Bouclier fiscal : entre efficacité économique et justice

Qu’est-ce que le « bouclier fiscal » ?

Le « bouclier fiscal » est un dispositif de plafonnement des impôts directs qui bénéficie aux particuliers. Le principe est que les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus. Le droit à restitution des impositions qui excède le seuil des 50 % des revenus est acquis au 1er janvier de la deuxième année qui suit celle de la réalisation des revenus pris en compte, année de référence (13 998 contribuables ont bénéficié de restitutions d’impôt en 2008 pour un gain moyen de 33 000 euros). Introduit en France et entré en vigueur en 2006, le bouclier fiscal est un dispositif à valeur symbolique qui vise à protéger les personnes contre un prélèvement jugé « excessif ». Initialement, il était prévu que le montant total dû par une personne physique au titre de l’impôt sur le revenu, de l’impôt de solidarité sur la fortune et des impôts locaux directs (taxe d’habitation et taxes foncières) ne devait pas excéder 60 % de son revenu imposable de l’année considérée (loi de Finances pour 2006). En 2007, le dispositif a été renforcé, en abaissant ce seuil à 50 %, et en y incluant les montants dus au titre de la CSG et de la CRDS, ce qui en étend fortement le champ d’application.

 

Les objectifs du « bouclier fiscal »

L’objectif prioritaire du « bouclier fiscal » est d’éviter un niveau de prélèvement confiscatoire et de lutter contre le risque d’expatriation des contribuables aisés. Il bénéficie essentiellement aux détenteurs de patrimoine élevés, dont les revenus courants sont, momentanément ou durablement faibles par rapport à ce patrimoine. Il s’inscrit dans une logique économique d’ensemble fondée sur la nécessité d’un « choc d’offre »  (loi d’août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA » ou « paquet fiscal ») : dans ce schéma, la diminution de la fiscalité serait en mesure de libérer les forces productives et stimuler l’épargne des hauts revenus, propice à l’accumulation du capital productif. La mesure recherche donc une stimulation de l’offre et s’appuie sur le diagnostic d’une faiblesse de la croissance potentielle française, elle-même due à une stagnation des gains de productivité et une insuffisante attractivité du territoire dans le cadre actuel de l’économie globalisée.


Dans l’histoire économique contemporaine, elle rappelle les analyses des « économistes de l’offre », experts proches du président Ronald Reagan au début des années 1980, soucieux du désengagement de l’Etat dans les affaires économiques. L’analyse keynésienne, axée sur la régulation de la demande globale passe à partir de cette époque au second plan au profit d’une analyse d’inspiration nettement plus libérale, en particulier dans un contexte d’inflation galopante et d’ouverture croissante des économies où la bonne tenue de la compétitivité internationale devient cruciale, face à la montée des contraintes commerciale (propension à importer) et financière (mobilité des capitaux). A l’époque, les conseillers économiques du président américain (les « reaganomics ») recentrent leur analyse sur les problèmes fiscaux : la réduction des impôts, jugés excessifs, doit libérer les énergies et inciter au travail (croissance du revenu disponible), à l’innovation et à la création de richesses. Dans cette hypothèse, l’épargne préalable est la mieux à même de soutenir  l’investissement productif, d’élever la productivité du capital et de soutenir la croissance, et générer des revenus dans l’économie qui, in fine, grossiront  les recettes fiscales, selon le raisonnement de l’économiste américain Arthur Laffer.

La « courbe de Laffer » soutient d’ailleurs l’idée que « trop d’impôt tue l’impôt » dans la mesure où, au-delà d’un certain seuil de pression fiscale, les recettes engendrée par l’Etat finissent par se tarir.

 Tout prélèvement a pour conséquence de rendre l’activité sur laquelle il est effectué moins rémunératrice ou plus coûteuse : dès lors les agents économiques privés – individus, ménages ou entreprises – seront d’autant moins enclins à soutenir ces activités qu’elles seront plus lourdement imposées. La courbe de Laffer bute toutefois sur  la difficulté à déterminer précisément le seuil de retournement au-delà duquel les recettes fiscales finissent par diminuer. En effet, la valeur de ce seuil, soit le taux d’imposition optimal au sens où il maximise les recettes fiscales totales, reste hélas inconnue. Dans cet esprit, la réforme fiscale (Economic Recovery Tax Act) de 1981 aux Etats-Unis a réduit fortement l’impôt sur le revenu et la taxation des profits, stratégie poursuivie par G.W Bush dans les années 2000, tandis que de nombreux pays de l’OCDE (dont la France) ont par la suite réduit leur taux marginal d’impôt sur le revenu ou adopté un dispositif de « bouclier fiscal » comme le Danemark ou la Finlande.

En quête de la fiscalité « optimale »

Le débat sur la taxation sur les facteurs de production s’inscrit dans une réflexion plus générale sur le niveau des prélèvements obligatoires en France (impôts et cotisations sociales). La mesure de la pression fiscale repose ordinairement sur le taux de prélèvements obligatoires, ratio entre le montant total des impôts et cotisations sociales et le produit intérieur brut : en 2008, ce taux s’élevait à 42,8 %.

Même s’il est utilisé largement comme indicateur dans les comparaisons internationales, sa signification économique ne doit pas être exagérée dans la mesure où il agrège des éléments très disparates (structures des prélèvements hétérogènes selon les pays) et ne propose qu’une évaluation approximative du « poids » de l’Etat dans l’économie. En effet, le taux de prélèvements obligatoires ne donne qu’une indication sommaire de la part du revenu national qui est « socialisée » afin de financer les mécanismes d’assurance collective et la redistribution des richesses. En cela, il révèle également des choix collectifs selon les pays, fruit de l’histoire singulière des nations en matière d’organisation sociale, d’architecture de la protection sociale, etc. Même si la pression fiscale a diminué sur la période récente, la France demeure l’un des pays parmi lesquels la pression fiscale globale est la plus forte (encore supérieure à la moyenne au sein de l’Union européenne et par rapport à l’Allemagne ou l’Italie, mais inférieure à celle de pays comme le Danemark et la Suède).

De toute évidence, les systèmes fiscaux des différents pays sont à la recherche d’un arbitrage, d’un compromis permanent entre l’efficacité économique et la justice. Un système fiscal est dit efficace si les distorsions qu’il engendre dans le système de prix et de coûts relatifs (baisse de l’offre de travail, de l’épargne, de la consommation, etc.) au sein du secteur privé demeurent relativement faibles, et son coût de mise en œuvre relativement modique. La théorie des incitations et la microéconomie enseignent que la fiscalité (et donc la puissance publique) modifie les calculs des agents privés soumis à la nécessité de réaliser des arbitrages (voire le cas des taxes sur le carburant, la fiscalité écologique, etc.)

La question de la justice fiscale est nettement plus délicate à appréhender, car elle reste liée à la préférence des agents pour une certaine répartition des revenus et renvoie dès lors à un critère de justice variable selon les sociétés. On pourrait dès lors analyser l’architecture des systèmes fiscaux et leurs préférences en fonction de deux cas polaires, entre lesquels se situent un large spectre de dispositifs nationaux : en vertu d’une justice sociale purement capacitaire (à chacun selon son mérite), ou d’une répartition totalement égalitaire des revenus.

Dans la plupart des sociétés contemporaines, on s’accorde à la fois sur l’idée que l’égalitarisme total est irréaliste et sur le fait que le pur principe méritocratique doit être tempéré par la prise en compte de l’inégalité des dotations initiales, des circonstances et de l’environnement social, lesquels déterminent du moins en partie la trajectoire des individus : dès lors, l’action correctrice de l’Etat (à des degrés variables) sur la répartition primaire des revenus est justifiée à des fins de redistribution (verticale). Dans le cadre de la politique fiscale, la théorie dite de la « fiscalité optimale » enseigne que les autorités réalisent une optimisation en fonction des contraintes (dans le temps et dans l’espace) et arbitrent entre l’efficacité économique (bas taux et large assiette de prélèvement) et la justice qui exige un certain niveau de pression fiscale et une certaine progressivité (le taux moyen d’imposition s’élève avec le montant du revenu).

Concurrence fiscale et ouverture internationale

Le dispositif du « bouclier fiscal » s’inscrit dans un contexte de forte intensification de la concurrence fiscale au sein de l’Union européenne et dans le monde. Dans ces conditions, l’intégration européenne et la mondialisation ont ceci de commun qu’elles favorisent la mobilité des marchandises, des capitaux et des personnes. On assiste donc à une mise en concurrence des systèmes fiscaux nationaux. Les firmes sont en mesure d’opérer des calculs d’optimisation fiscale dans leurs choix de localisation et certaines catégories de contribuables peuvent plus aisément faire pression sur les gouvernements pour alléger le poids de leur fiscalité (ils sont des acteurs « nomades » pour reprendre la formule de l’économiste Pierre-Noël Giraud). Si elle peut contribuer à une meilleure gestion de la ressource publique, la concurrence fiscale peut également conduire à une réduction de l’offre de services collectifs par rapport aux souhaits des citoyens. Ainsi, en Europe, l’alignement de la fiscalité par le bas peut entraîner des effets externes négatifs en poussant les autres pays à faire de même, ce qui conduit à un niveau de fiscalité inférieur à celui qui serait choisi si la décision était centralisée au niveau supranational. De plus, la charge de la fiscalité risque de se déplacer vers les capitaux les moins mobiles et peser davantage sur le travail que sur le capital, avec le risque d’une réduction du niveau de redistribution et d’assurances collectives. Dans ce contexte, les gouvernements sont fortement incités à réduire la progressivité des barèmes d’imposition de l’impôt sur le revenu et à alléger l’impôt sur le patrimoine, pour enrayer l’évasion fiscale, soit la capacité légale du contribuable de minimiser sa fiscalité en exploitant les distorsions dans les législations fiscales souvent complexes (dispositions dérogatoires du code fiscal, possibilité de bénéficier des législations étrangères, etc.). Une telle contrainte est souvent invoquée à l’appui de dispositifs comme le « bouclier fiscal », qu’il faut resituer dans la problématique plus globale de la compétitivité et de l’attractivité du territoire.

Comparée à ses principaux partenaires, la France affiche un taux de prélèvements obligatoires élevé : en 2006, il est supérieur de 4,1 points de PIB à celui de la moyenne (non pondérée) des pays de l’Union européenne à 15 et de 8 points de PIB à celui de la moyenne (non pondérée) des pays de l’OCDE. En 2006, la charge fiscale (y compris les cotisations sociales volontaires et imputées) représente dans l’UE27 40,9 % du PIB, contre 40,4 % en 2005. Les niveaux d’imposition dans l’Union européenne demeurent généralement élevés par rapport au reste du monde, dépassant ceux des États-Unis et du Japon. La charge fiscale varie néanmoins de façon significative d’un État membre à l’autre, allant, en 2006, de moins de 30 % en Roumanie et Slovaquie à près de 50 % au Danemark et en Suède. Les taux d’imposition de plusieurs États membres ont varié de manière importante au cours de la dernière décennie. Les plus fortes baisses ont été enregistrées en Slovaquie et en Estonie. Les hausses les plus importantes ont été observées à Chypre et à Malte. (Source : insee.fr)

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