinion autorisée, considérée comme intrinsèquement juste et dirigée vers le « bien commun » (l’universel). Cette opinion était « publique », en ce sens qu’elle avait vocation, du fait de sa valeur propre, à être rendue publique […]. À la fin du XIXème siècle, avec la multiplication des mouvements de masse et des manifestations de rue (liés notamment à l’urbanisation et à l’industrialisation), et surtout avec la diffusion d’une presse populaire et nationale, va surgir une autre « opinion publique », concurrente de la précédente, qui va coexister avec elle jusqu’au milieu du XXème siècle avant de la supplanter. Cette nouvelle opinion est également qualifiée de « publique », mais dans un autre sens, qui est comme appelé par la logique démocratique : c’est, apparemment du moins, l’opinion du public lui-même.

 

Source : Patrick Champagne, Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, 2015 (1ère édition 1990).

*Proclamé et utilisé pour la première fois en 1848 en France

 

1-Selon le texte, comment se transforme le concept d’opinion publique au cours du XIXème siècle ?

2-Comment Patrick Champagne explique-t-il cette évolution ?

3-À partir des documents 1 et 2, complétez le tableau suivant :

*Plusieurs définitions concurrentes de l’opinion publique peuvent coexister à certaines périodes historiques !

Document 3. De l’intervention de l’opinion publique « populaire » en politique : l’exemple de l’affaire Dreyfus

Facile

Il ne s’agit pas ici de refaire l’histoire de l’affaire Dreyfus mais de comprendre pourquoi le recours à la mobilisation de l’opinion publique a été la seule issue à l’impasse dans laquelle se trouvaient les premiers partisans de Dreyfus […]. Les révisionnistes1 ont pris conscience que, pour faire sauter le couvercle sur lequel appuient conjointement le gouvernement, la presse, l’Église et l’Armée, il faut un moyen révolutionnaire, le scandale de J’accuse, le passage d’une logique de petit groupe à une logique collective, la transformation de l’affaire en Cause […]. Le procès qui résulte de J’accuse a plusieurs vertus. Celle d’envahir l’actualité journalistique […] avec comme conséquence le passage d’une vérité officielle indiscutée à un débat contradictoire au grand jour […]. Parallèlement […] le cercle des partisans de Dreyfus passe d’un fonctionnement « clubiste »2 à une logique démocratique avec la fondation de la Ligue des droits de l’homme en février 1898, structure d’accueil ouverte pour rassembler de nouveaux partisans de la cause […]. Au-delà de la presse, d’autres méthodes de lutte démocratique sont donc nécessaires. Mais là encore l’agitation de rue est largement le fait majoritaire des antidreyfusards […]. En revanche, plus confiants dans la raison raisonnante, les dreyfusards tiennent à défaut du haut du pavé, le sommet de l’estrade avec leurs multiples meetings, lieux de discussion et de conversion […]. Le changement d’échelle de l’action publique se manifeste, en dehors des moyens évoqués plus haut, par l’utilisation, jamais pratiquée à cette échelle […] des pétitions publiées dans les journaux […]. Le côté rituel qu’a pris depuis […] ce procédé de prise à témoin de l’opinion ne doit pas masquer le caractère inédit et partiellement révolutionnaire de ce retour précisément à la tradition révolutionnaire. 

Source : Christophe Charle, « Naissance d’une cause. Mobilisation de l’opinion publique pendant l’affaire Dreyfus », Politix, revue des sciences sociales du politique, 1991.

1Révisionnistes : ici, partisans d’une révision du procès de Dreyfus. Les révisionnistes sont donc dans le cas présent les partisans d’une réhabilitation du capitaine Dreyfus.

2 « Clubiste » : « de club ». Ici, cela signifie que les partisans de Dreyfus fonctionnaient au début comme une petite société fermée et élitiste. 

 

1-À partir de l’extrait de l’émission Karambolage d’Arte en date du 3 mai 2017 (https://www.youtube.com/watch?v=OMvo2PX4_l0), retracez la chronologie de l’affaire Dreyfus

2-Selon le reportage et le texte, que voulaient obtenir les dreyfusards ? Pourquoi leur était-il nécessaire de mobiliser l’opinion publique afin d’y parvenir ? S’agissait-il de l’opinion publique entendue comme opinion des individus les plus éclairés, ou de l’opinion publique entendue comme opinion du plus grand nombre ?

3-Relevez dans le texte comment l’opinion publique a été mobilisée durant l’affaire Dreyfus.

4-Selon vous, pourquoi, en démocratie, est-il devenu légitime d’en appeler à l’opinion publique (au sens d’ « opinion du Peuple ») ?

Document 4. Une technique particulière de saisie de l’opinion publique : les sondages

Facile

Le sondage est l’unique moyen dont on dispose pour produire une mesure quantitative des phénomènes sociaux : caractéristiques d’une population, de ses pratiques, de ses croyances, de ses orientations ou de ses opinions. Il se fonde sur un principe d’échantillonnage.

Il s’agit, en effet, d’obtenir des connaissances sur cette population à partir de l’étude d’une petite partie de celle-ci dûment sélectionnée de manière à en constituer un échantillon représentatif. Ce que l’on observe alors sur cet échantillon doit pouvoir être généralisé à l’ensemble de la population concernée. On peut distinguer deux grandes méthodes d’échantillonnage :

  1. L’échantillonnage aléatoire: il procède d’une sélection des membres de l’échantillon par tirage au sort. Permettant de calculer une marge d’erreur statistique, elle est la plus fiable scientifiquement, et ce d’autant plus que la taille de l’échantillon est importante. Mais, pour cette dernière raison, elle est aussi la plus lourde à mettre en œuvre 
  2. La méthode « par quotas » : l’échantillon est sélectionné en fonction de sa représentativité. Il doit, dans cette mesure, refléter le plus fidèlement possible les caractéristiques considérées comme fondamentales de la population étudiée en terme d’âge, de sexe, de catégories socioprofessionnelles… (la liste peut être allongée en fonction de l’enquête réalisée). La méthode des quotas se fonde sur des échantillons plus restreints. Elle est donc moins coûteuse (ce qui explique qu’elle soit utilisée par les instituts de sondage). Mais elle également moins rigoureuse scientifiquement […].

Source : Jean-Yves Dormagen, Daniel Mouchard, Introduction à la sociologie politique, 2011 (3ème édition).

  1. Selon le texte, en quoi consiste un sondage ?

  2. À partir du document, remplissez le tableau suivant :

Document 5. Les sondages d’opinion et les autres manières de « faire parler » l’opinion

Facile

Cette réflexion porte en son point de départ une question unique. Elle s’est donné pour objet de comprendre et d’expliquer le processus par lequel s’est constitué historiquement un quasi-monopole de l’énonciation de l’opinion publique par les sondages d’opinion dans les démocraties occidentales […]. Certes, un constat aussi massif doit être nuancé : le droit de faire parler l’opinion reste ouvert et en coexistent différents modes d’énonciation dans la société. Entre l’éditorialiste qui la fait intervenir à tout propos et sans médiation sous sa plume et le sondeur qui, l’ayant capturée dans ses tableaux, dénie à tout autre le droit d’en parler ; entre l’élu qui se reconnaît un droit particulier à parler en son nom et l’historien qui, au terme d’une reconstitution savante, la fait revivre pour une période donnée en assemblant des indices, des fragments et des preuves diverses ; entre le journaliste qui s’efforce de faire parler une « majorité silencieuse » à partir de quelques interviews glanées ici et là sur un trottoir et le porte-parole de tel groupe d’intérêts qui affirme, preuves à l’appui, que l’opinion publique est à ses côtés, peut-il s’agir de la même opinion publique que l’on reconstruit, met en scène et fait agir ? [Mais] la confrontation de l’opinion publique « sondagière » à d’autres constructions de l’opinion publique, élaborées selon d’autres procédures, a toute chance de tourner à l’avantage de la première. 

Source : Loïc Blondiaux, La fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, 1998.

 

1-À partir des informations données par le texte, identifiez des techniques de recueil de l’opinion publique qui ne sont pas les sondages.

2-Connaissez-vous encore d’autres façons de recueillir l’opinion publique que celles évoquées dans le texte ?

3-Selon le texte, quel est le statut des sondages par rapport à ces autres méthodes ?

Document 6. L’opinion publique comme artefact des sondages

Facile

[…] Il convient de s’arrêter quelques instants sur les critiques qui se sont développées à l’endroit des sondages, à mesure que ceux-ci acquéraient une place plus importante dans la société […]. Loïc Blondiaux [1997] identifie quatre critères sur lesquels se fondent ces critiques.

Le premier est un critère de « rationalité ». Il s’agit de considérer que l’opinion publique devrait être une opinion éclairée, parfaitement informée et donc apte à s’exprimer. À l’inverse, les sondages consisteraient à poser des questions à des personnes n’y ayant jamais réfléchi préalablement et ne pouvant donc avoir aucune « opinion » en la matière […].

Le second point est un critère de « publicité ». Selon les tenants de cette position, l’opinion publique est le produit d’un processus collectif, qui prend forme au cours de l’échange, de la confrontation. En ce sens, l’opinion publique ne peut être assimilée à la somme des opinions individuelles […]. 

Le troisième critère porte sur la dimension « d’effectivité ». Selon cet argument […], il est absurde d’additionner des opinions individuelles en partant du principe que chacune de ces opinions a la même valeur, dans la mesure où la société est traversée en permanence par des luttes et des rapports de force, qui donnent un poids inégal à chaque opinion exprimée […].

Enfin, dernier critère : celui « d’authenticité ». Dans ce dernier cas, il est reproché aux sondages de se présenter comme l’expression d’une opinion spontanée, alors qu’elle est en réalité sollicitée, produite par le sondeur. Le politiste Benjamin Ginsberg [1986] dénonce ainsi une utilisation politique du sondage, qui devient un moyen d’invisibiliser d’autres formes d’expression (comme la manifestation ou la grève par exemple) et ainsi de délégitimer l’action militante.

 

Source : Hugo Touzet, « Connaître et mesurer l’opinion publique : utilité et limites des sondages », site de l’École Normale Supérieure de Lyon, http://ses.ens-lyon.fr/articles/connaitre-et-mesurer-lopinion-publique-utilite-et-limites-des-sondages, [consulté le 09/09/2019].

 

1-Résumez les informations fournies par le texte sous forme de schéma.

2-Expliquez le titre donné au document.

 : Hugo Touzet, « Connaître et mesurer l’opinion publique : utilité et limites des sondages », site de l’École Normale Supérieure de Lyon, http://ses.ens-lyon.fr/articles/connaitre-et-mesurer-lopinion-publique-utilite-et-limites-des-sondages, [consulté le 09/09/2019].

 

1-Résumez les informations fournies par le texte sous forme de schéma.

2-Expliquez le titre donné au document.

Document 7. Les sondages perturbent-ils le processus électoral ?

Facile

[…] Un consensus apparaît au fil des ans pour reconnaître que les sondages produisent bel et bien, selon les contextes et les calendriers, des effets particuliers [...]. Plusieurs polémiques ont relancé ce débat au cours de la dernière décennie ; trois d’entre elles peuvent être ici rappelées. 

En premier lieu, beaucoup ont considéré que les sondages étaient pour partie responsables de la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2002. Cette présence tiendrait à la dispersion des voix parmi les candidats de gauche, qui pourrait elle-même s'expliquer largement par la certitude de voir Lionel Jospin accéder au second tour, compte tenu des sondages qui le mettaient loin devant Jean-Marie Le Pen, sauf les deux derniers jours avant l'interdiction de publication des sondages électoraux. Autrement dit, certains observateurs politiques considèrent que les sondages ont biaisé le processus électoral et qu'en leur absence, Lionel Jospin aurait recueilli davantage de voix que le candidat du Front national.

En second lieu, comme l'ont souligné les représentants de la commission des sondages lors de leur audition, les sondages ont joué un rôle déterminant en 2005 au moment de la campagne sur le référendum portant sur l'approbation du projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Le premier sondage donnant le « non » vainqueur, bien que ne présentant pas, selon la commission, un caractère statistiquement significatif, aurait créé un effet d'entraînement auto-réalisateur : à partir du moment où la victoire du « non » étant présentée comme possible, on peut penser qu'elle a « décomplexé » ses partisans et entraîné un mouvement de confirmation irréversible. Là encore, on peut estimer que le « non » ne l'aurait peut-être pas emporté en l'absence de sondages.

Enfin, on a pu observer un phénomène similaire, en 2006-2007, lorsque les sondages ont, pour la première fois, révélé que la candidature de Ségolène Royal à l'élection présidentielle était jugée parfaitement crédible par l'opinion. Ces premiers sondages ont probablement, comme pour le référendum européen de 2005, déclenché un mouvement mobilisateur qui a joué en faveur de cette candidate, lors des élections primaires organisées au sein du parti socialiste.

On pourrait multiplier les exemples. Il apparaît dans ce contexte nécessaire de veiller, dans le respect de la liberté d'expression, à ce que les sondages n'altèrent pas la sincérité du débat électoral.

Source : Sénat, Sondages et démocratie : pour une législation plus respectueuse de la sincérité du débat politique, rapport d’information n °54, déposé le 20 octobre 2010. Disponible sur : http://www.senat.fr/rap/r10-054/r10-054_mono.html#toc25 [consulté le 18/09/2019]

1-En quoi, selon  le texte et vos recherches personnelles, les sondages auraient-ils eu un impact sur le déroulement de l’élection présidentielle de 2002 ?

2-En quoi, selon le texte et vos recherches personnelles, les sondages auraient-ils eu un impact sur le déroulement du référendum sur le Traité constitutionnel européen en 2005 ?

3-En quoi, selon le texte et vos recherches personnelles, les sondages auraient-ils eu un impact sur le déroulement de la campagne présidentielle en 2006-2007 ?

4-Déduisez des réponses aux trois premières questions quelles sont les conséquences des sondages sur les comportements des électeurs. 

Document 8. Sondages et communication politique

Facile

Loin d’être de purs observateurs neutres du champ politique qui délivreraient modestement le résultat de leurs enquêtes, les sondeurs revendiquent le monopole de la connaissance scientifique de la volonté populaire. Faire l’opinion* a ajouté à la critique du sondage faite par Bourdieu l’analyse de l’insertion de cette technologie dans le fonctionnement du champ politique, montrant que le champ du pouvoir s’était restructuré autour de deux nouveaux acteurs : la télévision et les sondeurs […]. Dans les coulisses comme sur le devant de la scène où s’affrontent des leaders politiques devant de vastes auditoires de téléspectateurs s’agitent désormais nombre d’agents qui contribuent à faire le spectacle, depuis les commentateurs traditionnels tels que les éditorialistes et les hommes politiques jusqu’à ces nouveaux venus que sont les politologues, les conseillers en communication et, bien sûr, les sondeurs. Cette médiatisation de la politique et son accompagnement par les sondages ont tendanciellement eu pour effet de redéfinir ce qu’on met sous l’expression « faire de la politique » qui consiste de plus en plus en l’art d’utiliser un ensemble de techniques mises au point par des spécialistes en communication et en sondages qui sont destinées à agir sur des électeurs placés en position de spectateurs afin de produire des effets d’opinion mesurés par les entreprises de sondage.

Source : Patrick Champagne, « Faire l’opinion 20 ans après », in Alain Garrigou (dir.), Critique des sondages, actes du colloque éponyme du 5 novembre 2011. 

*Patrick Champagne, Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique, 1990.

1-Selon le texte, qu’appelle-t-on « médiatisation de la politique » ?

2-Pourquoi les sondages contribuent-ils à la médiatisation de la politique ?

3-Selon le texte, quel avantage les sondages ont-ils sur les autres manières de connaître l’opinion publique ?

4-Selon le texte, quels agents la médiatisation de la politique contribue-t-elle à faire émerger ? Pourquoi ?

Document 9. Les sondages, alliés de la démocratie ?

Facile

De ce point de vue, il est logique de voir dans les sondages un facteur de renforcement de la démocratie, car ils permettent théoriquement de réaliser le vieux rêve de la démocratie directe, celle où la volonté des citoyens peut être connue à tout moment et donc doit être prise en compte en permanence par les gouvernants. Selon cette conception, les sondages contribueraient à mettre au centre du jeu politique l’opinion et la volonté des citoyens. Ils donneraient, entre autres, la possibilité aux citoyens d’intervenir à plusieurs niveaux :

-tout d’abord, dans la sélection des gouvernants, puisque les candidats aux élections sont désormais (et de plus en plus) choisis en fonction de leur cote de popularité, laquelle est établie par les sondages [...]. 

-ensuite, en les éclairant sur les rapports de forces entre les différents candidats, les sondages permettraient aux électeurs de mieux mesurer les effets de leurs choix et donc de voter de façon plus rationnelle et efficace. Dans cette optique, les sondages favoriseraient également le contrôle des gouvernants puisqu’ils permettraient de faire connaître à tout moment les attentes et les réactions des citoyens [...]. Ils obligeraient ainsi les gouvernants à prendre en compte la volonté populaire, les responsables politiques pouvant difficilement mener des politiques qui seraient très massivement rejetées dans l’opinion [...].

-enfin, ils favoriseraient également le respect de l’opposition, puisqu’ils rappelleraient, en permanence, à la majorité gouvernementale que l’ensemble des citoyens ne partage pas les décisions adoptées. Ils joueraient donc également un rôle de contre-pouvoir.

Source : Jean-Yves Dormagen, Daniel Mouchard, Introduction à la sociologie politique, 2011 (3ème édition).

1-Qu’appelle-t-on « démocratie directe » ?

2-Résumez sous forme de carte mentale comment, selon le texte, les sondages favoriseraient l’intervention des citoyens dans le jeu politique.


 

Document 10. Une importance à nuancer ?

Facile

Prendre en compte ne signifie pas, aujourd’hui, suivre aveuglément les sondages, pour deux raisons. En premier lieu, les hommes politiques ont appris à domestiquer la technique du sondage et savent plus ou moins que ces enquêtes livrent des chiffres bruts qui demandent à être décodés, et qui le sont à leur risques et périls. Cela ne signifie pas qu’ils ne font plus les mêmes erreurs d’interprétation, mais que, à l’usage, après certaines expériences désagréables, ils apprennent à mieux s’en servir. Et s’ils ne peuvent plus s’en passer, c’est parce que les incertitudes inhérentes à la lutte politique dans les régimes démocratiques, lutte qui est en permanence placée sous la dépendance des aléas électoraux, incitent les hommes politiques à voir, dans cette technique, un moyen certes moyennement fiable, pour se repérer par rapport à ce que semblent vouloir leurs électeurs [...]. Par ailleurs, la publication régulière dans la presse de sondages portant sur les intentions de vote et sur l’opinion publique oblige les acteurs politiques, qu’ils y croient ou non, à les prendre en compte et à mener la lutte sur ce front spécifique avec l’aide de leurs conseillers en communication. Il ne s’agit plus, en ce cas, de savoir ce que disent les sondages pour savoir quelle décision doit être prise mais de prendre une décision et de chercher les moyens - pour l’essentiel médiatiques - à utiliser pour que les sondages réalisés par la suite paraissent indiquer une approbation, par l’opinion publique, des décisions ainsi prises. Les politiques, loin de suivre les sondages, cherchent non pas à manipuler les enquêtes ou les enquêteurs mais ce qu’ils vont recueillir avec leur dispositif.

 

Source : Patrick Champagne, « Le sondage et la décision politique », Revue Projet, 01/04/2001, disponible sur https://www.revue-projet.com/articles/2001-4-le-sondage-et-la-decision-politique/7480 [consulté le 18/09/2019].

1-Quelles caractéristiques des régimes démocratiques expliquent, selon Patrick Champagne, la forte dépendance des hommes et femmes politiques aux sondages ?

2-En quoi le texte amène-t-il à nuancer l’idée selon laquelle les hommes et femmes politiques prennent leurs décisions en fonction des sondages ? 

Exercice 1. Reliez chaque situation ou citation à la bonne conception de l’opinion publique à laquelle elle fait référence

Facile

Exercice 2. Effet « bandwagon » et effet « underdog »

Modéré

Quels sont les effets des sondages sur une élection ?

Les études sociologiques menées aux Etats-Unis indiquent que les sondages peuvent avoir deux effets. D’abord, un effet bandwagon qui renforce le candidat donné en tête. Auréolé de son statut de leader, celui-ci parvient à attirer de nouveaux électeurs qui, par conformisme, veulent suivre le plus fort [...]. Mais il existe aussi l’effet inverse avec l’effet underdog. Là, le candidat qui est donné battu suscite la compassion de certains électeurs qui vont alors rallier son camp.

Les sondages influencent donc bien le comportement des électeurs ?

En théorie. Mais ces effets bandwagon et underdog ne sont pas mesurables... De plus, le fait d’aller consulter un sondage suppose un intérêt pour la politique, ce qui est assez minoritaire en France. Les électeurs qui s’intéressent le plus à la politique sont ceux qui sont le moins susceptibles de changer d’avis. En revanche, les sondages influencent énormément les hommes politiques et les journalistes. Prenons le cas d’Alain Juppé [NDLR : à l’époque de l’entretien, il était pressenti pour se présenter à la primaire de la droite et du centre] : les multiples ralliements opportunistes qu’il enregistre ces derniers jours ont beaucoup à voir avec la place qu’il occupe dans les sondages, où il dépasse largement Nicolas Sarkozy. Les journalistes, quant à eux, se basent sur les enquêtes pour opérer inconsciemment un « cercle des éligibles ». La majorité de leurs articles sera focalisée sur les favoris, réduisant de fait la portée médiatique des autres candidats. Les sondages influencent avant tout le cercle politico-médiatique qui, lui, va influencer les électeurs. Le processus est tout à fait indirect.

Source : entretien avec Patrick Lehingue, professeur de science politique spécialiste des sondages, « Les sondages font de l’élection un simple casting présidentiel », Marianne, 24 octobre 2016, https://www.marianne.net/politique/les-sondages-font-de-l-election-un-simple-casting-presidentiel [consulté le 10/10/2019]

1-En quoi consiste l’effet « bandwagon » ?

2-En quoi consiste l’effet « underdog » ?

3-Comment Patrick Lehingue nuance-t-il l’impact des effets « bandwagon » et « underdog » sur les résultats des élections ?

Exercice 3. L’influence de la formulation des questions d’un sondage sur les résultats obtenus

Modéré

Quel est l'impact de la formulation des questions sur les résultats d'un sondage ? Pour le mesurer, l'équipe d'Envoyé spécial a commandé une enquête d'opinion sur les préoccupations des Français pour l'élection présidentielle de 2017 à l'entreprise belge Dedicated.

Sur chaque thème, les questions sont formulées de deux façons différentes pour voir si cela oriente les réponses. « On va avoir deux échantillons de 1 000 personnes qui vont présenter un profil tout à fait comparable. Nous poserons à un échantillon la formulation 1, à l'autre la formulation 2 des différentes questions. Et puis, on les comparera. On verra s'il y a des écarts », explique Marc Dumoulin, de Dedicated [...].

 

Les résultats sont éclairants. La première question, sur l'accueil des migrants, est formulée de ces deux façons-là :

•  A - Êtes-vous personnellement pas du tout favorable, plutôt peu favorable, plutôt favorable, tout à fait favorable à l’accueil par la France de milliers de migrants en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique ?

• B - Êtes-vous personnellement pas du tout favorable, plutôt peu favorable, plutôt favorable, tout à fait favorable à l’accueil par la France de familles de réfugiés (hommes, femmes, enfants) qui fuient la guerre et les massacres en cours dans leur pays d’origine ?

[...] La première formulation récolte beaucoup plus de réponses défavorables (64 %) que la seconde (47 %).

Sur la question de la Sécurité sociale, les deux formulations donnent des résultats opposés :

• A - Êtes-vous personnellement pas du tout favorable, plutôt peu favorable, plutôt favorable, tout à fait favorableà la réduction des dépenses de la Sécurité sociale parce que son déficit serait trop important (en l’occurrence, un déficit de 3,4 milliards d’euros) ?

• B - Êtes-vous personnellement pas du tout favorable, plutôt peu favorable, plutôt favorable, tout à fait favorable à une diminution des remboursements de certains médicaments et de certains soins médicaux pour assainir le déficit de la Sécurité sociale ? 

La formulation A recueille 46 % d'opinions défavorables, contre 71 % pour la seconde.

 

Au final, sur les cinq sujets abordés, les opinions des Français sondés changent trois fois : les migrants, la Sécurité sociale et les fonctionnaires. Mais sur la légalisation du cannabis et le port du burkini, les Français sont contre quelle que soit la formulation de la question.

Source : « Envoyé Spécial : comment la formulation des questions influence les sondages », francetvinfo.fr. Disponible sur : https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/video-envoye-special-comment-la-formulation-des-questions-influence-les-sondages_2144302.html [consulté le 10/10/2019]

 

1-Pourquoi l’expérience menée par l’équipe d’Envoyé Spécial remet-elle en question la fiabilité des résultats obtenus par les sondages d’opinion ?

2-Pourquoi la formulation de la phrase soulignée est-elle contestable ?

 

 

Sujet type bac : raisonnement appuyé sur un dossier documentaire

Modéré

Sujet : À l’aide du dossier documentaire et de vos connaissances, vous montrerez quels sont les débats relatifs à l’interprétation de l’opinion publique par les sondages

Document 1 

Intitulé L'Opinion n'existe pas, le texte de Pierre Bourdieu est articulé autour de l'énoncé de trois critiques à l'égard de ce que cet auteur considère comme des postulats implicites des sondages :

1) Tout le monde a une opinion -quel que soit le domaine étudié. L'auteur souligne que ce postulat est notamment démenti par l'existence de non-réponses, souvent éliminées rapidement de l'analyse […].

2) Toutes les opinions se valent. Retrouvant une critique déjà énoncée outre-Atlantique […], Pierre Bourdieu conteste ce postulat. Il souligne que les opinions n'ont pas toutes la même force, c'est-à-dire que ceux qui partagent une opinion peuvent le faire avec une intensité très variable […].

3) Il n'y a pas de consensus sur les problèmes qui méritent de faire l'objet de questions : Pierre Bourdieu établit sans grande difficulté que les questions posées par les instituts sont le produit d'une demande sociale. Elles sont liées, souligne l'auteur, « à des intérêts politiques ». Et d'autres questions que celles qui sont posées mériteraient largement plus de l'être […].

À partir de prémices différentes, un deuxième courant […] conteste le fait que les opinions recueillies soient porteuses d'une quelconque signification sociale […]. Pour ce courant la majorité des répondants aux sondages sont ignorants et peu intéressés par les questions politiques. Ils n'ont donc pas de véritable opinion et répondent de manière aléatoire, largement pour se débarrasser de l'enquêteur.

Un dernier courant critique adopte une posture plus normative […].  Pour ces auteurs, les opinions que recueillent les sondages ne peuvent être considérées comme reflétant une opinion publique car elles ne sont pas le fruit d’une délibération et d'une discussion publique.

Source : Claude Dargent, Sociologie des opinions, 2011. 

Document 2

La question fermée autorise la citation d’un élément « tabou » 

Cet effet est particulièrement impressionnant : une opinion affichée spontanément par 5 % de la population quand la question est ouverte, est citée six fois plus lorsque la même réponse est proposée en questionnaire fermé. L’exemple choisi concerne « les bénéficiaires des prestations sociales ». Elle a été posée aux enquêtés plusieurs années de suite. Il s’agissait de désigner la catégorie pour laquelle « on dépense le plus » en France en termes de prestations sociales. La question était présentée de façon ouverte en 1985, puis fermée l’année suivante.

Spontanément, 5 % des enquêtés ont cité « les étrangers ou les immigrés ». L’année suivante, lorsque la catégorie est proposée en question fermée, elle est sélectionnée par 28 % de la population. Ainsi, interrogé de façon ouverte, l’enquêté hésite à soumettre spontanément à l’enquêteur assis en face de lui une réponse pouvant faire montre d’une forme de xénophobie, attitude socialement peu valorisée. En revanche, dès lors que la figure de l’immigré est évoquée directement par l’enquêteur, cette réponse n’est plus taboue. Son apparition dans la liste des modalités légitime et autorise sa citation. 

Les échelles de réponses : la présence d’un point médian, l’équilibre des modalités positives et négatives… 

Face à une échelle de réponses, l’enquêté a tendance à établir une moyenne des modalités 7 proposées, ayant inconsciemment à l’esprit que cette réponse doit correspondre à l’attitude socialement « normale ». Ainsi, la présence ou l’absence d’un point médian sur une échelle, du type « autant l’un que l’autre », « juste comme il faut », est un enjeu de taille. Est-il plus judicieux d’inciter l’enquêté à choisir un camp au risque de forcer sa réponse ou est-il au contraire plus pertinent de lui laisser la possibilité plus confortable de se placer au milieu de l’échelle ? De la même façon, présenter une échelle équilibrée ou déséquilibrée en nombre de modalités positives et négatives a une influence certaine. 

Faut-il proposer ou non les non-réponses ? 

L’enquêté a, bien entendu, toujours le choix de répondre ou de ne pas répondre à une question d’enquête. Mais, il est possible pour l’enquêteur de ne pas lui signifier explicitement qu’il en a la possibilité. Au contraire, l’enquêteur peut proposer la modalité « ne sait pas » au même titre que les autres possibilités de réponses. Or, le choix fait ici influe sur les résultats : le pourcentage de « ne sait pas » est sensiblement plus élevé si la réponse correspondante est explicitement proposée [...]. 

Expériences de synonymie 

Enfin, on ne pouvait pas ne pas rappeler ici l’exemple le plus célèbre de la littérature, essentiellement anglo-saxonne, sur le sujet, celui dans lequel le verbe « interdire » est comparé à « ne pas autoriser ». L’expérience mettait en évidence l’existence de mots « repoussoir », dont le verbe « interdire » ferait partie. Ainsi le remplacement de ce verbe par « ne pas autoriser », périphrase a priori synonyme, modifiait sensiblement les résultats. 8 A partir des questions de l’enquête « Conditions de Vie », une expérience de ce type a pu être menée. A la question « vous sentez-vous en sécurité dans votre vie quotidienne ? » a été substituée la suivante : « vous sentez-vous en insécurité dans votre vie quotidienne ? ». A la première interrogation : 19 % des personnes interrogées répondaient ne pas se sentir en sécurité. Avec la deuxième formulation, 28 % des enquêtés ont déclaré ressentir une certaine insécurité. Les enquêtés n’ont donc pas établi d’équivalence stricte entre « être en insécurité » et ne « pas être en sécurité » [...]. 

Source: Claire Piau, « Quelques expériences sur la formulation des questions d’enquête. À partir du matériau ‘Aspirations et conditions de vie des Français’ », CREDOC, Cahier de recherche, n°206, octobre 2004. Disponible en ligne : http://cedric.cnam.fr/~saporta/Rapport%20_CREDOC_C206.pdf [consulté le 10/10/2019]

 

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