Vers un krach alimentaire ?

Une situation paradoxale

  • Le dernier rapport de  la FAO * publié en décembre 2008 dresse un bilan particulièrement alarmant de l'insécurité alimentaire dans le monde. Près d'un milliard de personnes (963 millions) ont été touchées par la sous-nutrition et la malnutrition en 2008 soit 40 millions de plus qu'en 2007, année pendant laquelle le nombre avait déjà augmenté de 75 millions par rapport à la moyenne des années 2003-2005.

  • Pour la campagne 2008, la récolte agricole mondiale bat des records historiques. Les prévisions de la FAO concernant la production mondiale de céréales atteignent en effet 2 232 millions de tonnes, en progression de 4,9 % par rapport à 2007.

* FAO : Food and Agriculture Organization (Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et l'agriculture)

 

Un décalage géographique majeur

Ces chiffres globaux cachent en réalité de fortes distorsions : la croissance de la production céréalière est en effet exceptionnelle dans les pays développés (+ 10,3 %) alors qu'elle "plafonne" dans les pays en développement (+ 0,9 %) en particulier en raison de performances décevantes en Asie.

Un décalage conjoncturel déstabilisant

La fin de l'année 2007 et le début de l'année 2008 ont été marqués par de violentes "émeutes de la faim" en Haïti, en Indonésie, aux Philippines, en Egypte, au Maroc au Burkina-Faso, etc. Ces mouvements de révolte populaire, dont certains ont eu des conséquences politiques, ont été déclenchés par la flambée du coût de la nourriture, liée à la hausse vertigineuse, depuis 2006, des cours des grandes matières premières agricoles, en particulier du blé et du riz. La tonne de riz est ainsi passée de 300 $ en avril 2007 à 700 $ en mars 2008. Mais depuis le pic du mois de mars 2008, les cours de la plupart des produits agricoles se sont effondrés, avec des chutes comprises entre 30 et 50 %.

Cette instabilité des cours a évidemment des répercussions sur les comportements des agriculteurs, notamment dans les pays pauvres, (incitation ou désincitation à la mise en culture de telle ou telle production), mais, loin de conduire à une régulation du marché, elle a plutôt tendance à accentuer les fluctuations.

Au-delà de la conjoncture, des facteurs structurels renforcés

Si les aléas climatiques ont leur part de responsabilité dans ces mouvements erratiques, certains facteurs nouveaux contribuent à la relative désorganisation des marchés agricoles mondiaux.

  • La demande en provenance des grands pays émergents du Sud (Brésil, Chine, Inde) exerce une pression croissante sur ces marchés, en raison de la montée des classes moyennes et de l'augmentation de leur pouvoir d'achat. Ces couches sociales aspirent à une amélioration de leur alimentation, avec une demande croissante de produits animaux, (viande, œufs, produits laitiers), plus "gourmands" en céréales.

  • L'autre facteur mis en avant par les experts de ces marchés est la progression de la production des agro-carburants, désormais concurrents  des besoins nutritionnels humains. Ainsi aux Etats-Unis, 30 % de  la récolte de maïs sont désormais consacrés à la production d'éthanol.

Des perspectives inquiétantes

  • Les stocks alimentaires mondiaux sont sur un trend de baisse et la récolte 2008 ne suffira pas à inverser la tendance : ils resteront à un niveau insuffisant.

  • Le problème de l'accès à l'eau se pose dans certaines régions de manière dramatique, notamment en raison de l'insuffisance des investissements permettant une gestion efficace de cette ressource.
    L'agriculture subsaharienne, par exemple, est, de ce fait, soumise pour 96 % des terres arables, aux aléas de la pluviométrie.

  • Les prix des "intrants" agricoles (semences, engrais, pétrole…) sont, à moyen terme, à la hausse, alourdissent les coûts de production et rendent ces intrants inaccessibles aux agriculteurs les plus pauvres.

Des solutions pour le long terme ?

On pourrait envisager d'accroître l'investissement agricole dans les pays déficitaires, notamment sur la maîtrise de l'eau, dans les projets de grande taille mais aussi dans les microprojets de collecte locale de l'eau. Une aide internationale redynamisée et ciblée sur les cultures vivrières pourrait également s'avérer efficace. (Cette aide publique agricole  est aujourd'hui de l'ordre de 3,5 milliards de $, elle atteignait 7,5 milliards dans les années 1980). L'objectif d'éradication de la malnutrition peut paraître hors d'atteinte à court terme, tant le nombre de ceux qu'elle touche semble démesuré. Pourtant, les évaluations de la FAO et des ONG spécialisées convergent : une contribution de l'ordre de 25 milliards d'euros par an en direction des pays concernés permettrait de régler durablement le problème, les 2/3 de cette somme allant à l'amélioration de la productivité agricole, le reste étant destiné à faire face à l'urgence par une aide alimentaire directe.

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