L'obésité aux Etats-Unis, une épidémie qui ne dit pas son nom

Des études convergentes sur un phénomène inquiétant

Une série d'études récentes centrées, pour les unes sur l'ensemble de la population américaine, pour d'autres sur des populations ciblées (adolescentes, salariés...) confirment que le surpoids et l'obésité sont en passe de devenir le problème majeur de santé publique aux Etats-Unis. Globalement, l'obésité touche environ un tiers de la population américaine adulte (59 millions de personnes et le surpoids (qui inclut l'obésité) près des 2/3 de la population. Les enfants et les adolescents sont eux aussi victimes de cette situation : un tiers d’entre eux présentent une surcharge pondérale (soit 12 millions de personnes). Au total, c’est près de 72 millions d'Américains qui seraient donc concernés par les problèmes d'obésité alors que ce phénomène concernait moins d’une personne sur 10 jusque dans les années 1980. Il convient par ailleurs de souligner que dans 38 des 50 Etats américains, la proportion d'adultes obèses dépasse 25 % – les Etats du Sud étant particulièrement touchés, notamment le Mississippi dont le taux atteint 34 % de la population adulte. Le Colorado est, à l’inverse, relativement épargné par ce problème, puisque « seuls » 18,6% des adultes y sont atteints d'obésité.

Des facteurs de risques complexes

L'analyse des facteurs de risques de l'obésité fait apparaître des corrélations fortes, et parfois surprenantes, entre cette « épidémie » et des variables multiples. Il apparaît notamment que les femmes sont globalement plus touchées que les hommes, notamment pour les cas d’"obésité massive" (le cas le plus sévère). Par ailleurs, les chercheurs de l'université de Californie ont calculé qu'au rythme actuel, 37 % des hommes et 44 % des femmes seraient obèses en 2035. Il importe enfin de souligner que l'avancée en âge est également un facteur de prévalence plus élevée, notamment pour la tranche d'âge 50-59 ans, mais cette surreprésentation de certaines tranches d’âge affecte surtout les femmes.

Le niveau d'études semble également une variable pertinente : les non diplômés sont plus fréquemment atteints que les diplômés. Là encore, la différence est particulièrement perceptible chez les femmes : les femmes non diplômées ont une probabilité deux à trois fois supérieure d'être en surpoids que les femmes diplômées. Sans qu'il soit facile de distinguer la cause de la conséquence, on constate aussi que 40 % des femmes « sévèrement obèses » sont inactives (contre 30 % pour l'ensemble des femmes).

Le niveau de vie est aussi un facteur pertinent de l'analyse de l'obésité : celle-ci touche 35 % de ceux qui gagnent moins de 15 000 $ par an contre seulement 24 % de ceux qui perçoivent plus de 50 000 $ par an.

L'origine ethnique constitue également un critère de repérage : l'obésité est globalement plus répandue chez les Noirs, les Latino-américains et les Indiens que chez les Blancs. La différence a été mise en évidence dans une étude publiée par la revue Pediatrics (Université de Californie) : les adolescentes noires, hispaniques et indiennes présentent une probabilité d'être en surpoids deux à trois fois plus élevée que les adolescentes blanches.

Enfin, les chercheurs ont mis en évidence un facteur de risque génétique qui favorise la transmission intergénérationnelle : les enfants des parents obèses ont trois à quatre fois plus de risques d'être eux-mêmes obèses que l'ensemble des enfants. Si une part de cette prévalence supérieure est explicable par les variables socio-économiques d'environnement, il semble que l'obésité ait aussi des causes génétiques.
 

Des conséquences sociales et économiques désastreuses

Les tentatives effectuées pour mesurer les conséquences de l'obésité aboutissent à des résultats effarants : l'espérance de vie des obèses est réduite de 8 à 10 ans par rapport au reste de la population ; l'obésité diminue l’accès à l’emploi ; les personnes obèses perçoivent des salaires moins élevés et ont un taux d'absentéisme au travail plus élevé ; elles perçoivent plus de prestations d'invalidité et, plus globalement, occasionnent des dépenses de santé plus élevées (de l'ordre de 25 % de plus qu'une personne de poids normal). L'obésité serait ainsi à l’origine de 5 et 10 % des dépenses totales de santé aux États-Unis.

La Brookings Institution évalue, dans son récent rapport (septembre 2010), le coût total de l'obésité pour l'économie américaine à 215 milliards de dollars, en distinguant les coûts médicaux directs (représentant plus des deux tiers du total), des coûts indirects : coûts de productivité, coûts de transport, impact environnemental et coûts en capital humain.
Un autre rapport de la Duke National University de Singapour chiffre les coûts de l'obésité pour les entreprises américaines à 73 milliards de dollars par an. Les principales sources de ces coûts résident dans le plus faible niveau de productivité des personnes obèses, leur santé plus fragile, leur moindre résistance à la fatigue et leur lenteur dans l'exécution des tâches. Le coût de l'obésité représente ainsi pour les entreprises des sommes plus importantes que les coûts des assurances et de l'absentéisme.
 

Des politiques publiques encore timides

Si les origines de l'obésité font l'objet de controverses, on peut cependant mettre en cause les transformations de l'offre alimentaire depuis quatre décennies : baisse du prix des calories, apparition d'aliments plus faciles à consommer, recul de la préparation des repas à partir d'ingrédients primaires.
De même, la réduction de l'activité physique au travail et l'élévation des niveaux de stress dans l'activité professionnelle sont souvent évoquées dans les études sur le sujet. L'ensemble de ces facteurs a conduit à des modifications du mode de vie qui créent, pour une partie de la population, des conditions propices au développement du surpoids et de l'obésité. Les politiques publiques doivent donc chercher à inverser cette évolution par un effort d'information et d'éducation, notamment en direction des enfants d'âge scolaire, de manière à transformer les comportements et améliorer l'hygiène de vie. Outre ces mesures incitatives, qui peuvent notamment se concrétiser dans les repas servis en milieu scolaire, certains préconisent de mettre en œuvre des politiques plus volontaristes, voire répressives, comme la limitation de la publicité à destination des groupes vulnérables (enfants), la suppression de certains ingrédients ou l'édiction de normes plus sévères dans les pratiques de l'industrie agroalimentaire. A la suite de la campagne lancée par Michelle Obama, de grandes firmes (Kraft Foods, Pepsico) ont déjà initié des programmes d'éducation à la santé et pris des engagements de réduction des portions ou de modification de la composition de leurs produits.

Les spécialistes considèrent cependant qu'à côté des mesures d'information et d'éducation collectives, il importe de privilégier le vecteur d'influence du médecin de famille, notamment à travers les conseils personnalisés et le suivi psychologique.
 

L’obésité dans les pays de l’OCDE

En matière d'obésité, les Etats-Unis sont les plus menacés, mais la plupart des pays développés risquent, à terme, de connaître la même évolution : le dernier rapport de l'OCDE souligne ainsi que cette tendance affecte aujourd'hui un très grand nombre de pays et que les projections ne sont guère rassurantes. Il met en outre l'accent sur les sommes relativement faibles consacrées aux politiques d'éducation à la santé (de l'ordre de 12 à 35 $ par an et par habitant selon les pays) et sur les milliers de vies que ces politiques permettraient d'épargner (155 000 décès annuels au Japon, par exemple).

La France est, elle aussi, touchée par la progression de l'obésité : aujourd'hui, le surpoids touche environ 40 % de la population adulte et l'obésité 10 %. Mais il semble que la relative persistance du "modèle alimentaire français" (3 repas quotidiens pris en famille à heure fixe avec un certain rituel) la protège en partie de cette épidémie.

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