La crise de la dette est-elle possible ?

Melchior vous propose le décryptage de cet article qui permet à vos élèves de faire le point sur la situation de la dette des ménages, des entreprises et des Etats, et de comprendre pourquoi les investisseurs, malgré la hausse récente des taux d’intérêt et de l’endettement des acteurs de l’économie qui créent un risque d’insolvabilité, restent relativement confiants. Le risque est pourtant bien réel.

Le titre et la référence de l'article :  Bruno Jacquier, « La crise de la dette et la fable du rhinocéros gris », Atlantic Financial Group, Stratégie et thématiques, Hebdomadaire du 30 janvier 2023.

 

Résumé

En l’espace de 40 ans, la dette mondiale publique et privée a doublé : elle représentait 120% du PIB en 1981 ; elle pointe désormais à 250%. Cette flambée de la dette a été possible grâce à la baisse structurelle des taux d’intérêt. Or, aujourd’hui, l’environnement est en train de changer : les taux d’intérêt ont progressé rapidement et amplement depuis 2022, ce qui n’avait pas été le cas depuis la fin des années 1970.

Une des règles fondatrices de l’économie est que la croissance des taux d’intérêt crée un risque de solvabilité, et par extension de liquidité (voir définitions plus bas), pour les débiteurs que sont les Etats, les entreprises, ou encore les ménages.

Au niveau des Etats, année après année, les gouvernements ont accumulé les déficits pour générer une dette publique hors norme. Alors qu’il n’y a pas si longtemps encore, on estimait qu’une dette publique ne devait pas dépasser 60% du PIB pour être soutenable (critère de Maastricht), les ratios affichés par les principaux pays sont bien au-delà : la Chine est à 84%, les pays de la zone euro ont une moyenne à 92%, les Etats-Unis sont à 123%, et le Japon à 261%. Dans ces conditions, l’optimisme des investisseurs obligataires pourrait bien s’effriter, dans un contexte où les charges d’intérêt vont peser de plus en plus lourd du fait du relèvement des taux.

Au niveau des entreprises, les entreprises « zombies », c’est-à-dire les sociétés qui ne dégagent pas assez de profits pour couvrir les charges d’intérêt de leurs dettes, ont vu leur nombre s’accroître significativement entre 1990 et 2020 (voir graphique plus bas). Or, dans un contexte marqué par un niveau élevé des taux qui vont accroître leurs coûts de financement, par une diminution des prêts accordés à ces entreprises, et par la réduction de la demande globale, on peut craindre un nouvel accroissement de leur nombre alors que leur capacité à rester en vie diminue.

Au niveau des ménages, la dette atteint aussi des records. Si on prend le cas des Etats-Unis, on constate que cette dette représente maintenant 58000 dollars par habitant majeur, ou encore 89% du revenu disponible des ménages. Dans un avenir proche, si les salaires n’augmentent pas plus vite que l’inflation et les taux hypothécaires, la situation sera problématique. Les revenus d’un nombre croissant de ménages seront alors insuffisants pour couvrir leurs besoins fondamentaux et continuer de payer leurs emprunts immobiliers. Ces préoccupations sont déjà bien présentes aux Etats-Unis : lors d’un sondage effectué en octobre 2022, sept américains sur dix ont répondu avoir des inquiétudes financières pour les douze prochains mois.

Malgré ces risques tangibles, les investisseurs que sont les principales banques d’investissement ne se montrent encore guère inquiets aujourd’hui. Pourtant, la menace est bien réelle, peut-être sous-estimée parce-que on peut la comparer à un « rhino gris », qui donne d’abord une série d’avertissements sans suite avant de charger, ce qui fait que l’on finit à tort par ne plus s’alarmer du danger auquel les économies sont exposées.

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Les termes clés

  • Dette : Une dette est une somme d’argent qu’un acteur de l’économie (entreprise, Etat, ménage) doit à un autre agent, après la lui avoir empruntée. Les ménages s’endettent quand ils dépensent plus que ce qu’ils gagnent, c’est-à-dire qu’ils ont recours au crédit pour financer des projets (crédits à la consommation, crédits immobiliers…). Dans le monde de l’entreprise, la dette est un moyen souvent utilisé pour financer des investissements. Et au niveau de la puissance publique, la dette correspond à l’ensemble des engagements financiers pris sous la forme d’emprunts par l’Etat, les collectivités publiques, et les organismes qui en dépendent directement.

 

  • Liquidité (crise de) : Une crise de liquidité est une situation dans laquelle une entreprise, une banque, un ménage ou un Etat (même solvable) ne dispose pas de l’argent nécessaire pour régler ses échéances. Le risque de liquidité se rencontre souvent quand un investisseur ne rencontre aucun preneur pour racheter les titres dont il veut se dessaisir.

 

  • Solvabilité (crise de) : La solvabilité est une situation dans laquelle une entreprise, un ménage ou un Etat est dans l’incapacité de payer sa dette. La différence entre la crise de liquidité et la crise de solvabilité est l’horizon temporel : on parle de crise de liquidité pour le court terme, et de crise de solvabilité à moyen terme ou à long terme.

Le point théorique : La soutenabilité de la dette publique

La dette est soutenable si l’Etat peut payer les intérêts et rembourser le principal de ses emprunts. Pour que ses créanciers en soient sûrs, il faut stabiliser le ratio dette publique/PIB. 

Donc si on commence par examiner la progression de l’endettement, on peut écrire :

Dt+1= Dt + (Tt x Dt) + St

La dette à l’instant t+1 dépend du taux d’intérêt Tt et du solde budgétaire primaire St (solde budgétaire hors paiement des intérêts de la dette).

Quant à la progression du PIB, on peut écrire :

PIBt+1= PIBt x (1+ gt +it)

Le PIB à l’instant t+1 dépend du taux de croissance réel du PIB gt et du taux d’inflation it

Si on fait le rapport entre ces deux équations, on obtient :

Dt+1/PIBt+1= Dt x (1 + Tt) + St / PIB x (1 + gt +it)

La stabilisation du ratio dette/PIB dépend de la progression du numérateur (état du solde budgétaire primaire et du taux d’intérêt) et de celle du dénominateur (état de la croissance et de l’inflation).

Dans la conjoncture présente, du fait de la normalisation progressive des politiques monétaires de la FED et de la BCE, on estime que la charge de la dette (remboursement des intérêts et du principal) devrait représenter 50 milliards d’euros pour 2022. Elle était de 38,5 milliards en 2021. A titre de comparaison, cette charge de la dette est proche pour 2022 du budget du ministère de l’Education nationale (59 milliards en 2022). On comprend alors qu’une forte progression des taux d’intérêt puisse exercer un effet déflationniste sur l’économie.

L’extrait pour la classe de première : L’augmentation des sociétés « zombies ».

« L’évolution de la dette des entreprises est un sujet de préoccupation croissant. Certaines sociétés ne dégagent pas suffisamment de profits pour couvrir les charges d’intérêt de leurs dettes, et encore moins pour rembourser le capital. Elles sont communément appelées sociétés « zombies ». Alors qu’elles sont vouées à la faillite, elles parviennent à se maintenir « en vie » grâce à l’octroi de crédits à taux très faibles.

Il existe plusieurs méthodes pour identifier les sociétés zombies. La version améliorée, plus scrupuleuse (voir graphique ci-dessous), consiste ente autres à ne tenir compte que des entreprises matures, ayant au moins trois années d’existence, afin de ne pas inclure les start-ups qui ne font pas encore de bénéfices.

 

Part des sociétés « zombies » dans le monde

Source : Atlantic financial group, op.cit, page 1.

 

Le nombre d’entreprises zombies a augmenté de manière significative, entre 1990 et 2020 (version améliorée), passant d’un peu moins de 1,5% en 1990 à 6,8% en 2003, un sommet transitoire. Ce pourcentage a ensuite été divisé par deux entre 2003 et 2007, avant de rebondir pour dépasser 7% récemment.

Dans le contexte actuel (voir résumé ci-dessus), le nombre d’entreprises zombies va croître alors que leur capacité à rester en vie va diminuer. Le taux de faillite d’entreprises devrait ainsi bondir dans les prochaines années.

Pour approfondir : quelques ressources

Voir le chapitre de première « Comment les entreprises sont-elles organisées et gouvernées ? » et de terminale « Comment expliquer les crises financières et réguler le système financier ? »

Lire le fait d'actualité sur la dette

Voir l’article de Michel Pébereau « Notre dette publique », Sociétal, 16/12/2021

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